Partager la publication "Entre éco-gestes et “green bloc”, la sobriété intègre aussi l’hôpital"
Selon le rapport “Décarboner la santé pour soigner durablement” du Think Thank The Shift Project, le système de santé représente près de 8 % des émissions de gaz à effet de serre en France, soit quelque 50 millions de tonnes de CO2. Un chiffre qui s’explique en partie par des usages coûteux en logistique, tels que l’omniprésence du matériel à usage unique, notamment à l’hôpital, ou encore la mauvaise gestion du chauffage et de la ventilation.
“L’hôpital doit faire sa transition énergétique”, martèle Marie Kernec, spécialisée dans la transformation des soins de santé durables et membre du Shift Project. Le décret du 23 juillet 2019 oblige les espaces tertiaires à réduire leur consommation d’énergie de 40 % d’ici à 2030 et de 60 % à l’horizon 2050. Maîtrise des fournitures et limitation du “tout jetable”, accompagnement des services et des équipes, isolation thermique, toits végétaux, panneaux photovoltaïques, etc. Autant de dispositifs peu à peu adoptés par le milieu hospitalier.
En 2022, WE DEMAIN a noué un partenariat avec le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ). Onze jeunes journalistes en contrat de professionnalisation ont travaillé à la production d’une série d’articles autour du thème de la sobriété. Retrouvez ici l’ensemble des sujets publiés sur la question.
Jusqu’à 15 % d’énergie économisée grâce aux “petits gestes” à l’hôpital
L’un des premiers leviers d’action ce sont les “quick wins”, ces petites mesures simples à mettre en place. “Il s’agit d’efficacité énergétique : C’est-à-dire adapter l’usage au besoin (optimiser les réglages des équipements)“, explique Yoann Leloutre, coordinateur régional du dispositif efficacité et transition énergétique en santé (ETE) à la Mission d’Appui à la Performance des Établissements et Services sanitaires et médico-sociaux (MAPES).
Pour y parvenir, il faut “correctement régler les équipements liés au chauffage, à l’eau chaude sanitaire, à la ventilation, la climatisation et l’éclairage intérieur et extérieur”, énumère le responsable régional. Un “travail de fourmi” qui nécessite du temps humain, soit par une création de poste, soit par un accompagnement externe, comme celui que propose la MAPES depuis 2021 auprès des structures hospitalières. Cumulées, toutes ces actions ciblées permettent de réaliser entre 7 % et 15 % d’économie, sans investissement qui pèserait trop lourdement sur le budget des établissements.
Le chauffage, plus gros poste de dépense dans les structures hospitalières
“Les quick-wins sont aussi bien applicables dans les bâtiments neufs que les bâtiments anciens”, abonde complète Yoann Leloutre. Le chauffage représente souvent le plus gros poste de dépense à la fois pour les structures anciennes, généralement mal isolées, mais aussi pour les plus récentes, dont les systèmes de ventilation / climatisation sont gourmands en énergie.
L’éclairage extérieur est également dans le viseur du conseiller en maîtrise de l’énergie : “Des lampadaires allumés une heure trop tôt le matin, c’est 365 heures d’économies s’ils sont paramétrés correctement.” C’est autant de ressources pouvant être ré-investies afin de renforcer l’efficacité énergétique des infrastructures. Yoann Leloutre plaide aussi pour instaurer un suivi des différentes actions pour en mesurer l’efficacité dans le temps.
Hôpital : vers une consommation raisonnée du “tout jetable”
La sobriété des usages passe aussi par une utilisation raisonnée du matériel et des fournitures à usage unique. Ces dernières années, le “tout jetable” s’est largement répandu tout au long de la chaîne de soins (blouses, instruments, kit de chirurgie, consommables divers). Les blocs opératoires sont responsables de 60 % à 70 % de la production de déchets hospitaliers liés aux soins.
Au CHU de Toulouse par exemple, cela correspond à 1200 tonnes de déchets par an. La pandémie de Covid a encouragé la surconsommation de matériel à usage unique. Selon l’OMS, cela correspond à “des dizaines de milliers de tonnes de déchets médicaux supplémentaires” à travers le monde. Hôpital et sobriété sont encore très antinomiques.
“Green blocs”, des blocs opératoires écoresponsables
Certains ont pris des mesures. Au CHU de Strasbourg, le professeur Patrick Pessaux réduit les déchets dans son “green bloc”, une expression pour désigner les blocs opératoires écoresponsables. Habituellement, tous les instruments sont déballés avant même de savoir s’ils seront utilisés. Dans un green bloc, où le personnel soignant a été sensibilisé et formé aux bons gestes et aux bonnes pratiques, seuls les outils nécessaires à l’opération sont sortis de leur emballage.
“En cas de besoins, tout est disponible à portée de main, c’est l’affaire de quelques secondes pour ouvrir un sachet“, explique le chef de service chirurgie viscérale et digestive. Ce pragmatisme a des effets directs. “Un kit d’injections intravitréennes parcourt en moyenne 225 000 kilomètres avant d’être utilisé. Ne le sortir de son emballage que s’il est utilisé, c’est autant d’énergie non dépensée“, analyse Marie Kernec.
Moins de déchets, plus de reconditionnement
Derrière les murs des hôpitaux, “les professionnels de santé ne subissent pas cette recherche de sobriété comme une contrainte“, témoigne Patrick Pessaux. Au contraire, “ces derniers, de plus en plus sensibilisés et formés à ces problématiques, sont volontaires pour un système de santé plus résilient et moins gourmand en énergie“, confirme le chirurgien.
Pour limiter les déchets, une autre solution fait parler d’elle, le “reprocecing” du matériel médical, à savoir son reconditionnement. En France, la pratique n’est pas autorisée, malgré la validation européenne et son application en Allemagne et en Belgique. Dans l’Hexagone, quelques exceptions existent. Le réseau “Envie Autonomie” collecte certains dispositifs médicaux inutilisés tels que des fauteuils roulants ou les lits médicalisés. Après les avoir reconditionnés, ils sont remis en circulation. “Ce système permet de ne pas être tributaires des livraisons d’industries polluantes et situées à l’autre bout du monde“, précise Marie Kernec.
Cette marche vers la sobriété change aussi l’approche des soins vers les patients. Exit le curatif à tout prix, la prévention est de plus en plus mise en avant comme une solution pour désengorger les hôpitaux. Avec 150 000 cancers évitables par an, la prévention et le dépistage pourraient en réduire le nombre à 60 000 par an d’ici à 2040 estime ainsi le ministère de la Santé.
Auteur : Louis Tardy.