Partager la publication "Pour des zones urbaines neutres en carbone, jouons la carte de la géothermie"
Afin de limiter le réchauffement climatique à +1,5 °C depuis l’ère préindustrielle, il est indispensable d’atteindre la neutralité carbone en 2050. En France, un objectif de réduction d’émission de gaz à effet de serre de 55 % entre 1990 et 2030 est actuellement discuté, et implique de tripler le rythme de nos efforts de baisse des émissions annuelles. Pour cela, il convient de réduire fortement toutes dépendances aux énergies fossiles : charbon, pétrole et gaz.
En France, le secteur des bâtiments (résidentiel et tertiaire) reste très dépendant du gaz (30 %). Ainsi, plus des deux tiers de la population française vit dans des territoires urbains de plus de 5 000 habitants, qui sont chauffés à 51 % par le gaz du réseau public. Travailler sur l’empreinte énergétique de ces territoires est donc un enjeu de taille, et il devient urgent de s’orienter vers des sources d’énergie moins carbonées. Pour cela, le déploiement de la géothermie (tant profonde que de surface) pour chauffer ou refroidir les bâtis semble indispensable.
Qu’est-ce que la géothermie ?
La géothermie, c’est-à-dire la mobilisation de la chaleur contenue dans le sous-sol, est l’une des méthodes permettant de réaliser la transition énergétique. Cette énergie est présente partout à la surface de la Terre, avec en moyenne, une augmentation de la température en fonction de la profondeur d’environ 3,5 °C tous les 100 m. En plus d’être abondante, elle est bas carbone, renouvelable, non intermittente et elle peut être produite localement !
En France, deux types de géothermie sont utilisés : la géothermie de surface et la géothermie profonde.
Géothermie de surface, pour des besoins individuels ou des collectivités de petite taille
La géothermie de surface (ou de faible profondeur, ou de minime importance selon la loi française) exploite la chaleur à une profondeur superficielle du sous-sol, inférieure à 200 m, et avec une température d’environ 15 °C.
Elle permet de chauffer, alimenter en eau chaude sanitaire, ou fournir de la fraîcheur, et est particulièrement adaptée pour des besoins individuels, ou pour les besoins collectifs et tertiaires de petite taille, comme les écoles ou les hôpitaux.
Pour cela, elle utilise deux systèmes différents. Le premier (appelé pompe à chaleur géothermique sur nappe) est un système en boucle ouverte réalisé par deux forages (on parle de doublet géothermique). L’eau chaude est pompée par le premier forage, amenée en surface où une pompe à chaleur permet l’échange calorifique, puis réinjectée, avec quelques degrés de moins, à la même profondeur par le second forage.
Ce système présente de très bonnes performances tout au long de l’année, et est le plus avantageux d’un point de vue économique. Cependant, son installation dépend beaucoup de la présence d’une nappe exploitable et nécessite un terrain suffisamment grand pour installer les deux forages, qui doivent être séparés de plusieurs dizaines de mètres au moins.
Des solutions aussi pour des besoins de plus grande dimension
Le deuxième système utilisé en géothermie de surface est un système en boucle fermée, principalement constitué de sondes géothermiques verticales en U dans lequel circule un fluide conducteur de chaleur. Ce système peut être dimensionné selon la taille du bâtiment, en allant de la maison individuelle (sonde unique) aux bâtiments plus grands comme des bureaux, résidences, hôtels, hôpitaux (champs de sonde).
Il est particulièrement efficace en cas d’utilisation alternée refroidissement/chauffage : la chaleur rejetée dans le sol en été (lors du fonctionnement de la pompe à chaleur en mode climatisation) peut être utilisée l’hiver pour le chauffage.
La géothermie profonde, quant à elle, peut exploiter la chaleur de l’eau géothermale présente entre 500 m et 2 500 m de profondeur, avec des températures comprises entre 30 °C et 90 °C, pour alimenter des réseaux de chaleur urbains.
Elle est adaptée à de gros réseaux de distribution, par exemple pour des habitats collectifs de quartiers entiers, pouvant typiquement alimenter 5 000 à 6 000 logements.
Son fonctionnement est assez similaire à celui de la géothermie de surface sur nappe : il utilise un doublet géothermique qui pompe le fluide chaud par un forage et le renvoie par un autre. En revanche, au vu des températures élevées, la pompe à chaleur est remplacée par une centrale géothermique qui assure l’échange de chaleur.
L’exemple de la région Île-de-France
L’Île-de-France regroupe environ 20 % de la population française. En conséquence, ses besoins en énergie thermique (chaleur, eau chaude sanitaire et climatisation) sont énormes : environ 90 TWh par an.
Les réseaux de chaleur du territoire francilien fournissent 14,5 TWh d’énergie, dont 51 % (7,4 TWh) proviennent d’énergies renouvelables. Plus spécifiquement, 27 % de l’énergie totale est produite par les réseaux de chaleur fatale (c’est-à-dire la chaleur produite comme effet secondaire d’une autre production ; par exemple, celle provenant des incinérateurs de déchèteries), 11 % par la géothermie et 10 % par la biomasse.
En 2020, l’Île-de-France comptait ainsi 50 installations de géothermie en exploitation, plaçant l’Île-de-France comme l’une des régions du monde concentrant le plus d’unités de production géothermique alimentant des réseaux de chaleur.
La majeure partie de ces installations sont des installations de géothermie profonde, qui produisent environ 1,7 TWh, soit 11 % des 14,5 TWh délivrés par la totalité des réseaux de chaleur de la région.
La chaleur est extraite essentiellement depuis l’aquifère du Dogger, une couche géologique constituée de calcaires d’âge jurassique moyen et présente à environ 1 500 m de profondeur. Ces calcaires ont de bonnes propriétés réservoirs, c’est-à-dire une bonne porosité et perméabilité, et contiennent une nappe d’eau chaude, à environ 70 °C.
L’aquifère du Dogger étant exploité de manière intensive dans certaines parties de la région, l’objectif d’augmenter la production passe par une très bonne connaissance géologique du réservoir géothermique pour une meilleure gestion. Cela implique également de cibler et prospecter de nouvelles zones ou d’autres aquifères.
Pour un développement de la géothermie de surface
À l’inverse de la géothermie profonde, la ressource géothermique de surface exploitée par pompe à chaleur est très largement sous-utilisée en Île-de-France, et ne couvre qu’une part négligeable de l’énergie nécessaire en chaleur ou production de fraîcheur de la région.
Or, elle possède un avantage considérable : elle permet également de facilement fournir du froid durant l’été. Ce rafraîchissement peut passer par les pompes à chaleur, mais également par le géocooling, qui utilise la température faible du sous-sol (12 °C) pour rafraîchir directement et naturellement des bâtiments.
Une vraie nécessité face aux hausses de températures de plus en plus récurrentes
Cette possibilité de refroidissement est d’autant plus cruciale qu’une ou deux canicules par année sont prédites sur la région à la fin du siècle, avec des températures maximales qui pourront frôler les 50 °C (période 2070-2100). À titre de comparaison, seulement 9 périodes de canicules ont été observées sur la période 1960-1990, avec une température maximum de 38 °C…
Le développement de la géothermie de surface suscite donc un intérêt croissant. Il s’agit d’un enjeu crucial, comme l’avait récemment souligné le Haut-Commissaire au Plan François Bayrou fin 2022.
Le développement intensif de la géothermie de surface et profonde sur l’ensemble de la région Île-de-France semble donc indispensable pour que les zones urbaines atteignent une neutralité carbone en termes de chauffage et de refroidissement des bâtiments. Améliorer nos connaissances géologiques du sous-sol des zones urbaines et former de jeunes géologues, experts des descriptions des roches ou des techniques de forage géothermique, sera un enjeu important si nous voulons prendre le virage de la géothermie.
À propos de l’auteur : Benjamin Brigaud. Professeur en géologie et géothermie, Université Paris-Saclay.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.