Partager la publication "“Architectes, faites de la place aux femmes !”"
À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, voilà le message de Christine Leconte, présidente de l’Ordre des architectes d’Île-de-France, et Anne Labroille, architecte du collectif Mémo (Mouvement pour l’équité dans la maîtrise d’oeuvre).
- WE DEMAIN : Alors qu’elles ne représentaient que 7,5% des inscrits à l’Ordre en 1985, les femmes sont aujourd’hui 27%, dont 50% chez les moins de 34 ans. Vous pointez du doigt des discriminations mais le métier s’est pourtant très féminisé...
Anne Labroille : La création des écoles d’architecture en 1968 a commencé à ouvrir le métier aux femmes. On voit un grand changement depuis vingt ans. Mais cette féminisation cache des inégalités. Les femmes ont souvent des postes subalternes, des statuts précaires, d’auto-entrepreneur, des temps partiels, de petites commandes… En 2014, le revenu moyen de celles exerçant en libéral représentait 57% de celui de leurs confrères.
Christine Leconte : Les hommes se dirigent davantage vers les pratiques de la maîtrise d’œuvre classique, alors qu’un grand nombre de femmes s’orientent vers des pratiques plus variées : maîtrise d’ouvrage, conseil, enseignement… Cette féminisation permet aussi d’injecter de l’architecture dans de nombreux domaines et de mieux répondre aux enjeux contemporains.
- Pourquoi de telles discriminations ?
C. L. : Le métier d’architecte est traditionnellement très masculin. Le monde “des chantiers”, notamment, est dur. On n’y trouve pas toujours des bottes en taille 38 ! Il demande aux femmes un surcroît d’autorité et de rigueur. Heureusement, cela commence à changer, de plus en plus de femmes parviennent à s’y imposer.
Il m’est arrivé en réunion d’avoir douze hommes autour de moi !
Anne Labroille
C. L. : Les horaires aussi peuvent être contraignants. La profession exige une disponibilité énorme, avec de larges amplitudes horaires. Comme dans d’autres professions au fonctionnement très masculin, cela peut devenir difficile à gérer avec l’arrivée des enfants…et peut contraindre les femmes à mettre leur carrière en suspens.
A. L. : L’accès à la commande passe aussi par des réseaux très masculins, des clubs de voile, de golf, des rencontres le soir… Où les femmes ne vont pas. Encore moins quand elles ont des enfants… Ces réseaux commencent tout juste à muter, avec des collectifs comme le notre qui se créent.
- Quelles conséquences ces disparités ont-elles sur la conception de l’espace ?
C. L. : Cela conduit très souvent à des espaces urbains créés pour des hommes, dans lesquels les femmes ne sont pas forcement à l’aise. Par exemple, les logements des promoteurs privés ont souvent des cages d’escalier peu lumineuses… peut-être car les concepteurs ne sont pas ceux qui portent le plus des bébés dans les bras.
A. L. : Dans l’espace public, le besoin de sécurité des femmes, qui passe par l’éclairage, par la bonne connexion entre les transports, peut être différent de celui des hommes. La place donnée aux équipements sportifs, aux stades, aux skate parcs, aux terrains de foot dans la ville, correspond davantage aux pratiques des hommes…
C. L. : A l’inverse, les pays du nord de l’Europe, plus égalitaires, conçoivent des espaces publics plus inclusifs, avec plus de bancs, d’espaces verts, des espaces pour allaiter…
Par ailleurs, le fait que beaucoup de couples se séparent, que beaucoup de femmes vivent seules, n’est pas assez pris en compte dans la construction de nouveaux logements.
- N’est-ce pas sexiste de penser que hommes et femmes conçoivent l’espace différemment ?
A. L. : La discrimination est sociale. De fait, les femmes s’occupent plus des enfants, pas forcément par choix, donc elles pensent plus naturellement à la place des enfants. C’est une réalité. Ce n’est pas sexiste.
C. L. : Attention, on ne dit pas que les femmes sont meilleures que les hommes, mais que la complémentarité est source de richesse. Pas seulement des hommes et des femmes, mais de l’ensemble des personnes qui vivent, travaillent et vieillissent dans ces espaces. L’important est de diversifier les profils, les approches, les compétences dans l’architecture pour des territoires plus inclusifs, adaptés à tous, où tous les modes de vie soient pris en compte.
- Que proposez-vous pour changer la donne ?
C. L. : Il faut continuer à se mobiliser pour la représentation des femmes. Je suis seulement la 2e femme présidente de l’Ordre. C’est sans doute un signe que certaines choses évoluent. Je crois qu’il est essentiel de faire de la pédagogie.
Pour que les femmes se sentent légitimes, il peut être utile de valoriser certaines figures de la profession. Je pense à des femmes comme Charlotte Perriand, Edith Girard, Eileen Gray, Helen Gregory…
A. L. : Il y a aussi d’importants duos, mais les hommes sont souvent plus médiatisés que leur compagne ! D’où l’importance, en effet, de ce travail de pédagogie, notamment dans les écoles. Aujourd’hui, 57% des étudiants sont des filles. Nous organisons des expositions, des journées du Matrimoine, nous développons les réseaux féminins. Et bien sûr, il est important de parler des femmes architectes dans les médias !