Si nous sommes allés frapper à la porte de la nouvelle fabrique, c’est pour concrétiser un projet bien précis : fabriquer un meuble à partir d’Opendesk.cc, un site Internet où l’on peut télé- charger gratuitement des plans de meubles pour les bricoler soi- même ou les faire fabriquer par un atelier local. Le concept a été imaginé par les designers britanniques Joni et David Steiner à la suite d’une commande de mobilier de bureau par une jeune start-up londonienne : quand une nouvelle antenne de l’entreprise a ouvert à New-York et que la commande a été renouvelée, les deux frères ont choisi d’envoyer les fichiers plutôt que les meubles eux- mêmes, et de faire fabriquer ce mobilier sur place, aux États-Unis. Depuis, de nombreuses sociétés dans le monde ont fait appel à ce type de service. La tendance s’est aussi étendue aux particuliers et à de petits ateliers-boutiques.
Aujourd’hui, on trouve sur cette plateforme des plans et instructions de montage pour des meubles de tous types : tables, fauteuils, chaises, tabourets… Le tout sous la licence Creative Commons CC-BY-NC, qui autorise la copie, la distribution, la transmission et même la modification des plans, avec néanmoins le respect de la paternité et l’interdiction de tout usage commercial sans autorisation de l’auteur. Différents degrés de finalisation sont possibles : des plans pour construire soi-même la totalité du projet ; ou une version déjà prête à assembler (livrée à plat) ; voire – pour les moins bricoleurs – un meuble fini, livré assemblé. Le but est de changer les circuits de conception du mobilier, grâce au développement de fabriques locales comme les fab labs. Opendesk en publie une liste sur son site.
Aux antipodes d’Ikea
Le fondateur de la nouvelle fabrique, Vincent Guimas, se montre enthousiaste : « Opendesk, on en a beaucoup entendu parler. Nous n’avons pas encore eu l’occasion de mettre leur idée en pratique ici, mais l’un de nos objectifs pourrait être de rejoindre leur réseau. On se lance ! » Nous parcourons les différents plans proposés sur le site et optons pour le fauteuil 90 Minute Chair de la collection At Fab, mise en ligne par le cabinet d’architecture américain Filson and Rohrbacher. Une fois le meuble choisi, un clic suffit pour télécharger le fichier. Il ne nous reste plus qu’à prendre la matière première : deux grands panneaux de contreplaqué bouleau que nous avons commandés quelques jours auparavant au négociant Chazalviel, au Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne). Nous nous mettons au travail. Vincent Guimas commence par dessiner à la craie, sur le tableau de l’atelier, le scénario de production. Ikea est aux antipodes : toutes les étapes de la fabrication vont se dérouler sous nos yeux et sous notre contrôle.
[Diaporama] La fabrication de notre fauteuil, étapes par étapes !
« C’est là que ça devient sympa »
À la fin de la première matinée, Johann est toujours devant l’ordinateur : « Il y a des choses qu’on n’avait pas prévues : les fraises du plan ne sont pas aux mêmes standards que les nôtres. Nous avons des têtes de 6 mm, eux utilisent du 6,5 mm. Ça change tout ! » Tout doit être vérifié pour que la découpe soit parfaite : les dimensions du plan sont exprimées en pouces; nos planches n’ont pas la même épaisseur que celles que l’on trouve au Royaume-Uni ou aux États-Unis. « Ce n’est pas “plug and play”, dit Johann, il y a une grande part de travail à la main sur le fichier lui-même avant de lancer la découpe. » D’ailleurs, les designers auteurs des projets qu’ils ont mis en ligne reçoivent les commentaires de ceux qui ont construit leurs meubles et peuvent apporter des améliorations à leurs plans. Vincent vient justement d’envoyer un courriel à Ian Bennink, l’un des fondateurs d’Opendesk, pour lui faire part de quelques observations sur notre fauteuil.
Quatorze heures. Après le déjeuner, nous lançons enfin la première phase de découpe. Johann et Vincent mettent en route la fraiseuse, très bruyante, et actionnent les boutons de son tableau de commande avec une assurance et une précision dignes d’un pilote d’avion avant le décollage. C’est parti. La tête de la fraiseuse parcourt la surface de la planche et découpe sous nos yeux les pièces du futur fauteuil. Le plan présent à l’écran se matérialise peu à peu dans le bois. Durée de la découpe : une heure et demie. Nous extrayons une à une les pièces du meuble de la machine. « C’est là que ça devient sympa », annonce Vincent en nous tendant du papier à poncer et des limes. Chaque pan de bois doit être débarrassé de ses irrégularités. Quelques visiteurs du Centquatre se collent à la vitrine pour nous regarder faire. A 17 heures, nous posons enfin nos limes et quittons l’atelier, le pantalon couvert de poussière de bois et quelques échardes dans les doigts. Nous assemblerons le meuble demain !
De la fraiseuse numérique à l’imprimante 3D
Neuf heures trente, le lendemain. Nous attaquons la partie la plus ludique du projet : l’assemblage des pièces du fauteuil. Malgré une notice assez claire, nous ne sommes pas trop de trois pour combiner tous les morceaux. Une vingtaine de vis sont posées pour stabiliser l’ensemble. Sur les côtés, de petits disques découpés dans les panneaux de bois doivent fixer la totalité de la structure, mais nous n’arrivons pas à les installer convenablement. « On n’a qu’à changer un peu leur taille et les imprimer en 3D! » suggère Johann, que la perspective de modéliser à l’improviste ces pièces n’effraie pas. De la fraiseuse numérique, nous passons donc à l’imprimante 3D, autre outil phare de la nouvelle fabrique. La Makerbot tourne à plein régime et, en quelques minutes, nous obtenons deux petits cylindres rouges qui épousent parfaitement le profil du meuble. Le tour est joué et cela apporte une signature colorée imprévue à notre projet !
Rendez vous sur OpenDesk pour vous aussi télécharger vos meubles !