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Les États-Unis vont séquencer le génome d’un million de personnes

Le 16/09/2019 par Alice Pouyat
L'élimination des pesticides en ville devrait encourager le retour des pollinisateurs et donc des fleurs. (Crédit : MelisaTG/FlickR)
L'élimination des pesticides en ville devrait encourager le retour des pollinisateurs et donc des fleurs. (Crédit : MelisaTG/FlickR)

C’est un camion bleu qui sillonne depuis un an les Etats-Unis. Actuellement en campagne dans le Midwest, au cœur du pays, il porte sur son flanc un slogan prometteur “The future of health begins with you” (le futur de la santé commence avec vous). Ce camion qui ne passe pas inaperçu est celui du projet “All of us”.
 
Conçu sous Obama en 2015 et lancé en 2018, ce projet “historique”, selon les termes des National Institutes of Health (NIH), l’agence de recherche médicale des Etats-Unis, vise à recueillir les informations génétiques et les données de santé d’1 million au moins de résidents d’ici 2024. Il est entièrement financé par l’Etat, à hauteur de 2,16 milliards de dollars pour le moment.

Les NIH pourront ainsi constituer une gigantesque base de données, destinée aux chercheurs. Objectif : mieux comprendre pourquoi certains individus tombent malades et d’autres pas, et comment les soigner en personnalisant davantage les traitements (par exemple pour le cancer, le diabète ou l’obésité).
 
Un quart de la cible est atteinte à ce jour. 250 000 adultes de 18 à 90 ans se sont engagés, et 190 000 personnes ont livré leurs dossiers médicaux, renseigné un formulaire sur leurs antécédents familiaux, leur environnement et leur mode de vie, ont fourni des échantillons d’urine et de sang. Les personnes connectées livrent aussi l’ensemble des données enregistrées par leur bracelet numérique, type Fitbit. Ils seront suivis pendant dix ans. 
 
Le généticien français Philippe Froguel a salué sur Twitter le 23 août ce projet ambitieux qui apportera à “une majorité de groupes ethniques minoritaires ou défavorisés, largement sous-représentés dans ce genre de recherchedes informations fiables sur leur génome”, sans qu’il en coûte un cent aux participants. Les populations d’origine hispaniques et les Amérindiens en particulier sont rarement étudiées.

Comment restituer les données aux participants ?

Ce programme d’une ampleur inédite soulève toutefois quelques questions. Côté cybersécurité, son directeur Eric Dishman a cherché à rassurer dès le départ – même si le risque zéro n’existe pas. Les données numériques enregistrées via la plateforme sont dans le cloud. Les informations qui permettraient d’identifier une personne (nom, coordonnées) sont effacées. L’accès des chercheurs aux données ne se fait que sur autorisation préalable, et s’ils peuvent consulter les fichiers, il est impossible de les copier.
 
L’autre question qui se pose est celle de la restitution des informations médicales aux patients. N’importe qui dans le monde peut déjà faire séquencer son génome pour obtenir des informations sur ses risques de maladie, ou pour retrouver ses ancêtres. Mais ce service est assuré par des entreprises privées (23andMe, MyHeritage, LivingDNA, Gene by Gene, AncestryDNA…), moyennant 60 à 99 dollars américains. “Si les données concernant les origines géographiques sont fiables, [une fiabilité relative, puisque des vraies jumelles se sont vu attribuer au début de l’année des origines différentes], celles concernant les risques de santé ne le sont absolument pas”, souligne le généticien Guillaume Vogt. De plus, les informations sont transmises sans précaution ni conseil, et peuvent aboutir à des crises familales. Le groupe Facebook “Not Parent Expected” (NPE) regroupe déjà des milliers d’histoires dramatiques.
 
Le projet “All of us”, lui, vient de s’engager à prendre davantage de précautions. Le gouvernement a annoncé fin août verser 4,6 millions de dollars à l’entreprise californienne Color Genomics pour aider les participants à lire les résultats de leur analyse ADN. “Si une femme apprend qu’elle est porteuse du gène du cancer du sein, on lui expliquera comment prévenir les risques, par exemple“, explique Philippe Froguel.

Mais la méthodologie de restitution de ces informations massives, et hautement sensibles, tant du point médical que psychologique, doit encore être précisée par l’entreprise.

Un projet utopique en France

Un projet aujourd’hui utopique en France, où “il est illégal de réaliser un test génétique sans ordonnance médicale, injonction judiciaire ou projet de recherche strictement défini”, rappelle Guillaume Vogt. 
 
Pourtant, entre 100 000 et 200 000 Français déjà ont bravé la loi… comme Philippe Froguel, qui a récemment demandé un test à MyHeritage, risquant 3 750€ d’amende. Aussi souhaiterait-il une dépénalisation des tests génétiques, une norme européenne ISO pour reconnaître la qualité des machines utilisées dans les centres spécialisés, un renforcement de la protection des données, et un encadrement médical lors de la remise des résultats. Des conditions nécessaires selon lui pour que la France participe à un projet européen du type “All of Us”.

Mais pour Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, et Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, auditionnés dans le cadre du projet de loi bioéthique, il n’est pas souhaitable de changer la règlementation. Elles pointent les risques d’augmentation des tests dits “récréatifs”, des fuites de données à l’étranger, et d’eugénisme.
 
En attendant, le projet “All of Us” poursuit son chemin aux Etats-Unis. Il va s’élargir aux enfants entre 12 et 18 ans, d’ici la fin de l’année, en essayant de convaincre toujours plus de résidents, à grand renfort de vidéos promotionnelles, et de campagnes d’information, comme l’exposition itinérante qui a déjà traversé 42 des 50 États d’Amérique.

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