Partager la publication "Comment des membres du forum 4chan tentent de saper #BlackLivesMatter"
Lorsque le forum 4chan naît en octobre 2003, il est à l’origine dédié au partage de la culture japonaise, aux mangas et aux anime. Aujourd’hui encore, le haut de page donne le change, avec ses petites animations mignonnes et colorées.
Il suffit pourtant de cliquer sur la rubrique “/pol” (“politically incorrect”) pour se retrouver face à un torrent de propos racistes, sexistes, homophobes et pédophiles. Ajouté au site en 2011, le fil “/pol” recèle le pire du forum 4chan.
Nous sommes bien dans un espace dédié aux discussions politiques. Mais l’orientation politique des ces utilisateurs “politiquement incorrects” se situe souvent très, très à droite de l’échiquier politique. On y retrouve les tristement célèbres “Incels” (contraction de “involuntary celibates” ou “célibataires involontaires”), auxquels on rattache souvent les attentats misogynes d’Isla Vista , en 2014, et de Toronto , en 2018.
C’est également sur ce support – où tout le monde est anonyme – qu’étaient nées les campagnes de harcèlement sexistes du “GamerGate ” et qu’une “Trump Army ” s’était mobilisée, lors des présidentielles de 2016, pour assurer la victoire du candidat républicain.
#PauseYourPride : déclencher une “guerre” entre la communauté afro-américaine et LGBT+
Cette année encore, les utilisateurs de 4chan ont initié une “psy ops” ou “opération psychologique”. La mort de George Floyd et la naissance du mouvement “Black Lives Matter” leur a fourni un nouvel ennemi.
Si vous avez écumé Twitter entre le 4 et le 6 mai dernier, vous êtes peut-être tombé sur les hashtags suivants : #PauseYourPride et #BlackLivesMatterMore que l’on peut traduire par “Mettez le mois des Fiertés en pause” et “Les vies noires comptent davantage”. Un message souvent accompagné des visuels présentés ci-dessous :
“Je suis DÉGOÛTÉ par l’arrogance et le racisme évident dont la communauté LGBT fait CONSTAMMENT preuve à l’encontre des personnes DE COULEUR !”,
tweete un second internaute. Un troisième réagit au maquillage couleur arc-en-ciel qu’une jeune femme a réalisé en l’honneur du mois des Fiertés : “Votre Pride peut attendre. Les vies noires, non.”
Peau blanche, masques noirs : l’utilisation de faux profils Twitter
Reprenons ce tweet de “Kaiman Williams”. Dans son petit encadré circulaire, la photo d’un jeune garçon noir, souriant. On se rend rapidement compte de la supercherie en affichant son profil Twitter. Aucune photo de couverture, seulement 3 abonnés, aucun abonnement, et une date de création du compte très récente : juin 2020.
Même chose pour “Thomas Irving”, une jeune fille noire aux dreadlocks roses dont on retrouve la photo dans un article de blog dédié à la coiffure des cheveux crépus. “Markus Tyrone” ? La photo a été récupérée sur le site de questions-réponses Quora.
Les “psy ops” se succèdent et suivent la même stratégie
Qu’à cela ne tienne, ils étaient de retour dès le lendemain sur Twitter. Toujours derrière leurs masques noirs et armés cette fois du nouveau hashtag #AllWhitesAreNazis (“Tous les Blancs sont des Nazis”), parfois abrégé en #AWAN. Objectif : faire croire aux Blancs marchant aux côtés de la communauté afro-américaine que cette dernière les associe “tous” au nazisme.
Quel rapide rebond. De toute évidence, la machine est bien huilée, mais comment fonctionne-t-elle ? Pour le comprendre, il faut se rendre directement sur le forum 4chan où, après quelques fouilles, il est possible d’exhumer le fil de conversation correspondant. C’est là que les membres de la “psy ops” s’organisent, échangent des visuels et des conseils.
Un autre utilisateur de 4chan explique à ses camarades anonymes en quoi le hashtag “AWAN” est plus efficace que son prédécesseur “AWAR” (pour “Tous les Blancs sont racistes”) : “La thèse selon laquelle tous les Blancs seraient racistes est déjà ouvertement enseignée à l’université. (…) Associer tous les Blancs à des Nazis est l’étape suivante, puisqu’ils considèrent déjà les supporters de Trump comme des Nazis : on va retourner ça contre les libéraux blancs. Après ça, seuls les Blancs les plus perdus, ceux qui se haïssent vraiment, resteront dans le mouvement [Black Lives Matter].”
Puis viennent les conseils d’ordre technique. On y apprend, par exemple, comment se faire “passer pour un Noir” : “Mettez plus d’émojis et de fautes de frappe pour que ça soit crédible. Et essayez de choisir un nom comme Ashley Jones ou Tyrena Johnson, plutôt que “Shanequa” ou n’importe quel autre nom de nègre cliché inventé par un type d’extrême droite. N’oubliez pas de mettre des emojis à la suite de votre pseudo, par exemple une paire de mains noires qui applaudissent.”
Un autre internaute recommande un site pour se fournir en photos de profil intraçables : Thispersondoesnotexist.com, où une intelligence artificielle génère aléatoirement de “faux” visages, remarquablement réalistes.
Pas à leur coup d’essai
Mais même cette psy-op avait un précédent. En janvier, un faux compte Twitter déclenchait une vague de tensions entre la communauté juive et afro-américaine. Plusieurs utilisateurs de 4chan s’étaient dissimulés derrière le nom “Elaine Goldsmith” et publiaient des tweets racistes associant les “nègres” à un récent attentat antisémite.
“Fière d’être juive. Je dénonce les suprémacistes blancs. Queer et Bisexuelle” annonçait la biographie Twitter de ce faux profil. Sur les réseaux sociaux, le premier abord est parfois trompeur.