Partager la publication "Sonita Alizadeh, la jeune Afghane qui rappe contre les mariages forcés"
C’est un prix qui récompense un combat de longue haleine. La jeune Afghane Sonita Alizadeh va recevoir ce jeudi le prix Liberté 2021, lors du Forum mondial Normandie pour la paix, à Caen, dont WE DEMAIN est partenaire. Un prix qui salue son engagement contre le mariage des mineures dans le monde.
La jeune femme a été elle-même intimement confrontée à cette violence. À deux reprises, Sonita Alizadeh a failli être mariée de force dans son pays, contre quelques poignées de dollars. Une situation encore très fréquente en Afghanistan, qui ne s’améliore pas avec le retour des talibans.
C’est la musique qui “sauve” la jeune femme. À 13 ans, elle découvre en effet le rap à travers les chansons d’Eminem et du rappeur iranien Yas. Pour exprimer sa colère, elle écrit des textes engagés et réalise un clip très remarqué grâce à l’aide de la réalisatrice iranienne Rokhsareh Ghaem Maghami. Une association la repère et l’aide à fuir aux États-Unis.
Aujourd’hui âgée de 25 ans, elle y étudie le droit pour devenir avocate. Et continue de militer contre les mariages forcés. C’est depuis cette terre d’exil que Sonita Alizadeh a répondu à nos questions.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous aviez reçu le prix Liberté ? Comment cela peut vous aider ?
Sonita Alizadeh. Je suis honorée d’avoir été à la fois nominée et sélectionnée pour ce prix. Le fait qu’il soit remis par des jeunes est particulièrement encourageant [5 683 jeunes de 15 à 25 ans issus de 86 pays ont voté en ligne pour primer Sonita Alizadeh, ndlr]. Que des éducateurs incluent la lutte pour les droits de l’homme dans leur programme et que des étudiants y participent activement donne de l’espoir pour l’avenir.
Ce qui est bienvenu compte tenu de la situation en Afghanistan. Les femmes ne travaillent pas et les filles ne sont pas autorisées à aller à l’école. J’espère donc utiliser cet argent pour aider les filles à poursuivre leurs études.
Avec le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, quel est le sort réservé aux jeunes filles ?
Ma plateforme de plaidoyer vise l’abolition du mariage des enfants. Une pratique liée à l’inégalité entre les sexes et à la croyance que les femmes et les filles sont des citoyens de seconde zone, privés de leurs droits humains et moins valorisés en raison de leur sexe. Elle est aussi liée à la pauvreté : près de 40 % des filles dans les pays les plus pauvres du monde sont mariées dans leur enfance, soit le double de la moyenne mondiale. Ou encore au manque d’accès à l’éducation, à l’aide sociale, aux filets de protection, à l’insécurité.
Les 10 pays avec les taux de prévalence du mariage des enfants les plus élevés sont soit fragiles, soit extrêmement fragiles. La prévalence de ces mariages forcés augmente pendant les crises causées par les conflits, la violence généralisée ou encore les aléas naturels. Tous ces facteurs sont réunis en Afghanistan. Les femmes et les filles sont donc en danger, leurs droits humains fondamentaux sont bafoués.
Malgré tout, des femmes afghanes, avec l’aide de la communauté mondiale, élèvent la voix et luttent pour leurs droits. Elles ont fait face à d’énormes défis dans le passé et ont toujours lutté. Je suis convaincue que ce ne sera pas différent.
Quelle est la situation des artistes, notamment des rappeuses sur place ?
Il est difficile pour moi de le savoir précisément car je ne suis pas sur place. La situation évolue rapidement. Mais les rapports que je reçois suggèrent que les femmes sont devenues des cibles dans le climat politique actuel.
Avez-vous un message à faire passer à la communauté internationale réunie lors de ce Forum pour la Paix ? Et aux jeunes qui hésiteraient à s’engager ?
Je présenterai un discours de remerciement préenregistré lors de la cérémonie de remise des prix. Quant aux jeunes qui hésitent à s’engager, je n’ai pas de leçons à donner. Il existe d’innombrables raisons pour lesquelles les gens peuvent ne pas se manifester. La sécurité en premier. De mon côté, j’ai ressenti le besoin de parler, mais c’est un choix personnel.
Vous vivez maintenant aux États-Unis. Comment continuez-vous à défendre la paix et la liberté ?
Je continue mon plaidoyer à travers de nombreuses organisations telles que Girls not Brides, The Global Women’s Empowerment Network et The Global Partnership for Education. Je crée toujours de nouvelles musiques et de nouveaux médias. J’ai ainsi participé à divers projets mondiaux d’autonomisation sociale et j’espère lancer un projet dirigé par les étudiants cette année. Tous mes projets peuvent être retrouvés sur mon site Internet.
Par ailleurs, je vais à l’école aux États-Unis au Bard College, qui s’est engagé à accueillir jusqu’à 100 étudiants afghans, ainsi que des universitaires menacés, sur les campus d’Annandale, Great Barrington et Berlin. Bard a aussi créé un fonds pour leur fournir un soutien vital et juridique. N’importe qui peut d’ailleurs faire un don au Bard Afghan Student Fund pour soutenir un étudiant afghan. Ce n’est qu’un exemple de la façon dont chacun de nous peut être un guerrier de la liberté, à la fois localement, nationalement et mondialement.