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Ernst Zürcher : “L’économie circulaire est un principe de la nature”

Ernst Zürcher, ingénieur forestier, s’est rendu au Costa Rica pour comprendre et montrer les liens indissociables entre l’ensemble des vivants. De ce voyage est né le film Pacifique, à la rencontre du Costa Rica, un témoignage du modèle que représente le pays de la Pura Vida en termes de rapport au vivant.

Le 27/08/2022 par Joséphine Maunier
Costa Rica volcan Arenal
Le Costa Rica abrite 6% de la biodiversité mondiale. Image d'illustration : Flickr
Le Costa Rica abrite 6% de la biodiversité mondiale. Image d'illustration : Flickr

Pour Ernst Zürcher, ingénieur forestier et docteur en sciences naturelles, le lien entre les êtres vivants et les arbres est un principe fondamental essentiel. Présenté à l’occasion du festival Agir pour le vivant, organisé par la maison d’édition Actes Sud, le film Pacifique, à la rencontre du Costa Rica, tourné par MUSEO, offre au public un nouveau regard sur ce pays petit par sa taille mais immense par sa richesse et sa biodiversité.

À l’heure des grands enjeux climatiques et environnementaux, le Costa Rica propose un nouveau rapport au vivant et un modèle tenable et enviable vers une transition écologique. À travers le regard de divers acteurs du territoire, le film casse la notion de domination et favorise des rapports entre vivants plus harmonieux. WE DEMAIN s’est entretenu avec Ernst Zürcher pour comprendre le modèle costaricain et plus largement ce que les arbres peuvent nous apprendre.

WE DEMAIN : Pourquoi avoir choisi de tourner au Costa Rica ?

Ernst Zürcher devant un kapokier (Ceiba pentandra) au Costa Rica.
Crédit : Ernst Zürcher

Ernst Zürcher : Le Costa Rica est lié à un rêve que je réalise progressivement : aller à pied d’un endroit marquant à un autre. Je souhaite relier l’Atlantique au Pacifique et lorsque j’ai raconté cette envie au cinéaste Jean-Pierre Duval, ça l’a inspiré. À ce rêve s’est ensuite greffé l’idée du Costa Rica, un pays en première ligne dans la transition écologique et qui fait preuve d’une attitude exceptionnelle à l’égard de la nature et du vivant.

La peine de mort a été abolie en 1877. L’armée a été supprimée en 1948 et son budget redirigé vers l’éducation et le maintien de la biodiversité. Mais le pays est aussi parvenu à un reboisement des forêts dégradées jusqu’à retrouver un niveau phénoménal à l’aube de l’an 2000. En de nombreux points, le Costa Rica est un modèle dont nous gagnerons à nous inspirer.

Vous mettez en avant le terme “pacifique” qui prend une triple signification. Comment peut-on s’en inspirer ?

E.Z. : Le terme “pacifique” renvoie évidemment à l’océan qui borde la côté ouest du Costa Rica mais aussi à l’attitude des gens entre eux et de l’humain face à la nature. Nous devons transformer l’attitude prédatrice de l’homme occidental en partenariat avec le vivant afin de réussir la transition écologique.

L’économie circulaire est un principe de la nature. La nature ne cherche pas à simplifier et à faire des monocultures. Au contraire, elle cherche constamment à diversifier pour créer de l’abondance par cette diversité. De plus, tout ce qui retourne aux sols permet à la génération suivante de prospérer. Un aspect est essentiel dans ce phénomène, c’est l’interaction entre les plantes et le monde animal : la faune et la flore co-évoluent. Désormais, la question est de savoir comment nous allons nous inscrire, humains, dans une co-évolution avec la nature. 

Dans le documentaire, les cultures anciennes et “leurs savoirs à priori contre-intuitifs” sont essentiels pour comprendre la nature. Quelle place donner à ces connaissances dans nos sciences modernes occidentales ?

E.Z. : Les savoirs traditionnels dont on ne connait pas les méthodes ou que l’on ne sait pas appliquer arrivent à des résultats par des pratiques extrêmement efficaces. Nombre de ces pratiques constituent des hypothèses de travail pour notre science moderne. Prendre ces savoirs traditionnels au filtre de la méthodologie scientifique moderne permet à la fois d’enrichir la science et de réhabiliter l’ancien. Ainsi, la science rejoindra la tradition. Mais pour cela, il faut comprendre pourquoi ça fonctionne et pas seulement répliquer; une certaine part de ces savoirs est toutefois de l’ordre de la superstition, mais offre toujours des champs de réflexion.

Vous mentionnez le rapport 13-8 dans le film, qui correspond au nombre d’or. À la dimension mathématique, vous ajoutez une dimension esthétique. Que signifie cette présence permanente du nombre d’or ?

E.Z. : La question de l’esthétisme est importante. Certains mathématiciens parlent ainsi d’une équation élégante et en opposition, il y a des manières laborieuses de résoudre des problèmes. La différence entre les deux est la notion d’énergie nécessaire. J’ai de plus en plus la conviction que lorsque les choses sont bien conçues et belles à voir, l’énergie vient d’ailleurs. Ce n’est pas simplement une énergie de volonté.

Par ailleurs, le nombre d’or est tel que le plus petit (8) est au plus grand (13) comme le plus grand est au tout (21). Ce qui est intéressant ici, c’est que le plus grand n’est pas dominant parce qu’il est lui-même soumis à un plus grand encore auquel participe le plus petit. Ce dernier compte aussi pour le plus grand car ensemble, ils font un tout. Dans cette logique le principe de domination ne se maintient donc pas. 

Le nombre d’or s’exprime dans des structures végétales, dans l’équilibres des spirales, dans les proportions du corps humain, dans l’astronomie… Faire attention à cet esthétisme ouvre des canaux vers de nouvelles idées – c’est essentiel pour la science. Par ailleurs, l’esthétisme ne se définit pas, comme le nombre d’or, qui est un nombre irrationnel, incalculable et qui pourtant est partout dans la nature. Après, reste à savoir si c’est la nature qui se sert de ça ou si c’est ça qui se sert de la nature pour se montrer.

Curridabat, une ville dans la banlieue de San José, la capitale, a lancé l’expérience “Ciudad Dulce”. Quel est ce principe ?

E.Z. : Ce concept de ville douce, développé par l’ancien maire Edgar Mora, invite la nature à se développer et se reconnecter au centre de la ville, qui est végétalisé par des parcs, par exemple. L’idée est de connecter les lieux de vie avec la nature environnante via des corridors de biodiversité pour que les pollinisateurs puissent progressivement entrer et enrichir les villes. C’est une ville dans laquelle la nature pulse de nouveau, ces corridors servent de veines.

Ce concept fait beaucoup réfléchir les scientifiques. Nos villes sont principalement des îlots de chaleur. Il est primordial de reconnecter la ville à l’espace naturel extérieur. Mais je propose d’aller plus loin : chaque maison devrait s’inspirer du modèle de l’arbre, dans le but de faire circuler mieux encore la biodiversité. Les toits végétalisés c’est bien, mais il faudrait en réalité faire des maisons entièrement végétalisées (houblon, vigne vierge, vigne sauvage, lierre…). Et dans ce cas, la maison s’alimente elle-même en eau, en s’inspirant du processus de la forêt. La forêt reçoit les précipitations, les stocke dans son sous-sol, n’en utilise qu’une partie pour sa propre croissance puis les diffuse dans les rivières, fleuves et nappes phréatiques. Grâce au toit, aux façades végétalisées et au sous-sol ou garage converti en citerne, ce procédé peut naturellement se répliquer. Encore une fois, on revient à l’économie circulaire de la nature.


Pacifique, à la rencontre du Costa Rica, un film d’Ernst Zürcher, Jean-Pierre Duval, Caroline Breton et Franco Gamarra.
Crédit : MUSEO Films

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