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Jacques Séguéla : “Plutôt que de refuser toute publicité, on devrait exiger qu’elle se mette au service de l’écologie”

Le communicant Jacques Séguéla signe un plaidoyer pour l’écologie, dans lequel il invitenles écologistes à utiliser la publicité, plutôt qu’à l’interdire.

Le 23/10/2020 par Gérard Leclerc
Jacques Séguéla, auteur de "Ne dites pas à mes filles que je suis devenu écolo, elles me croient publicitaire !" Crédit : Dhimbert / Wikimedia
Jacques Séguéla, auteur de "Ne dites pas à mes filles que je suis devenu écolo, elles me croient publicitaire !" Crédit : Dhimbert / Wikimedia

Le communicant Jacques Séguéla signe un plaidoyer pour l’écologie, baptisé “Ne dites pas à mes filles que je suis devenu écolo, elles me croient publicitaire !”. Dans ce panorama de notre époque, il invite les chefs d’État à réagir et les écologistes à utiliser la publicité, plutôt qu’à l’interdire. Entretien.

  • We Demain : Vous publiez Ne dites pas à mes filles que je suis devenu écolo, elles me croient publicitaire !, clin d’œil à votre ancien best seller… Jacques Séguéla écologiste, ça peut surprendre : vous avez fait toute votre carrière dans la publicité, donc pour la consommation. Vous vous qualifiez vous-même de “fils de pub”. D’où vient cette conversion à l’écologie ? 

Jacques Séguéla : Détrompez-vous, elle vient de loin ! J’ai été un écolo avant l’heure quand, il y a 60 ans, je suis parti faire le tour du monde avec une 2CV qui ne dépassait pas les 50 km/h et ne consommait presque rien ! J’ai vécu deux années d’écologie pure : nous dormions à la belle étoile car nous n’avions pas les moyens de nous payer l’hôtel, nous mangions les pommes de terre et les fruits que nous ramassions dans les champs… Nous vivions avec l’équivalent d’un euro par jour, nous pouvions réparer notre voiture nous-mêmes… Découvrir ainsi l’Afrique, l’Amérique du Nord et du Sud, et l’Asie a été une expérience incroyable pour quelqu’un qui n’avait jamais quitté Perpignan !

Quel choc quand je retourne aujourd’hui dans ces pays qui étaient des merveilles et qui ont été ravagés, détruits, pillés par l’homme ! Quel monde vais-je laisser à mes petits enfants ?   

  • Oui mais vous avez ensuite consacré toute votre vie à la publicité, n’est-ce pas le contraire de l’écologie ?

La pub est le miroir de l’âme des peuples et l’éponge du temps. Ce n’est elle qui décide ce qu’elle va faire, ce sont les consommateurs. Dans les années 1970/80, ils se sont totalement libérés. La publicité a suivi, en essayant de courir plus vite, quitte à en faire un peu trop pour tirer le consommateur vers ses pulsions inconscientes et créer les modes, les tendances, les styles de vie qui changent tous les dix ans. Je m’y suis précipité avec tous les excès. Mais j’ai aussi été le premier à faire une affiche avec le slogan “Trop de pub tue la pub”, parce que ça devenait insupportable. J’ai eu toute la profession contre moi.

Et puis, il y a une dizaine d’années, la pub a compris l’écologie. J’ai commencé à faire des campagnes écologiques, et aujourd’hui il n’y a plus un grand annonceur dans le monde qui ne mène pas un combat pour l’environnement. 15 % des investissements publicitaires y sont consacrés, non pas par bonne conscience mais parce que c’est une demande des consommateurs, partisans d’une écologie douce et non punitive. Les ultras de l’écologie sont nécessaires pour peser sur les États et leur imposer la transition écologique. Mais ça ne marchera que si par ailleurs les citoyens se convertissent à la “soft ecology”.    

  • Cette écologie douce, est-elle suffisante face aux menaces qui pèsent sur la planète et que vous détaillez dans votre livre : dérèglements climatiques, pénurie d’eau, démographie galopante, atteintes à la biodiversité…

Nous devons agir à ces deux niveaux. Ce sont les États qui prennent les grandes décisions. La COP 21 de Paris a permis à de nombreux États de s’engager et de se mettre dans les clous. Le président Xi Jinping vient d’annoncer que la Chine atteindra la neutralité carbone en 2060, alors qu’elle est aujourd’hui le pays le plus pollueur du monde. Et elle tiendra parole !

Mais ces décisions d’États ne suffiront pas. Il faut aussi des gestes barrières des terriens : des petits gestes comme remplacer la bouteille d’eau en plastique par la gourde, revoir son alimentation, baisser son chauffage d’un degré, aller en vélo à son travail qui dans 80 % des cas se situe à moins de 5 km du domicile. Je m’y astreins : j’ai réduit de moitié ma consommation de viande et de poisson et remplacé ma grosse voiture par un vélo et une petite smart avant de passer au véhicule électrique. Et François Mitterrand m’a appris à planter des arbres !     

  • Vous restez opposé à l’interdiction de la publicité pour les produits nuisibles à l’environnement. Et vous dites même que les marques sont en première ligne dans la refondation d’un monde plus écologique…

Si un produit est réellement nuisible, c’est à la loi de l’interdire, pas au publicitaire qui cherche à vendre le meilleur produit au prix le plus accessible. Les grandes marques investissent des centaines de millions pour l’écologie. Un grand patron de produits ménagers m’a un jour convoqué à Londres pour m’expliquer que son agence d’Istanbul s’était aperçue que 80 % des ménagères turques rinçaient leur vaisselle avant de la mettre dans leur machine à laver, alors que les études prouvent que ça n’a aucun effet. Le lendemain, j’étais à Istanbul pour lancer une campagne se référant à une enquête du National Geographic indiquant que dans 10 ans la capitale turque manquerait d’eau. Le film que nous avons réalisé a eu un grand succès. Le président Erdogan a décidé de le diffuser dans toutes les écoles pour que les enfants sensibilisent leurs parents. Huit mois après, il ne restait plus que 20 % des ménagères qui continuaient à rincer leur vaisselle… C’est la preuve que les marques peuvent agir pour l’environnement.       

  • Vous évoquez le “monde d’après” en faisant preuve d’un optimisme forcené. Vous, le publicitaire, évoquez, ce qui surprend, “la fin des dictature des hypermarchés et de l’hyperconsommation”, et même la fin du capitalisme…

Les meilleurs économistes disent que le capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui, et qui rend les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, va mourir dans les 30 ou 40 années qui viennent. Mais il renaitra, je l’espère sous la forme d’un éco-capitalisme de partage et de redistribution. Sinon ça se terminera en révolution !

La fin de la dictature des hypermarchés est, elle, déjà commencé. Auchan ou Carrefour restructurent leurs hypers en remplaçant la moitié des espaces de vente en zone de loisirs ou ou de spectacle. Les produits qui resteront arriveront directement des fermes avoisinantes et non plus de l’autre bout du monde. Les consommateurs seront orientés vers des modes d’alimentation plus sains : il n’est plus possible d’avoir 10 % d’obèses en France, et 30 % en Amérique. 

Nous sommes entrés dans l’ère du “consommer moins mais mieux” : c’est mon combat depuis 40 ans ! Les écologistes, plutôt que de refuser toute publicité, devraient exiger qu’elle se mette au service de l’écologie. C’est peut-être le meilleur atout de l’écologie pour rendre le monde meilleur…

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