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2019 : une étonnante année de fake news

Dans son ouvrage “Étonnante année 2019”, Benoît Lefèvre propose une rétrospective des phénomènes les plus marquants des 12 derniers mois, dans 12 domaines, mobilité, intelligence artificielle, écologie…. Extrait de son chapitre consacré aux “fake news”, une expression qui a peu à peu envahi notre quotidien.

Le 13/12/2019 par Sofia Colla
Le réseau Start-up de Territoire recrée de l'activité locale, comme la fabrication de chaussures Made in Romans'', la Sneak-Up. (Crédit : Eric d'Hérouville)''
Le réseau Start-up de Territoire recrée de l'activité locale, comme la fabrication de chaussures Made in Romans'', la Sneak-Up. (Crédit : Eric d'Hérouville)''

Une intelligence artificielle défie un humain dans un concours de débat, une fake news venue de Russie remet en cause le record de longévité, la nouvelle maison de luxe de LVMH est dirigée par l’influenceuse-chanteuse Rihanna… Autant d’histoires qui ont marqué et interloqué Benoît Lefèvre, auteur du blog “Étonnante époque”, sur lequel il publie toutes les semaines des articles questionnant des faits d’actualité.
   

“Notre époque n’en finit pas de m’étonner. C’est ce qui m’a conduit à créer en 2018 le site www.etonnante-epoque.fr. Quand je commence les recherches pour un nouvel article, je découvre le plus souvent des choses incroyables. La réalité dépasse la fiction. Jamais je n’aurais pensé que KFC pourrait imaginer lancer un “fried chicken vegan” ou que les créateurs du jeu vidéo Fortnite emploieraient des chercheurs en psychologie cognitive pour rendre leur jeu plus captivant et plus addictif…”

   
Dans son ouvrage baptisé Étonnante année 2019, il compile et commente ce type d’affaires. Divisé en douze chapitres, l’ouvrage balaye des thèmes variés : les influenceurs, les jeux vidéos, mais aussi le réchauffement climatique, les nouvelles formes de mobilité, ou les fake news, désormais omniprésentes.
 
Extrait.

CHaPITRe Iv : l’éTONNaNTe aNNée Des faKe NeWs

“Fake news”, cette expression a envahi notre quotidien, popularisée et ça n’est pas le moindre des paradoxes par Donald Trump, un des plus grands experts en manipulation d’informations de notre époque. Propagande, manipulation, influence, rumeurs sont des techniques vieilles comme l’humanité. Mais, on ne parlait pas de fake news. Avec Internet et les réseaux sociaux, tout a changé de dimension. La vitesse de propagation d’une rumeur s’est démultipliée. Les journalistes professionnels ont perdu le monopole de la création et de la diffusion des informations.
 
Face au foisonnement sans précédent de fake news, les médias ont créé des rubriques bien faites de “fact checking”. Mais elles semblent bien impuissantes face à cette déferlante. Une fois une rumeur installée, l’apport de la preuve contraire demeure insuffisant dans bien des cas pour l’éteindre. Il n’existe pas à ce jour de remède miracle anti-fake news. On peut espérer que l’opinion publique progressivement s’auto-vaccinera. En attendant, cette prolifération est inquiétante au point de devenir une véritable menace pour nos démocraties.
 
RÉCIT : L’affaire Jeanne Calment : autopsie de la première fake news de l’année
 
Paris, 1er janvier 2019 – pour commencer l’année, je regarde le journal télévisé de TF1 Une nouvelle extraordinaire fait la une. Un mathématicien russe Nikolay Zak vient de publier une thèse dans laquelle il affirme que le record mondial de longévité de 122 ans détenu (cocorico !) par la française Jeanne Calment serait bidon. Sa fille Yvonne Calment aurait usurpé l’identité de sa mère pour une sombre histoire d’héritage. Jeanne alias Yvonne Calment serait en fait morte à 99 ans !!!
 
Intrigué par cette histoire abracadabrantesque, je décide de me pencher sur le dossier pour un article d’Étonnante Époque et de remonter à la source en consultant la thèse du chercheur russe. Elle se présente sous la forme d’un document de 24 pages publié sur Research Gate le réseau social des chercheurs. Un grand soin a été apporté à la forme de document pour le rendre crédible. Il présente toutes les caractéristiques d’un document universitaire : courbes statistiques, références bibliographiques, documents d’archives….
 
À la manière d’un enquêteur, l’auteur détaille son travail d’investigation. Il présente une longue liste d’arguments d’apparence scientifique légitimant la thèse de l’usurpation d’identité : forme des oreilles différentes entre Jeanne Calment jeune et vieille, apparence physique de Jeanne Calment qui faisait 20 ans de moins que son âge, absence de trace publique de la célébration de son centenaire. Il termine son plaidoyer, à l’américaine, par pas moins de 16 raisons de croire en sa thèse. Troublant !
 
La thèse fait d’ailleurs le buzz sur Twitter avant d’être reprise par tous les grands médias presse, radio, télévision sans exception. La polémique fait rage. Les démographes qui ont validé le record de longévité de Jeanne Calment s’indignent. Leur chef de file Jean-Marie Robine réagit avec véhémence. Il déclare dans une interview au Parisien“On n’a jamais autant fait pour prouver l’âge d’une personne. On n’a jamais rien trouvé qui nous permettait d’émettre le moindre soupçon sur son âge. Nous avons eu accès à des informations qu’elle seule pouvait connaître, comme le nom de ses professeurs de mathématiques ou de bonnes passées par l’immeuble. On lui a posé des questions sur ces sujets. Soit, elle ne se souvenait plus, soit elle a répondu juste. Sa fille n’aurait pas pu savoir ça.”
 
Ma curiosité piquée au vif, je prends alors le temps de décortiquer plus en détail le document publié par Nikolay Zak. Je m’aperçois que le vernis pseudo-scientifique de ses affirmations craque facilement. Je m’intéresse également au propagateur de l’histoire : un autre russe dénommé Yuri Deigin. Ce dernier dirige une start-up Youthereum Genetics, une de ces sociétés qui travaille sur notre rêve d’immortalité Son principal objectif semble bien plus terre à terre : collecter de fonds. J’en concluais donc dans mon article mi-janvier que nous étions là vraisemblablement en présence d’une énorme fake news. Elle en a d’ailleurs suivi le cheminement classique : publication initialement confidentielle, reprise par les réseaux sociaux puis passage dans les médias classiques.
 
Mais je ne suis pas journaliste d’investigation. Et l’affaire continue à faire le buzz. C’est donc avec gourmandise que j’ai regardé le numéro d’un célèbre magazine d’investigation consacré à l’affaire au mois de mars. Eux ont pu se rendre à Moscou pour interviewer les Russes, mais aussi en Arles pour mener leur contre-enquête.
 
Je m’attendais à une conclusion définitive de leur part, mais ça n’est pas « l’angle » retenu par les journalistes. Certes, ils détaillent dans leur reportage la thèse russe et en soulignent les incohérences. Mais au final à ma grande surprise, fake news ou pas, le reportage refuse de trancher. Laisser planer le doute sur la thèse de l’usurpation d’identité est plus vendeur. Les fake news sont souvent tellement plus amusantes que la réalité.
 
Pourtant tous les journalistes sérieux en particulier dans la presse écrite pointent la faiblesse et le caractère peu scientifique de la thèse russe. Ses auteurs le reconnaissent, ils n’apportent aucune preuve irréfutable, juste un faisceau de doutes. D’ailleurs face à la critique, ils ne se démontent pas. Ils vont même de manière indigne jusqu’à demander l’exhumation du corps de Jeanne Calment, seule façon selon eux de clore définitivement le débat.
 
Bien entendu, le corps ne sera pas exhumé. En attendant et malgré une nouvelle publication scientifique en septembre qui infirme la thèse russe, le doute va persister. Une nouvelle théorie du complot vient de naître sous nos yeux et continuera à prospérer sur la toile et dans l’inconscient des Français pendant des années. Une fake news ne meurt jamais même devant la preuve contraire. Telle est la loi des réseaux sociaux. Pendant ce temps, nos russes se sont, grâce à cette affaire, payés un plan média exceptionnel. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose déclarait déjà le philosophe Francis Bacon en 1569…
   

Pour aller plus loin…

Étonnante année 2019 par Benoît Lefèbre
Éditions Publishroom Factory
9,90 euros
 

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