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Cinéma et climat : “Le 7e art peut influencer l’Histoire”

TRIBUNE. À l’occasion du 74e Festival de Cannes, un collectif d’artistes, dont Cyril Dion, Aïssa Maïga, Louis Garrel ou Marion Cotillard, appelle le monde du cinéma à jouer un rôle plus actif dans la protection du vivant et du climat.

Le 12/07/2021 par WeDemain
Partie de l'affiche du film "Animal" de Cyril Dion
Crédit : Partie de l'affiche du film "Animal" de Cyril Dion, l'un des auteurs de cette tribune "Le cinéma pour le climat".)
Crédit : Partie de l'affiche du film "Animal" de Cyril Dion, l'un des auteurs de cette tribune "Le cinéma pour le climat".)

À l’occasion du 74e Festival de Cannes, et de la sélection éphémère “Le Cinéma pour le Climat”, Magali Payen, fondatrice du mouvement “On Est Prêt” et Cyril Dion, auteur et réalisateur, du documentaire Animal, appellent le monde du cinéma à agir pour la protection du vivant et la lutte contre le dérèglement climatique à travers une tribune.

Cette tribune s’inscrit dans la continuité de celle initiée par le réalisateur et par le mouvement “On est prêt” il y a deux ans, “Résister et créer“. Les signataires sont des membres des équipes des films de la sélection “Le Cinéma pour le Climat” :
Aïssa Maïga, réalisatrice de Marcher sur l’eau
Flore Vasseur, réalisatrice de Bigger Than Us
Louis Garrel, réalisateur de La Croisade
Marie Amiguet, réalisatrice de La Panthère des Neiges
Marion Cotillard, productrice de Bigger Than Us
Magali Payen, fondatrice du mouvement On est prêt

TRIBUNE : le cinéma pour le climat

Cette année, le Festival de Cannes a décidé de créer une sélection éphémère “le cinéma pour le climat”. Mais que peut le cinéma pour le climat ? Et plus globalement pour la crise écologique ou sociale ? Sans doute plus que nous ne l’imaginons… Depuis qu’il existe, le 7e art a joué un rôle majeur dans la construction de nos imaginaires collectifs et a largement influencé des mouvements de l’Histoire.

Ainsi, lorsque Jules Verne en 1865 imagina, dans De la Terre à la Lune, la propulsion d’un obus abritant trois hommes vers le satellite terrestre, il ne savait pas encore qu’il inspirerait H.G. Wells en 1901, dont le roman Les Premiers Hommes dans la Lune, serait adapté par Georges Méliès au cinéma en 1902 dans Le Voyage dans la Lune. Ni que ce récit ensemencerait de nombreuses œuvres ultérieures qui se nourriraient les unes les autres : La Femme sur la Lune en 1929 où Fritz Lang mit en scène l’alunissage d’une fusée, qui inspirera directement le film soviétique Le Voyage cosmique en 1936, mais aussi Irving Pichel et son film Destination Moon… En 1969, l’imagination humaine avait suffisamment travaillé pour que la puissance évocatrice du projet mobilise les énergies et permette de le matérialiser lors de la première mission Apollo.

Influence pour le meilleur et pour le pire

Cette influence du cinéma a aussi été utilisée, pour le meilleur et pour le pire, par de nombreuses puissances politiques au cours du XXe siècle. Entre 1933 et 1945, mille deux cents longs-métrages ont été tournés dans l’Allemagne nazie, de la comédie sentimentale à la fresque historique pour appuyer l’effort de guerre. Côté américain, alors que les négociations du plan Marshall battaient leur plein, Eric Johnston, président de la Chambre de Commerce américaine et de la Motion Picture Association of America fut dépêché en 1947.

En échange des milliards attribués à la reconstruction, ce dernier imposa de disposer de 60 % des droits de diffusion sur les écrans européens. Comptant ainsi y implanter la culture et les entreprises américaines : le Coca, les jeans, les supermarchés, les voitures, les pavillons de banlieue… Il déclara devant la commission des activités anti-américaines : “Le cinéma américain est, et doit être toujours davantage, une arme de combat contre le communisme.”

Nous, êtres humains, sommes une espèce fabulatrice. Nos psychés sont façonnées par les récits individuels et collectifs que nous élaborons et partageons ; nos perceptions sont influencées par les histoires qui nous sont contées. Nous pouvons utiliser grossièrement ce talent pour manipuler l’opinion ou nous pouvons, avec intégrité, élaborer des œuvres d’art qui laissent les spectateurs libres et ouvrent des perspectives nouvelles. Le cinéma peut nous aider à comprendre des phénomènes qui nous échappent, à considérer des points de vue qui nous sont étrangers et à les apprivoiser, tant sur le plan intellectuel qu’émotionnel.

Ainsi, combien de films ont participé à faire évoluer nos regards sur l’égalité entre les femmes et les hommes, entre les personnes de différentes couleurs, origines et milieux sociaux, entre les hétérosexuels et les membres de la communauté LGBT+ ? Parmi les productions récentes on pense, en vrac, à Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, Danish Girl de Tom Hooper, Moonlight de Barry Jenkins, Selma d’Ava DuVernay, Parasite de Bong Joon-Ho ou Malcom X de Spike Lee…

“Combien de films nous ont ouvert les yeux sur des réalités que nous ne voulions pas voir”

Combien de films nous ont ouvert les yeux sur des réalités que nous ne connaissions pas ou que nous ne voulions pas voir : Farenheit 911 de Michael Moore sur les véritables motivations de la guerre en Irak, Citizen Four de Laura Poitras sur la surveillance de masse, Les Misérables de Ladj Ly sur la complexité des banlieues françaises, Révélations de Michael Mann ou Dark Waters de Todd Haynes sur les manipulations de l’industrie, Spotlight de Tom McCarthy ou Grâce à Dieu de François Ozon sur la pédophilie dans l’Église.

Aujourd’hui, la lutte contre le changement climatique et la disparition des espèces est un enjeu vital pour l’avenir de l’humanité. Alors que la température moyenne du globe a augmenté de 1,1 °C depuis 1880, des méga-feux dévorent déjà les forêts de tous les continents. En 2019 ils ont tué 1,2 milliard d’animaux en Australie. En 2020 et 2021 ils ont fait partir en fumée des villages entiers sur la côte ouest des États-Unis et du Canada. Des sécheresses terribles perturbent l’agriculture dans de nombreux pays et des êtres humains sont menacés d’être durablement privés d’eau. Des canicules inédites tuent déjà les personnes les plus fragiles.

Rien que pendant l’année 2020, plus de 30 millions de personnes ont été déplacées, provoquant des tragédies individuelles mais aussi des déstabilisations politiques qui ont renforcé l’extrême droite à travers le monde. Or, si nous poursuivons sur la même trajectoire, il pourrait faire 3 à 4 °C supplémentaires en moyenne sur la planète en 2100, ce qui rendrait de nombreuses régions inhabitables.

“Nous croyons profondément que le cinéma doit jouer son rôle pour nous aider à regarder ces réalités en face, mais également pour mobiliser nos ressources collectives et créatives.”

Accélérer la prise de conscience écologique

En 2007, Une vérité qui dérange d’Al Gore, présenté à Cannes puis couronné d’un Oscar, a ouvert les yeux du monde entier sur le changement climatique. Depuis 2008, le film Home de Yann-Arthus Bertrand a été vu par plus de 800 millions de personnes dans le monde, accélérant la prise de conscience écologique. En 2016, le film Demain de Cyril Dion et Mélanie Laurent a fait souffler un vent d’espoir et déclenché des milliers d’actions dans plusieurs pays. En 2019, la série documentaire Notre Planète de David Attenborough a sensibilisé plus de 40 millions de personnes à la beauté et à la fragilité du vivant.

Des millions de jeunes, terrifiés par l’avenir et mobilisés par la perspective de réinventer nos façons de vivre ont investi les rues pendant deux ans, bousculant les leaders politiques et occupant les conversations médiatiques. Certains d’entre eux ont déjà pris la parole à Cannes en 2019 avec le mouvement On est prêt autour de la tribune Résister et Créer. Ils sont cette année les héros de plusieurs des films que nous présentons au festival. Ils représentent ceux pour qui nous nous battons, en même temps que l’espoir de voir émerger une génération dont une nouvelle vision du monde permettra de résoudre les défis immenses qui nous sont posés.

Imaginer comment nous pourrions vivre demain

Mais quelques films ne suffiront pas à changer la donne, nous avons besoin que des centaines d’autres abordent ces problématiques chaque année et proposent d’autres représentations de l’avenir. Depuis plusieurs années maintenant, les héros sont aussi des héroïnes, nos histoires mettent en scène des personnages gays, trans, de toutes les couleurs de peau et nous laissent espérer que les enfants et les adolescents qui se construisent avec ces représentations ne verront pas le monde comme ceux qui ont été biberonnés aux films ou aux séries des années 1980 ou 90 où des hommes blancs et hétérosexuels régnaient sans partage.

De la même façon, nous avons besoin d’histoires qui mettent en scène d’autres façons de se déplacer, d’habiter, d’autres relations avec les animaux, les arbres et les océans. Des histoires qui racontent de quelle façon nous pourrions sortir de ce pétrin. D’autres qui imaginent comment nous vivrions demain, en sortant des éternelles dystopies apocalyptiques ou des fantasmes ultra-technologiques. Car comment construire un autre monde si nous ne pouvons pas d’abord l’imaginer ?

Ce sont toutes ces histoires que nous pouvons raconter. C’est ce que nous avons modestement commencé à faire et que le festival de Cannes a décidé de mettre en lumière. Nous espérons que vous serez très nombreux à nous rejoindre, pour faire ces films, pour aller les voir et pour contribuer à réparer ce monde. Il en a bien besoin.

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