Un moteur de recherche “qui respecte votre vie privée, sans jamais chercher à savoir qui vous êtes ou ce que vous faites”. La promesse de Qwant est alléchante. Face à l’ogre Google et ses services de publicité toujours plus affamés de données utilisateurs, le petit poucet français, financé lui aussi par la publicité, assure qu’il se fiche bien de tout savoir. Il n’utilise pas les fameux cookies pour pister votre intérêt pour les problèmes digestifs des chats. Et vous proposer ni vu ni connu les croquettes d’un fabricant. Si l’internaute peut passer à côté d’offres commerciales qui pourraient l’intéresser, il y gagne en confidentialité et en respect de sa vie privée. Mais qui utilise Qwant aujourd’hui ? Belle sur le papier, la recette n’a jamais vraiment pris en près d’une décennie. Pourquoi le moteur français ne marche-t-il pas ?
Tout avait pourtant très bien commencé. Fondé à Nice en 2011 par l’entrepreneur Jean-Manuel Rozan et les ingénieurs Patrick Constant et Éric Léandri, Qwant a réussi en quelques années à attirer des investisseurs. Avec des actionnaires prestigieux, comme la Caisse des dépôts et le groupe de presse allemand Axel Springer. À son lancement en 2013, le moteur apporte sa touche personnelle pour séduire les internautes : un affichage des résultats en plusieurs colonnes (web, actualités, réseaux sociaux) et des nuances de couleur pour attirer l’attention. Sur le fond, Qwant assure également fournir des résultats neutres. “ Sans chercher à mettre certains sites en avant ou à en écarter d’autres.“
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La malédiction française de la recherche en ligne allait-elle donc être brisée ? En la matière, on reste alors sur l’échec du programme de recherche Quaero, annoncé en 2005 comme la réponse franco-allemande à Google et clos piteusement en 2013 après avoir englouti 200 millions d’euros. Eh bien, pas vraiment. Depuis l’euphorie des levées de fonds, Qwant patine. Les comptes sont bien inférieurs aux espérances. La société d’une petite centaine de salariés, plombée par une perte de 23,5 millions d’euros en 2019, affiche toujours un maigre chiffre d’affaires : à peine 6 millions d’euros cette année-là, loin des 30 millions espérés en 2017.
Cette situation délicate s’est soldée par le départ en janvier 2020 du président Éric Léandri, écarté au profit de Jean-Claude Ghinozzi en raison de sa gestion dispendieuse et de sa diversification hâtive.Il y a urgence pour Qwant. En novembre 2020, selon le site de mesure d’audience du web Statcounter, Google affiche en France une part de marché de 91,6 %. Loin devant Bing (4,4 %), Ecosia (1,2 %), Yahoo (1,2 %) et Qwant, dernier du top 5 avec une part de marché estimée à 0,9 %. Une concurrence qui mélange moteurs et métamoteurs – c’est-à-dire des sites sans grande technologie qui vont chercher leurs informations dans les premiers.
Qwant se positionne dans la catégorie des vrais moteurs, et donc comme une alternative crédible à Google. Quitte à en rajouter, comme en 2015 quand la petite PME française, un poil mégalomane, accuse le géant américain (74 milliards de dollars de chiffre d’affaires cette année-là, deux fois plus en 2020…) d’avoir copié son nouveau logo. Pourtant, dans les faits, notre champion national s’appuie majoritairement sur les résultats de Bing, le moteur concurrent développé par Microsoft.
Selon un audit réalisé par la direction interministérielle du numérique en aout 2019, 63 % des résultats obtenus sur Qwant proviennent de Bing. Un mode opératoire qui, dès 2013, avait déjà suscité la controverse sur les réelles capacités de développement interne de l’entreprise. “Alors que les fondateurs faisaient les plateaux de télévision, nous n’avions pas de réponses à nos questions sur les caractéristiques du crawler de Qwant, ce robot qui indexe les pages, et sur l’algorithme“, se souvient Olivier Duffez, consultant en référencement.
La relation trouble entre Qwant et Bing sème le doute. “Nous n’avons probablement pas suffisamment communiqué sur la complexité associée à la création d’un moteur de recherche”, admet aujourd’hui l’entreprise. Si le principe d’un moteur de recherche parait simple – un site qui indexe le web et propose les pages les plus appropriées aux requêtes des utilisateurs –, c’est en réalité un monstre technologique.
“C’est une boucle d’action continue entre l’utilisateur et la machine, explique Sylvain Peyronnet, ex-directeur scientifique de Qwant et spécialiste des moteurs. Des centaines d’algorithmes qui tournent dans un pipeline en temps réel pour déterminer ce qui est important ou pas.” Résultat, Qwant tâtonne toujours. “La technologie développée marchait super bien sur quelques millions de pages indexées, mais nécessitait d’être modifiée pour fonctionner à plus grande échelle“, se souvient ainsi Tristan Nitot, une figure française du logiciel libre qui a été l’éphémère directeur général de Qwant fin 2019, avant de quitter l’entreprise en mars 2020.
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En 2019, Qwant a dû revoir entièrement l’architecture de son moteur, toujours très dépendant de Bing. Au moment de l’écriture de cet article, fin 2020, les trois premières réponses à la la requête “coronavirus France” sont les mêmes sur Qwant et Bing, avec deux pages gouvernementales et une page du quotidien régional Sud-Ouest – mais dans un ordre différent. Sur Google, la même requête renvoie aux pages de deux médias en ligne.
À ces difficultés techniques se sont ajoutées des erreurs de stratégie, comme la diversification à tous crins. Alors que son moteur connaissait des ratés, l’entreprise a multiplié les annonces de produits annexes. Comme Qwant Mail, promis depuis juin 2018 et désormais en pause. D’autres projets ont été totalement abandonnés, comme celui autour de la santé (Qwant Med) ou du paiement (Qwant Pay). Ce qui s’est traduit par la fermeture de deux filiales à l’été 2020 (Qwant Music et Qwant Enterprise) et le départ d’une trentaine de salariés.
Cette frénésie de projets était destinée à attirer des capitaux, fuite en avant classique dans le monde des start-up, souligne un ancien. “Il aurait fallu mettre toute l’énergie dans le moteur et dans une régie publicitaire”, regrette-t-il. L’organisation interne de la société n’a pas aidé. Si les sites d’Épinal et d’Ajaccio ont été fermés, les informaticiens chargés de la sécurité sont toujours basés à Rouen, tandis que la production est répartie entre Nice et Paris, qui abrite aussi une partie des chercheurs. Pas de quoi faciliter la communication interne.
Mais si Qwant a sa part de responsabilité, ses déboires sont aussi dus au monopole de Google sur la recherche en ligne, installé dès 2008 et accentuée depuis par le succès de son système d’exploitation pour téléphones, Android (80 % de parts de marché), où il est installé par défaut. Un abus de position dominante pointé par de nombreux observateurs. Avec d’autres moteurs et métamoteurs (l’allemand Ecosia, l’américain DuckDuckGo, le tchèque Seznam et le français Lilo), Qwant a d’ailleurs demandé sur ce sujet la médiation de la Commission européenne en octobre 2020. Et la société suit attentivement la procédure engagée au même moment par le ministère américain de la justice contre la firme de Mountain View pour atteinte au droit de la concurrence.
Reste, pour Qwant, un indéfectible soutien : l’administration française. Celle-ci en a fait le moteur de recherche par défaut de ses ordinateurs – même si l’on ignore le nombre réel d’utilisateurs ainsi amenés à l’utiliser. Et des voix politiques tentent de relativiser son échec. Si Qwant ne joue pas dans la même division que le Google, “c’est une vraie réussite malgré une part de marché limitée”, assurait le secrétaire d’État au numérique Cédric O en juin 2019.
Un optimisme pas vraiment partagé. “Il était déjà sans doute trop tard en 2013 pour réussir à faire émerger une alternative efficace à Google, estime Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (Ifri). En matière de pertinence des réponses, Qwant se place loin derrière. Et son soutien public, pratiqué également par des pays autoritaires pour leurs champions nationaux, lui donne un air de “StopCovid” des moteurs de recherche.”
Qwant n’a pourtant pas dit son dernier mot. “Nous savons que nous avons déçu, mais nous sommes capables de nous réinventer”, explique Sébastien Ménard, son directeur des affaires publiques.
Début avril 2021, le moteur de recherche éthique s’est félicité de ses résultats financiers “très encourageants”. L’entreprise a ainsi souligné la croissance d’un tiers de ses requêtes et de son chiffre d’affaires en 2020. Toutefois, la société accuse toujours des pertes importantes, même divisées par deux. Et, comme elle l’explique, la refonte technologique de son moteur de recherche est toujours en cours.
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