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“Le confinement pousse à repenser notre relation à la nature”

Peter Wohlleben, auteur du best-seller “La vie secrète des arbres”, décrypte le puissant désir de nature qui s’exprime depuis le début de la pandémie.

Le 07/05/2021 par Julien Millanvoye
Peter Wohlleben auteur de "La vie secrète des arbres".
Peter Wohlleben est l' auteur de "La vie secrète des arbres". (Crédit : Marcus Simaitis/LAIF-REA)
Peter Wohlleben est l' auteur de "La vie secrète des arbres". (Crédit : Marcus Simaitis/LAIF-REA)

L’Allemand Peter Wholleben a fait changer le regard de millions personnes sur la nature avec son best-seller La vie secrète des arbres. Son dernier ouvrage, L’homme et la nature, paru aux éditions Les Arènes en juin 2020, explore notre relation à ces créatures vivantes. Ainsi que la façon dont elles communiquent entre elles, échangent, ressentent et pourquoi il nous est impossible de nous en passer.

Notre bien-être psychique et physique en dépendrait, tout comme l’enjeu climatique. Après le confinement, ce forestier de profession affirme que c’est sur la vie sauvage que repose, non pas tant la survie de l’humanité, que son épanouissement. Entretien.

L’interview de Peter Wholleben

  • WE DEMAIN : La crise du Covid-19 et les confinements semblent avoir réveillé chez beaucoup le désir de se rapprocher de la nature. Avez-vous perçu cette aspiration ?

Peter Wohlleben : Oui. Je pense vraiment que sur ce point nous avons assisté à un bouleversement très rapide de la société. Première remarque : dès que l’on a su qu’il serait impossible de se déplacer durant plusieurs mois, un grand nombre de personnes se sont précipitées vers les campagnes. Pendant cette période, elles se sont de fait rapprochées de la nature.

Cet entretien a été publié dans WE DEMAIN n°31. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne

Deuxième point : l’inquiétude écologique grandit, parce que nous avons pu voir quelles conséquences pouvait avoir sur nos existences un minuscule virus. Ce, alors même que nous modifions en profondeur les paramètres les plus colossaux de la nature : la température et la concentration de CO2 dans l’atmosphère, entre autres. Les effets concrets de tels changements sont désormais un peu plus imaginables.

Par exemple, en Allemagne, le plan de soutien économique spécial Covid exclut toute subvention à l’industrie automobile… sauf pour les véhicules électriques. C’était impensable voilà quelques années. De plus, et c’est crucial, l’Europe envisage enfin de faire preuve de solidarité interétatique.

C’est un nouvel état d’esprit. Je ne sais pas s’il durera très longtemps, mais il existe. Et il diffère singulièrement de celui qui prévalait avant le coronavirus. D’une manière générale, les régulations européennes avancent dans le bon sens. Quand j’entends parler d’un projet de Green New Deal européen, je reprends espoir. Je cesse de voir la vie en noir, je la vois en vert !

“L’origine de cette pandémie, c’est la façon dont nous avons cru pouvoir tout gérer, tout dominer.”

Peter Wohlleben

Et puis, nous avons pu expérimenter ce que signifie la liberté, la liberté de voyager, mais aussi de profiter de la nature. Ou plutôt : ce que la perdre implique pour notre bien-être. Selon moi, le confinement a poussé beaucoup de gens à repenser leur relation avec la nature. À prendre conscience que notre avenir repose sur notre capacité à en prendre soin. Je suis donc très optimiste sur ce qui nous attend.

  • L’urbanisation de nos sociétés explique-t-elle selon vous la pandémie ? Ou est-ce trop tôt pour le dire ?

Non, ce n’est pas trop tôt pour le dire, c’est certain au contraire. Bien sûr, les scientifiques ne sont pas encore en mesure d’affirmer d’où exactement est parti ce virus. Mais il est factuel que détruire la nature revient à ouvrir de nouveaux écosystèmes, dans lesquels existent des virus et des bactéries inconnues. Les virus les plus redoutables nous arrivent tout droit de l’espace sauvage, de notre interaction avec lui, à mesure que nous le défrichons. L’origine de cette pandémie, c’est la façon dont nous avons cru pouvoir tout gérer, tout dominer. Nous constatons que ce n’est pas le cas.

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  • Pourquoi la nature nous fait-elle autant de bien ?

Nous sommes ce que nous sommes parce que nous pouvons manger des aliments cuits. C’est la raison principale qui explique le développement de notre cerveau, donc de notre espèce. Or pour cuire des repas, nous avons besoin de bois et pour le bois, nous avons besoin des arbres. Cette relation dure depuis des millions d’années. Ce n’est donc pas une surprise si l’évolution nous a conduits à aimer la proximité des forêts et des arbres.

Les exemples sont multiples. Au contact de la nature, notre système immunitaire se renforce. Dans les hôpitaux, les patients se remettent plus vite si, par la fenêtre de leur chambre, ils ont vue sur des arbres plutôt que sur un mur. Une étude menée à Toronto démontre également que, en ville, les personnes habitant des rues arborées vivent plus longtemps que les résidents de quartiers dépourvus de végétation. Pour ne citer que ces quelques exemples.

  • Donc, Peter Wohlleben, la nature, c’est bon pour l’esprit parce que c’est d’abord bon pour le corps ?

Exactement.

  • Pourtant, si nous aimons les forêts parce que nous avons toujours eu besoin de feu et que les arbres brûlent bien… C’est un peu contradictoire, non ?

Oui, bien sûr, mais ça s’explique. Nos ancêtres ont dominé le feu voilà environ 1,5 million d’années, peut-être il y a plus longtemps encore. Mais à l’époque, ils ne détruisaient pas les forêts. Ils se contentaient de couper des branches. C’est cela, notre vrai rapport aux arbres. Pendant la majeure partie de notre présence sur Terre, profiter du feu et en même temps des forêts n’avait rien de contradictoire. Sans parler des réserves de gibier qu’elles constituaient. Conserver les forêts était vraiment ce que nous avions de mieux à faire, pour prospérer.

Il en est allé ainsi jusque vers l’an 1000, à peu près. Là, nous avons commencé à raser des forêts entières. Mais le véritable tournant, c’est la révolution industrielle. Nous avons commencé à utiliser le charbon, pour fondre les minerais de fer, pour fabriquer du verre, pour utiliser leur énergie et c’est à ce moment-là que nous avons décidé que nous ne faisions pas, ou plus partie de la nature. Nous nous sommes engagés sur un autre chemin, qui impliquait sa destruction et sur lequel nous cheminons encore.

Désormais, nous faisons du feu partout, tout le temps. Chaque habitation a ses feux, pour l’alimentation, pour le chauffage ; chaque voiture repose sur un moteur à explosion ; on peut les voir comme autant de feux brulant en permanence. Le feu est complètement naturel, les incendies font partie intégrante des forêts, mais nous utilisons cette puissance d’une manière qui n’a jamais été celle de la nature, en consumant les ressources à outrance : c’est exactement ce principe qu’il nous faut changer, si l’on veut survivre.

“J’estime la question du droit  des plantes tout à fait raisonnable. Comment devons-nous les traiter tant qu’elles sont en vie ?”

Peter Wohlleben
  • Pouvons-nous communiquer avec les arbres ? Cette idée, que vous explorez dans votre livre, ne relève-t-elle pas de la magie, plutôt que de la science ?

Dire que les arbres sont capables de communiquer entre eux n’est pas du domaine de la folie. Ce qui peut le laisser penser, c’est une erreur majeure, historique, d’interprétation. Nous avons longtemps pensé que le monde était divisé entre humains, animaux et végétaux, ce qui se conçoit tout à fait, mais surtout que l’on pouvait en déduire une hiérarchie, au sommet de laquelle on trouverait, oh surprise, nous ! Nous les humains, avec nos émotions et notre intelligence. Mais il s’avère que penser la nature en termes de hiérarchie est tout simplement faux.

La nature est diverse, faite de très nombreuses espèces, mais cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas intelligentes, qu’elles ne peuvent pas ressentir la douleur, qu’elles sont incapables de prendre des décisions. Nous savons par exemple que les arbres apprennent, qu’ils ont une mémoire, même si nous ne savons ni où ni comment ils stockent leurs souvenirs. Nous savons que les plantes entendent, littéralement, réagissent au son d’insectes nuisibles, et se comportent en conséquence. La recherche universitaire commence à employer le terme de « neurobiologie » des plantes.

“Nous savons que les arbres apprennent, qu’ils ont une mémoire, même si nous ne savons ni où ni comment ils stockent leurs souvenirs.”

Peter Wohlleben

Cette idée fausse de hiérarchie explique comment nous avons traité les animaux : cela a donné l’élevage industriel, parce que nous avons longtemps cru que ceux-ci ne pouvaient pas ressentir la douleur. Que leurs réactions n’étaient que des réflexes. Jusque dans les années 1970, les bébés humains subissaient des opérations chirurgicales sans anesthésiants, simplement parce que les scientifiques pensaient que les bébés non plus ne pouvaient pas ressentir la douleur, que leurs réactions n’étaient là aussi que de purs réflexes.

Tout cela vient du même concept de hiérarchie des espèces. Or c’est un concept totalement étranger à la nature. Elle est diverse, on peut déterminer différentes espèces, les compter, les classer par catégories, mais estimer que certaines seraient supérieures à d’autres n’a rien de scientifique. C’est religieux, une vision religieuse du monde. C’est en raison de cette tradition que parler de sensations ou d’intelligence des arbres, affirmer qu’ils communiquent entre eux et que nous pouvons ressentir leur communication, étonne.

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  • Peter Wohlleben, avez-vous essayé de communiquer avec les arbres ? Si oui, auriez-vous des conseils pour nos lecteurs ?

Pour la recherche universitaire, les arbres communiquent entre eux, et nous pouvons percevoir cette communication. Mais il nous est impossible d’entrer réellement en communication avec eux. Donc non, je n’ai aucun conseil à donner pour discuter avec un arbre, parce que je me fie à la science. Dans l’état actuel des connaissances, nous ne pouvons pas communiquer avec eux. Tout ce que je peux dire, c’est que, quand on va en forêt, on ressent le fait qu’eux communiquent.

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