Partager la publication "“Viser la sobriété énergétique c’est d’abord s’occuper des plus précaires”"
Jeudi 24 novembre s’est tenue la deuxième journée de lutte contre la précarité énergétique. Une date loin d’être anodine. C’est à cette période que les températures baissent drastiquement. Au point de rendre la vie difficile pour les occupants des 5,2 millions de “passoires énergétiques” en France. Entre baisse du confort, hausse des factures, arbitrages dans les dépenses du quotidien… les conséquences peuvent être terribles pour les occupants, comme le rappellent régulièrement les associations qui leur viennent en aide. Et la sobriété énergétique passe au second plan par la force des choses.
Cette année, la situation a pris un tournant encore plus dramatique. Plombée par l’envolée des prix de l’électricité et du gaz sur fond de conflit armé entre l’Ukraine et la Russie. À cet enjeu social, se superpose un enjeu écologique. “Les passoires énergétiques représentent 20 % des résidences principales privées mais 45 % de la consommation énergétique“, souligne Danyel Dubreuil, coordinateur de Rénovons, un collectif d’associations qui lutte pour améliorer l’isolation des logements.
En 2022, WE DEMAIN a noué un partenariat avec le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ). Onze jeunes journalistes en contrat de professionnalisation ont travaillé à la production d’une série d’articles autour du thème de la sobriété. Retrouvez ici l’ensemble des sujets publiés sur la question.
Rénovation énergétique : les résultats se font attendre
Les montants alloués pour la rénovation énergétique n’ont cessé d’augmenter. Ils sont de 2 milliards d’euros rien que pour la principale aide, MaPrimRénov, en 2022. Mais les résultats se font attendre. Selon un bilan de la Cour des comptes paru le 9 mars 2022 : “le nombre de logements sortis du statut de ‘passoire thermique’ grâce à MaPrimeRénov’, estimé initialement à 80 000 pour l’année 2021 (…) a été ramené à 2 500”, sur un total de 644 000 primes accordées.
Face à ces conclusions, plusieurs associations et collectifs exhortent les pouvoirs publics à faire évoluer les dispositifs existants afin de concilier efficacement précarité et sobriété énergétique.
Des dispositifs d’aide peu efficaces
“Pour tenir ses engagements de réduction des GES, la France va devoir mettre l’ensemble de son parc immobilier au niveau basse consommation (classé A ou B) en 2050, insiste Danyel Dubreuil. Or, aujourd’hui, on n’arrive même pas à régler le problème des passoires énergétiques.” En cause, des dispositifs d’aides peu efficaces car essentiellement concentrés sur des chantiers de rénovation (changements de chaudière, de fenêtres, de portes…) non assortis de travaux d’isolation complet des logements (ensemble des murs, combles…).
“Ces petits gestes n’ont qu’un faible impact sur le confort et les économies d’énergies des habitants”, analyse Hélène Denise, chargée de plaidoyer pour la Fondation Abbé Pierre. Ils sont pourtant l’objet de la plupart des chantiers de rénovation chez les particuliers. Y compris chez ceux qui vivent dans des passoires thermiques. Danyel Dubreuil va plus loin et voit aussi dans le fléchage actuel de ces aides autant de “soutiens à certaines filières du bâtiment plus qu’un véritable outil au service des habitants.”
Améliorer le soutien aux plus précaires
Si MaPrimeRénov est destinée à tout le monde, un dispositif complémentaire, MaPrimeRénov Sérénité, concerne uniquement les ménages les plus modestes. Quand la première n’est pas conditionnée à une obligation de résultat, l’autre incite à réaliser des travaux globaux de rénovation (performance énergétique et isolation technique) en exigeant une réduction finale d’au moins 35 % de la consommation d’énergie. Sans surprise, les associations demandent un transfert d’une partie des ressources de MaPrimRénov, qui capte l’essentiel du budget de l’État, vers le dispositif destiné aux plus modestes. Et qui relève un vrai défi en termes de sobriété énergétique.
De plus, MaPrimeRénov Sérénité, tout comme sa version “grand public”, n’englobe pas l’intégralité du coût des travaux. Le reste à charge représente 40 % en moyenne selon Hélène Denise. Un problème majeur quand on sait que “les personnes vivant dans des passoires thermiques sont souvent des ménages très modestes, rappelle Gilles Berhault, délégué général de l’association Stop Exclusion Énergétique. Viser la sobriété énergétique des logements c’est d’abord s’occuper des plus précaires.” Or, se lancer dans une rénovation d’isolation peut représenter “une tâche colossale pour ces personnes. Par exemple, certaines peuvent avoir honte de laisser des inconnus entrer chez eux, argumente-t-il. La dimension humaine est donc capitale.”
Accompagner les foyers les plus modestes bien en amont des travaux
L’accompagnement doit débuter largement avant le lancement des travaux, préconise Stop Exclusion Énergétique. Et s’étaler tout au long de la durée du chantier. Il doit aller de la constitution des dossiers de demandes d’aides à la réalisation du diagnostic initial. Jusqu’au bilan post-chantier, pour vérifier l’impact réel des travaux sur la consommation énergétique finale. Et enfin s’assurer du bon versement des aides. Or à l’heure actuelle, ce soutien est quasi-inexistant. “Les accompagnateurs de l’Agence nationale de l’habitat n’ont qu’un forfait de 10 heures par dossier”, s’étrangle Danyel Dubreuil.
Il est plus que temps d’agir pointe les associations. Pour réussir à éradiquer les passoires thermiques d’ici 2030, comme l’exige la loi européenne sur le climat adoptée en juillet 2021, la France devrait engager 70 milliards d’euros (public et privé), selon une étude du collectif Rénovons.
Auteur : Thomas Engrand.