Partager la publication "En thérapie : le bonheur est-il vraiment dans le “tout psy” ?"
Plus de 18 millions de vues en ligne, deuxième succès d’audience de la chaine Arte… Depuis son lancement le 4 février dernier, la série En thérapie cartonne.
Anxiété latente et questions existentielles réveillées par la crise sanitaire ont trouvé un écho dans cet excellent huis-clos réalisé par Eric Tolédano et Olivier Nakache. Avec pour les egos défaits, les âmes tristes et tous les frustrés, stressés, fatigués que tous nous pouvons être un jour, l’idée de trouver refuge dans le cabinet d’un psy qui ressemblerait à Fréderic Pierrot, alias docteur Philippe Dayan.
Si mettre des mots sur les maux peut sans conteste s’avérer salvateur, “voir quelqu’un” n’est pas forcément le sésame vers le bonheur d’être. Dans une société hyper psychologisée le divan est à user avec modération !
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Un psy, mais quel psy ?
- Psychiatre : médecin, il peut prescrire antidépresseurs et anxiolytiques. Comme nombre de ses confrères psychiatres, celui d’En thérapie a ajouté à cette pratique celle du psychanalyste (lire plus loin). Il aurait aussi pu ajouter la pratique du comportementaliste – ennemi juré de ce dernier –, dont les thérapies cognitives imposent peu à peu leur “rigueur scientifique” sur le marché de la souffrance psychique.
- Psychologue : avec comme outil la psychanalyse mais aussi la psychologie expérimentale, systémique, sociale ou neuro-psy, il a suivi un cursus universitaire.
- Psychothérapeute : non réglementé, cet univers regroupe plus de 500 thérapies aux noms aussi ésotériques que les pratiques promettant de remédier au stress, phobies et tocs en tous genres : rebirth, PLN, thérapie à médiation corporelle, EMDR, zoothérapie, kinésiologie, map thérapie…
- Coach : suite à une formation conventionnée ou non, ces pros du développement personnel au vaste champ d’applications ont investi le monde de l’entreprise.
- Analyste : sans diplôme obligatoire, le praticien au divan doit seulement avoir suivi lui-même une analyse. Ses références : Freud et Lacan. Sa spécificité, le temps long : trente six ans pour Gérard Depardieu !
Des psys omniprésents
Le psy est devenu une figure tutélaire : éducation, culture, politique, médias… pas un domaine qui ne soit baigné par la parole psy. Crèches, écoles, entreprises, services sociaux, justice, maisons de retraites, médias : de bilan psy en tests de personnalité ou de compétence, en passant par les cellules de crise et les décodages à chaud de l’actu, les psys testent, dépistent, évaluent, expertisent, rééduquent, orientent, recrutent, licencient, commentent…
Le chagrin devient pathologique
Les différentes pathologies psy sont inscrites au DSM (Diagnostic and stastistical manuel ou mental disorders), bible des psys qui catégorise et classifie les troubles mentaux. À chaque époque sa recrudescence de cas d’une pathologie : ce fut le cas pour le syndrome d’Asperger dont le nombre de cas recensé a explosé ces dernières années, la bipolarité, les Toc (troubles obsessionnels compulsifs), les TO (troubles d’opposition) et le TDAH (trouble de l’hyperactivité et de la concentration) “pathologisant”, et médicamentant tout enfant un peu trop remuant. Le premier DSM recensait 60 troubles mentaux : il y en a aujourd’hui plus de 500 ! Avec le DSM la colère, la peur, le chagrin sont médicalisés et toute émotion transformée en pathologie.
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Papa Freud a vieilli
Si certains psys ont adopté le numérique et pratiquent via smartphone et YouTube, la plupart des analystes continuent d’appliquer à la lettre les concepts de Sigmund Freud. Certains intellectuels ont parfois osé blasphémer.
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Ainsi le philosophe Jacques Derrida s’interrogeait en 2001 dans De Quoi demain (Fayard) : “Je me trompe peut-être mais le ça, le sur moi, le moi idéal, le processus du refoulement : en un mot les grandes machines freudiennes (y compris le concept et le mot d’inconscient) ne sont à mes yeux que des armes provisoires, voire des outils rhétoriques contre la philosophie de la conscience, de l’intentionnalité transparente et pleinement responsable.”
Lacan lui même reconnaissait : “Je ne suis pas chaud pour dire que lorsqu’on fait de la psychanalyse on sait où on va. La psychanalyse comme toutes les autres activités humaines participe de l’abus. On fait comme si on savait quelque chose”. (Ornica, bulletin périodique du Champ freudien)
Mais contrairement aux psys américains, qui ont procédé à un devoir d’inventaire, rares sont les psy français qui osent transgresser la parole sacralisée du neurologue viennois. Une pensée “universelle” qui a parfois du mal à s’adapter à un monde régi par un tout autre ordre de valeurs que celui de la Vienne bourgeoise du 19e siècle.
Retour sur quelques allégations freudiennes frappées d’obsolescence…
“La privation de ce phallus érigé en valeur suprême ôte du coup à la malheureuse femme toute capacité à faire preuve de nobles pensées et à penser tout court… Une absence de membre vécu par la femme comme insupportable, frustration expliquant son narcissisme, son hystérie et son peu d’intelligence…”
“La masturbation prédispose à la névrose et à la psychose et corrompt le caractère…”
“Toute activité sexuelle qui n’aboutit pas au coït est perverse, les préliminaires étant condamnables car rabaissant cette chose sérieuse que sont les relations amoureuses entre deux être humains. Ils handicapent la sexualité dans le mariage.”
Référence en éducation, la psychanalyste Françoise Dolto a elle aussi à son actif quelques citations inaudibles.
À propos de l’inceste : “la fille n’a pas ressenti ça comme un viol. Elle a seulement compris que son père l’aimait et qu’il se consolait avec elle parce que sa femme ne voulait pas faire l’amour avec lui. Il suffit que la fille refuse de coucher avec lui en disant que ça ne se fait pas pour qu’il arrête. Il ne fait pas de différence entre sa fille et sa femme, la plupart des hommes sont de petits enfants.”
(Revue Choisir la cause des femmes 1979)
À propos de sexualité : “Il est de toute importance que la fille fasse son deuil de ses fantasmes masturbatoires clitoridiens. La solution heureuse, c’est l’investissement vaginal.”
(Psychanalyse et pédiatrie 1971)
Liste non exhaustive !
Une fatale attraction
La dépendance et la subordination au psy étaient déjà décrites en 1896 par le psychologue Pierre Janet : “La passion pour leur psychothérapeute peut être comparée à la morphinomanie. Pour lui, ils sont résolus à tout faire car ils semblent avoir pris une fois pour toute la résolution de lui obéir aveuglement”. Quatre vingt ans plus tard, la sociologue Dominique Frisher, dans Les analysés parlent (Stock), décrit “une dépendance dépassant l’obédience à toute autre doctrine religieuse, philosophique ou politique…”
Dans Question de l’analyse profane, en 1926, Freud lui-même déclarait : “La relation que le malade adopte envers l’analyste est de la matière d’un état amoureux. Il éteint l’intérêt pour la cure et pour la guérison… Notre travail a pour résultat de chasser une forme de maladie pour une autre.”
Aujourd’hui, pour ceux qui ne prendraient pas soin de choisir un thérapeute qualifié, il peut n’y avoir qu’un pas entre attachement et nocivité. Selon le rapport rendu fin février à la ministre déléguée à la citoyenneté, 40 % des signalements pour dérives sectaires concernent l’univers du bien-être et les thérapies de développement personnel.
Etre une bonne mère, un bon couple, un(e) bon amant(e)… autant de diktats assénés via une parole psy trop souvent vulgarisée sous forme de kit à penser. Avec des individus pris en charge, guidés, infantilisés, déresponsabilisés au nom d’une anxiogène obligation de performance.
Notons pour conclure, sur les limites du “tout psy”, que la victimologie est aujourd’hui une spécialité psy très médiatisée. Et si une société avait tout intérêt à victimiser ses membres pour les garder sous contrôle ? Ainsi le psychologue et analyste jungien James Hillman ironise-t-il : “Pourquoi les gens intelligents, sensibles sont-ils tellement passifs ? Parce qu’ils sont en thérapie.”
Armelle Oger est l’autrice de Vous devriez voir quelqu’un. De la maternelle à la carte sénior, comment les psys s’immiscent dans nos vies, aux éditions de l’Artilleur (2018).