Partager la publication "Alpes : année noire pour les glaciers en 2022"
Le réchauffement climatique aura-t-il la peau des “géants blancs” ? Alors qu’on annonce la fin de bon nombre de glaciers des Alpes d’ici 2050, le bilan de l’année 2022 est pour le moins inquiétant. Le glacier du Grand Paradis, situé en Italie dans la vallée d’Aoste, a enregistré un recul frontal de 200 mètres. Début juillet, l’effondrement d’un énorme bloc du glacier de la Marmolada, le plus haut des Alpes italiennes, a fait onze morts. Perché à 2 700 mètres d’altitude, le glacier de Planpincieux, dans le massif des Grandes Jorasses, toujours côté italien, inquiète aussi. Il fait l’objet d’une “surveillance particulière” car on craint là encore un effondrement.
En Suisse, la situation est tout autant catastrophique, souligne la Commission d’experts réseau de mesures cryosphère de l’Académie suisse des sciences naturelles. Des glaciers situés à plus de 3 000 mètres d’altitude dans la région d’Engadine (sud-est du pays) ont été transformés par la chaleur et la sécheresse cet été. “Une couche de glace de 4 à 6 mètres d’épaisseur a disparu. C’est parfois deux fois plus que le maximum” enregistré jusqu’à présent. “Même aux points de mesure les plus élevés, comme par exemple le Jungfraujoch [qui culmine à presque 3 500 mètres d’altitude, ndlr] on a pu mesurer des pertes notables“, explique le groupe d’experts. Dans les Alpes occidentales, un recul frontal annuel d’environ 40 mètres est enregistré en moyenne.
2022, annus horribilis aussi pour les glaciers français
En France aussi, la situation est inquiétante. Et remet sur le devant de la scène le drame du 12 juillet 1892 dite “catastrophe de Saint-Gervais”. Ce jour-là, dans la vallée voisine de celle de Chamonix, la rupture d’une poche d’eau à l’intérieur du glacier de Tête-Rousse avait provoqué une énorme crue. Celle-ci avait fait au moins 200 victimes en déferlant sur les villages en contrebas. Ce glacier fait d’ailleurs toujours l’objet d’une surveillance rapprochée. Et a été vidangé à deux reprises, en 2008 et 2012, pour éviter tout nouveau drame.
Dans la vallée de Chamonix, le glacier du Montenvers a, lui, perdu pas moins de 7 mètres d’épaisseur entre fin mai et mi-août, selon le glaciologue Luc Moreau. Il a aussi constaté l’effacement de la mer de Glace de 1 mètre en une semaine durant l’été. Celle-ci réputée pour sa blancheur est devenue en grande partie une mer de roches grises. De nombreux touristes montent à l’aide du petit train du Montenvers voir ce désastre du réchauffement climatique. Et, espérons-le, prendre conscience des effets dévastateurs sur la nature. Depuis 1980, la mer de Glace perd en moyenne 4 mètres d’épaisseur par an. Or, cet été, la fonte a été de plus de 8 mètres.
La limite du 0°C enregistré à des altitudes record cet été
Fin juillet, Météo Suisse a enregistré, via un ballon-sonde météorologique, un point de congélation record. La limite du 0°C) a été évalué dans le massif du Mont Rose à 5 184 mètres. Un record. Et des chiffres tout à fait inhabituels. Normalement, au mois d’août, l’altitude du point zéro degré devrait être d’environ 3 500 mètres.
“Selon les estimations, 85 à 95 % de la surface des glaciers alpins auront disparu d’ici la fin du siècle, voire en 2070 ou 2080 à ce rythme”, explique Ludovic Ravanel, géomorphologue et guide montagne à Chamonix au journal suisse Le Temps.
“Selon les estimations, 85 à 95 % de la surface des glaciers alpins auront disparu d’ici la fin du siècle, voire en 2070 ou 2080 à ce rythme.”
Ludovic Ravanel
De plus en plus de glaciers déclarés morts
Dans les Pyrénées françaises, les glaciers du Boum et du Portillon, situés à 2 800 mètres d’altitude, ont été déclarés morts cet automne. Ils ne sont donc plus inscrits à l’inventaire des glaciologues et ne seront plus mesurés. En cause : un été précoce puis très chaud, un automne extrêmement doux en octobre-novembre et des dépôts de sable du Sahara qui ont contribué à leur désagrégation. L’eau fond, crée de petits lacs glaciaires avant de s’évaporer ou de s’écouler vers la vallée.
Par le passé, d’autres glaciers ont déjà été déclarés morts. En 2014, après 700 ans d’existence, le glacier islandais Okjökull a été lui aussi victime du réchauffement climatique. Des funérailles ont été organisées par des ONG pour souligner le drame. Même chose en Suisse, où le glacier Pizol a lui aussi succombé, évaporé sous les chaleurs estivales en 2019. Il ne subsiste plus que l’équivalent de quatre terrains de football de glace. Une longue marche funèbre en montagne avait été organisée. Une centaine de personnes est venue saluer la fin de ce glacier, situé près du Liechtenstein et de l’Autriche. “Depuis 1850, on estime qu’il y a plus que 500 glaciers suisses qui ont complètement disparu”, a déclaré Matthias Huss, glaciologue à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Et la situation n’est, hélas, guère différente en France.