Partager la publication "Réchauffement climatique : en Suisse, les bisses reprennent du service"
Depuis des centaines d’années, les Valaisans ont creusé et entretenu de petits canaux dans la montagne suisse. Ils captent l’eau des ruisseaux et des glaciers afin d’arroser les champs agricoles et d’alimenter les villages du canton. Ils sont généralement creusés dans la terre, la roche et/ou fait de planches de bois soutenues par des poutres fixées à flanc de montagne. Légèrement en pentes, ils conduisent en douceur l’eau des torrents vers le bas de la vallée. Un véritable système hydro-agricole qui aurait vu jour autour du XIIe siècle. Objectif ? Répondre à une hausse des températures et à une croissance démographique qui nécessitait un meilleur rendement des parcelles exploitées.
Le Bisse de Saxon – qui traverse la jolie petite station de La Tzoumaz – est le plus long du Valais. En effet, il s’étend sur quelque 32 kilomètres. Construit entre 1865 et 1876, il guide l’eau des fontes et pluies vers les différents endroits à irriguer (un pré, une vigne…). Quelques pierres au milieu d’un ou plusieurs torrents suffisent souvent à détourner l’eau vers le bisse. Un système d’irrigation très ancien mais qui a fait ses preuves… et revient en force avec le réchauffement climatique et la multiplication des périodes de sécheresse. “Le bisse de Saxon est aussi utile pour nos besoins en eau que pour l’attractivité touristique”, nous confie Christel Duc, présidente de la commune de Riddes, traversée par le canal d’irrigation.
Dans le Valais, 80 % des surfaces irriguées grâce aux bisses
À l’heure actuelle, rien que dans le Valais, un peu moins de 200 bisses sont encore en activité. Selon un inventaire datant de 2018, il y aurait 188 bisses en eau de plus d’un kilomètre. Mais il y en a eu jusqu’à 600 par le passé, sur plus de 1800 kilomètres. Et 80 % des surfaces du Canton (vignobles, prairies et cultures variées) sont irriguées par l’eau amenée par les bisses. Pour chacun, il a été formalisé des droits et obligations sur la ressource en eau que cela procure. Et même des sanctions en cas de non-respect du règlement établi par le “consortage d’irrigation”, c’est-à-dire l’association qui gère le bisse. Son fonctionnement est majoritairement assuré par les travaux bénévoles de ses membres.
En effet, l’entretien courant, les réparations et la surveillance des bisses sont réalisés par ceux qui en bénéficient ainsi que par les communes. Les bisses assurent un vrai rôle sécuritaire pour la collectivité en recueillant notamment les eaux provenant de la fonte des neiges, de ruissellement, les eaux de surface. Mais ils sont aussi régulièrement victimes des dégâts importants (glissements de terrain, effondrements, chutes de pierre, d’arbres, etc.). Des dégâts dont leur réparation ne pourrait pas être supportée uniquement par des exploitants privés. La gestion communautaire est donc la seule solution viable sur le long terme. C’est pourquoi un certain nombre de bisses du Valais en activité, plus de 80, sont encore gérés par des consortages.
Le Val de Bagnes, petit paradis des bisses
En plein Valais, dans le Val de Bagnes, vallée qui accueille notamment la célèbre station de Verbier, on compte pas moins de quatre de ces canaux historiques. Le bisse du Levron est long de 13 kilomètres. Construit aux alentours de 1460, il oscille entre 1900 et 2400 mètres d’altitude. On trouve également le bisse de Corbassière (3 kilomètres), le bisse de Bruson (2,6 kilomètres) et la raye des Verbiérins (2,5 kilomètres). Mais bien d’autres bisses, plus ou moins longs, sont encore en activité.
Si le nombre de bisses a diminué dans le Valais au cours du siècle dernier en raison du recul de l’agriculture et des nouvelles méthodes d’irrigation, le réchauffement climatique a remis ce système hydro-agricole au goût du jour. Mais ils ne sont pas seulement les témoins d’un certain savoir-faire technique. Ils sont aussi le fruit d’une activité multiséculaire qui repose sur un partage équitable de la ressource (l’eau), devenue un élément central des communautés vivant dans le canton. Ce système a permis de limiter les rivalités pouvant exister quant à l’accès à cette ressource commune.
Ces canaux présentent également aujourd’hui une véritable attraction touristique avec notamment des activités organisées autour de leur parcours. En effet, des sentiers longent ces canaux d’irrigation et permettent de découvrir la montagne en douceur.
Le bisse des Ravines, aussi utile que touristique
Mis en eau en 1908, le bisse des Ravines avait été abandonné en 1942 avant d’être entièrement réhabilité, avec un nouveau parcours qui a été inauguré en 2013. En eau de mi-mai à mi-octobre, il est long d’environ 2,5 kilomètres. Et permet une balade familiale de deux heures en boucle au départ du très joli et typique village de Bruson (1000 mètres d’altitude). Les enfants peuvent même mettre à l’eau un petit bateau en bois et le suivre descendre en pente douce le bisse.
Surtout, avec le soutien du PALP Festival, qui organise des événements culturels en montagne, des artistes sont venus habiller le bisse des Ravines avec des œuvres d’art mécaniques et poétiques ayant toutes un lien avec l’eau. Ce “parcours constellé de bizarreries mécaniques”, nommé Exposition Batinta, utilise en effet l’énergie de l’eau pour donner vie aux engins créés par les artistes.
Pourquoi Batinta ? “C’est le nom donné à un moulin à eau qui, entraîné par l’énergie hydraulique, actionne un marteau battant le rythme. Le but était d’envoyer un son reconnaissable jusqu’au village, ou au garde du bisse. En cas de bruit inhabituel, les habitants pouvaient ainsi savoir s’il y avait un problème avec le flux d’eau”, nous explique Samantha Schmidt, responsable Communication & Promotion du PALP Festival.
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