Partager la publication "Réchauffement climatique : Total savait depuis 50 ans"
C’est l’histoire d’une “Fabrique de l’ignorance”. Dès 1971, Total était au courant des conséquences néfastes de ses activités pour le climat. Pourtant, le géant pétrolier a entretenu le doute jusqu’aux années 1990. Freinant ainsi les efforts pour limiter le recours aux énergies fossiles.
Voilà ce que révèle un article paru le 20 octobre au sein de la revue Global Environmental Change.
Rédigé par deux historiens, Christophe Bonneuil, directeur de recherche au CNRS, et Benjamin Franta, chercheur à l’université américaine de Stanford, ainsi qu’un sociologue de Sciences Po, Pierre-Louis Choquet, cet article choc s’appuie à la fois sur les archives du groupe pétrolier, des revues internes et des interviews d’acteurs du secteur.
Silence de Total sur le réchauffement
Ainsi, une revue interne de Total, en 1971, explique que la combustion d’énergies fossiles conduit “à la libération de quantités énormes de gaz carbonique” dans l’atmosphère. Une “augmentation (…) assez préoccupante”, note ce même texte.
Qui ajoute : “Il n’est pas impossible (…) d’envisager une fonte au moins partielle des calottes glaciaires des pôles, dont résulterait à coup sûr une montée sensible du niveau marin. Ses conséquences catastrophiques sont faciles à imaginer…” Pour autant, le groupe passe cette réalité sous silence.
Bernard Tramier, directeur de l’environnement chez Elf puis Total de 1983 à 2003, cité dans l’article, raconte aussi avoir été informé de l’importance du réchauffement climatique en 1984. Deux ans plus tard, il alerte le comité exécutif d’Elf, disant : “Il est donc évident que l’industrie pétrolière devra une nouvelle fois se préparer à se défendre”. Preuve d’une évidente duplicité du groupe français, selon les auteurs.
Car, en parallèle, Total et Elf font “pression, avec succès, contre les politiques qui visaient à réduire les émissions de gaz à effet de serre”, avance l’étude.
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Créer de l’incertitude
Dans les années 1990, Total passe du silence à la contre-offensive rhétorique. Les experts climat de l’ONU, le GIEC, publient leur premier rapport en 1990. S’en suit le sommet de la Terre à Rio en 1992. Le protocole de Kyoto est adopté en 1997.
Difficile dès lors de remettre en cause publiquement les sciences climatiques. Mais l’industrie pétrolière cherche à créer de l’incertitude, minimise l’urgence climatique et l’impact des énergies fossiles sur le réchauffement.
Dans un document de 1993, un haut cadre de l’entreprise conseille ainsi d’insister sur “les doutes scientifiques en matière d’effet de serre”, de “montrer que contrairement à une idée à la mode, l’écologie est plus destructrice que créatrice d’emplois”, ou encore de “développer le thème : les charges de l’environnement sont supportées par le contribuable et/ou par les consommateurs”.
Le tout en continuant d’augmenter les investissements dans la production pétrolière et gazière.
Transition énergétique
Vers le milieu des années 2000, changement de communication. Le groupe Total, qui a absorbé Elf en 1999, accueille une conférence sur le changement climatique en septembre 2006. Son PDG de l’époque, Thierry Desmaret, reconnaît la réalité du changement climatique et les conclusions du GIEC.
Désormais, Total cherche à se présenter comme un acteur engagé de la transition énergétique. L’entreprise “commence à promouvoir une division des rôles entre la science qui décrit le changement climatique et les entreprises qui prétendent le résoudre”, poursuivent les auteurs.
Contacté avant la publication de l’article par le magazine Complément d’enquête de France 2, Total a répondu qu’il était “faux de soutenir que le risque climatique aurait été tu dans les années 1970 ou ensuite, dès lors que Total suivait l’évolution des connaissances scientifiques disponibles publiquement”. L’entreprise précise aussi que, depuis 2015, la “compagnie est engagée dans une profonde transformation de ses activités avec l’ambition d’être un acteur majeur de la transition énergétique (…) et d’atteindre la neutralité carbone à horizon 2050”.
Pas assez pour plusieurs ONG. Rebondissant sur ces révélations, Notre Affaire à Tous et 350.org lancent une campagne de mobilisation. Elles demandent aux décideurs publics de tenir la multinationale responsable, et aux institutions financières de cesser de la financer. Comme vient de le faire La Banque postale.
À quelques jours de la COP26, ils appellent enfin “gouvernements et acteurs financiers à contraindre TotalEnergies à s’aligner sur les recommandations du GIEC en cessant de développer de nouveaux projets fossiles”.