Partager la publication "Huîtres de Méditerranée : les défis d’une filière face au changement climatique"
Les cultures marines, et l’ostréiculture en particulier, sont représentées en France par des activités traditionnelles qui s’adaptent, depuis plus d’un siècle, à l’originalité des trois façades côtières : Manche–Mer du Nord, Atlantique et Méditerranée. Cependant, aujourd’hui en Méditerranée, le recours à des connaissances nouvelles et aux innovations est nécessaire pour répondre, d’une part, à des exigences du marché toujours plus exigeantes, et d’autre part, à la pression croissante des contraintes environnementales. L’avenir de l’élevage des huîtres en dépend.
La culture du coquillage (conchyliculture) se fait jusqu’à maintenant à ciel ouvert, en mer côtière, dans les estuaires, les bassins côtiers et les étangs salés de Méditerranée. Pour que la culture soit productive, les conchyliculteurs ont des repères en fonction des saisons, des pluies, des orages, des chaleurs ou des périodes froides. Le climat influe sur la qualité de l’eau et par conséquent sur la productivité des coquillages en élevage.
Le plancton très sensible à la température de l’eau
Le lien entre le climat, l’eau de mer et le coquillage se fait par la production planctonique alimentant les coquillages, c’est-à-dire la production du plancton dont la taille varie entre 5 et 200 micromètres (entre 5 et 200 millièmes de millimètre). Cette production planctonique peut être animale ou végétale mais, dans les deux cas, la température de l’eau influencera leur métabolisme selon leur préférence.
Dans les eaux côtières françaises, le plancton fourrager identifié jusqu’à maintenant pour les huîtres est connu pour préférer les eaux tempérées. Or, sur le pourtour du golfe du Lion et dans les lagunes méditerranéennes, les températures de l’air et de l’eau de mer augmentent selon une tendance nette et les canicules s’intensifient en durée et en fréquence. La remise en question est générale et l’audace devient une obligation.
Les leçons de l’hécatombe des années 1970
L’ostréiculture a toujours été sensible aux perturbations environnementales d’origines naturelles ou humaines. Depuis plus de cinquante ans, les crises zoosanitaires (relative à la santé des huîtres en élevage), écologiques ou sanitaires (relative à la santé des consommateurs humains) ont induit des remises en question profondes tant au niveau des pratiques culturales de la filière et de la gestion de ces ressources qu’au niveau de la gestion de l’environnement.
Par exemple, la perte en France de 60 000 tonnes de cheptels d’huîtres (Crassostrea angulata) par an entre 1970 et 1973, décimés par une maladie virale, a impacté environ 5000 établissements ostréicoles. Une importation massive d’huîtres du Pacifique (Crassostrea gigas) en provenance du Japon (plus de 5 milliards de naissains) et de Colombie britannique, Canada (562 tonnes d’huîtres adultes) a été organisée entre 1971 et 1977 pour remplacer l’espèce malade.
Cette énorme opération a été considérée comme un miracle du point de vue de la filière ostréicole puisque le redémarrage avec cette nouvelle espèce a été immédiat et un volume produit de 80 000 tonnes dès 1976 du nord au sud de la France.
Le cas de l’ostréiculture dans la lagune de Thau
En Méditerranée, le principal bassin conchylicole est la lagune de Thau. Représentant à elle seule 10 % de la production française, cette lagune est très sensible à son contexte climatique et géographique.
Or, au niveau environnemental, entre 1970 et 2000, l’eutrophisation induite par des excès de rejets urbains a impacté le fonctionnement de la conchyliculture locale, la rendant vulnérable aux manques d’oxygène pendant les périodes estivales… Mais l’eutrophisation a pu être contrôlée avec pour bénéfices de limiter les anoxies estivales (baisse de l’oxygène disponible) et de diminuer les pertes économiques associées à la mortalité des coquillages.
La trajectoire écologique de la lagune des dernières décennies a permis la restauration environnementale de l’écosystème. A ainsi été constaté le retour des prairies d’herbiers de zostères avec ses vertus pour la biodiversité, des habitats de nurseries de poissons et invertébrés ainsi qu’une augmentation des apports en oxygène améliorant sa résistance contre les anoxies.
L’émergence d’un agent pathogène, Ostreid-Herpes Virus
La culture de l’huître du Japon en lagune de Thau, en plein essor depuis 1980, aurait dû être sereine… Cependant, en 2008, l’émergence de l’agent pathogène Ostreid-Herpes Virus-µvar dans ces zones conchylicoles, puis au niveau français et européen, a induit des fortes mortalités sur les juvéniles, puis une raréfaction et une spéculation des prix du naissain d’huître. Pour survivre, la filière méditerranéenne a alors remis en question la croyance prétendant que le développement larvaire et la collecte des naissains étaient impossibles en lagune.
Dès 2010, la démarche scientifique a permis de nuancer cette croyance en trouvant finalement des zones viables pour la collecte de naissain. Dans le même temps, les connaissances sur les processus de la reproduction des huîtres dans ce contexte si particulier étaient peu à peu réunies et développées.
Aujourd’hui, ces nouvelles données offrent une option pour aider la filière à s’adapter dans le contexte du changement climatique, atténuer ses effets et tenter de transformer les risques en opportunités. L’huître à l’origine importée du Japon Crassostrea gigas désormais native du bassin de Thau a révélé des qualités remarquables de survie face à l’Herpès-virus, de bonnes performances de croissance, de rentabilité et d’adaptation aux aléas permettant d’envisager son élevage durable localement.
Quelles perspectives pour l’élevage des huîtres ?
Cela étant, la prudence reste de mise.
L’année 2019 et sa canicule estivale intense a montré que le fonctionnement écologique du système peut « shifter » (basculer) d’un mode favorable à un mode défavorable pour le développement des larves d’huîtres et la collecte de naissain. La canicule a induit des températures moyennes élevées, ce qui a modifié les consortiums planctoniques en privilégiant des planctons de plus petites tailles (picophytoplancton) et a mis en échec le développement larvaire des huîtres au profit d’organismes plus adaptés comme des vers calcaires encroûtants.
Les aléas de ces dernières années en Méditerranée ont permis aux différentes communautés de se rencontrer, des producteurs jusqu’aux services de l’État, en passant par les gestionnaires environnementaux, les gestionnaires de ressources et la communauté scientifique. Aujourd’hui, une plate-forme d’échange d’information et de connaissance s’est organisée au niveau du Syndicat mixte de gestion de la lagune de Thau : le Réseau d’observation lagunaire. Et un renfort existe par l’intermédiaire de l’arrivée de start-up dynamiques qui viennent contribuer à améliorer la résilience de la filière avec leurs nouveaux outils.
Créer des projets innovants pour s’adapter au changement climatique
La création du Centre du littoral et de la mer (CELIMER) localisé à Sète sur la station de l’Ifremer/UMR MARBEC permettra d’initier et de mettre en œuvre des partenariats sous forme de projets innovants avec l’ensemble des compétences scientifiques et techniques disponibles au sein de l’écosystème de recherche et d’innovation en recherche marine, en particulier dans le domaine de la biodiversité marine et de ses usages, principalement en Méditerranée.
Les idées foisonnent, le potentiel humain, qu’il soit technique ou scientifique, est présent. Et des marges de manœuvre existent au niveau des pratiques culturales pour s’adapter au changement global et en atténuer ses effets.
La filière conchylicole méditerranéenne a elle-même rédigé un “Contrat de filière conchylicole État–région Occitanie” pourvue d’une centaine d’actions ayant pour objectif commun de continuer à maintenir, préserver et transmettre les savoir-faire de la profession, développer la filière et renforcer sa résilience.
L’ensemble de ces dynamiques inédites sera à l’origine d’une nouvelle donne conchylicole en Méditerranée, voire dans les différentes régions de France. Ces synergies permettront de renforcer les partenariats, de créer des projets communs pour mieux comprendre le monde d’aujourd’hui, ce monde de l’inconnu au seuil de +1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels redouté par le GIEC (rapport de 2018).
À propos de l’auteur : Franck Lagarde. Chercheur en écologie et biologie marines, Ifremer/UMR MARBEC, Ifremer.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.