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“L’économie légère, c’est une économie du plus faible impact sur la planète, la biodiversité, le climat et notre santé”

Pour réinventer demain, pourquoi ne pas miser sur l’économie légère ? Cette philosophie est avant tout un chemin pour léguer un monde viable aux générations futures. Entretien avec Serge Orru pour défricher ce nouveau concept.

Le 05/03/2024 par Florence Santrot
Serge Orru
Serge Orru, environnementaliste chez OnYvA économie légère et Président du Conseil d’orientation de l’Académie du Climat. Crédit : Serge Orru.
Serge Orru, environnementaliste chez OnYvA économie légère et Président du Conseil d’orientation de l’Académie du Climat. Crédit : Serge Orru.

Le 3 octobre 2024 se tiendra, à l’Hôtel de Ville de Paris, le tout premier forum de l’économie légère. Cette journée vise à promouvoir une économie durable et respectueuse de l’environnement. L’événement réunira des personnalités passionnantes pour discuter de l’intégration de pratiques économiques plus légères et respectueuses de la biodiversité dans notre société. Seront notamment présents le paléoclimatologue Jean Jouzel, François Gemenne, co-auteur du 6e rapport du GIEC ou encore Anne Hidalgo, maire de Paris et marraine du forum.

Cette journée est organisée par WE DEMAIN et Serge Orru, environnementaliste chez OnYvA économie légère et Président du Conseil d’orientation de l’Académie du Climat. Co-initiateur du Grenelle de l’environnement, il a été directeur général du WWF France de 2006-2013. Plus qu’un concept, l’économie légère est avant tout une direction, une idée issue des travaux du regretté Thierry Kazazian. En amont du forum, Serge Orru a répondu à nos questions.

WE DEMAIN : Comment peut-on définir l’économie légère ?

Serge Orru : L’économie légère, d’abord, c’est une idée de Thierry Kazazian, un pionnier de l’écoconception des objets. C’était un magnifique designer qui avait compris très tôt qu’il fallait allier design et développement durable. À ce sujet, il a publié en 2003 un ouvrage, Il y aura l’âge des choses légères. L’économie légère, ce n’est pas un concept, c’est une philosophie. C’est la volonté de créer une économie du plus faible impact sur la planète, sur la biodiversité, sur le climat mais avec un fort impact social et un indispensable équilibre homme-femme.

L’économie légère, c’est du biomimétisme, c’est de l’économie circulaire, c’est du développement durable, c’est la condition et l’adaptation au changement climatique. L’économie légère ne s’oppose à rien de ce qui favorise l’environnement. Mais dans “économie légère”, il y a “économie”. Et donc, il nous faut faire preuve d’ingéniosité, de bon sens, évidemment de sobriété. C’est une manière de faire la paix avec la planète dans notre production, qui aujourd’hui est vénéneuse.

Cela implique des changements majeurs dans nos sociétés…

Absolument. Et on le sait tous : tout le monde veut le changement, sauf le sien. Mais là, il y a une urgence climatique. On sait tous qu’on se dirige vers des années très compliquées, avec des pays où il fera de 40 à 50 °C une bonne partie de l’année. Et donc ça veut dire migration, ça veut dire guerre pour l’eau et pour survivre. Il serait illusoire de penser que l’économie légère est un concept léger.

Tout le monde veut le changement, sauf le sien.

Serge Orru

Il faut mettre fin à l’hyper-consommation ?

Il est certain qu’aujourd’hui, on produit trop de choses. Et trop de choses qui sont souvent jetées très rapidement à la poubelle, avec un faible taux de recyclage. Il faut un vrai changement de paradigme, d’autant plus que la crise climatique s’installe. Il faut avant tout qu’il y ait de la volonté et du désir. C’est déjà arrivé par le passé : durant les pires heures de la Seconde Guerre mondiale en France, nous avons créé la sécurité sociale. Pendant que nous sommes dans un moment très important de destruction de notre environnement immédiat et lointain, il faut se battre à notre tour pour créer cette civilisation de l’économie légère. C’est de l’utopie, oui, mais dans la vie, l’utopie, ça sert à construire le réel.

Comment change-t-on le mode de vie de l’entreprise ? Comment s’affranchit-on des vieux réflexes consuméristes ?

Il ne s’agit pas de simplement changer la couverture du cahier. Il faut creuser en profondeur. C’est de la réflexion individuelle et collective, c’est de l’innovation. Cette économie légère, c’est de l’émulation à tous les étages. Et ce n’est pas simplement prendre une douche à la place du bain. Ou avoir une poubelle pour le recyclage. Alors, oui, la décroissance doit exister, mais c’est la décroissance de l’extraction des matières premières. Ce mot décroissance fait peur, rebute, mais il est nécessaire. Ce n’est que comme cela que nous pourrons transmettre une planète encore vivante à nos enfants et petits-enfants. Je sais que beaucoup vont me dire que c’est impossible, mais, dans “impossible”, il y a “possible”.

Vous avez un exemple concret d’économie légère ?

Le 3 octobre, lors du forum de l’économie légère, nous aurons à cœur de montrer de nombreux exemples. Certains connus, d’autres non. Et qui, tous, donnent le goût de la création de cette économie légère. Avec ce premier forum, nous avons vraiment envie de créer un mouvement sociétal. D’initier un élan. On n’a pas d’autre choix que de jouer collectif.

Prenons l’agriculture maraîchère. Tom Rial et son père Jean-François Rial ont créé une ferme maraîchère, “Une Ferme du Perche”, située dans l’Orne. À eux deux, ils ont repris la manière de produire de Jean-Martin Fortier. C’est un Canadien qui travaille sur une agriculture bio-maraîchère. Une agriculture qu’ils appellent intensive et rentable. Sur un hectare seulement, ils arrivent à sortir 50 tonnes de maraîchage bio. Et surtout de faire vivre 5 personnes, à 35 heures. Ce ne sont pas des agriculteurs qui travaillent 60-70 heures par semaine comme c’est bien souvent le cas. Ils ont mis en place un système qui préserve la qualité de vie.

L’économie légère, c’est aussi une autre manière d’aborder le monde ?

La légèreté, elle ne doit pas exister que dans l’économie. Elle doit exister aussi dans nos rapports. La légèreté, ça doit faire partie, en tout cas c’est une valeur importante de nos vies. Quand on est léger, on est heureux. C’est lourd une économie qui détruit l’avenir de nos enfants. C’est lourd une économie qui provoque des guerres. C’est lourd une industrie qui envoie du CO2 dans l’atmosphère et qui proclame des bénéfices à la fin de l’année. C’est honteux quand on y réfléchit.

On n’est quand même pas venu sur Terre pour plastifier la planète ou pour déforester à tour de bras ! On n’est pas venu sur Terre pour enlever le dernier poisson dans les océans. Si on continue comme on le fait aujourd’hui, nous allons vivre dans un monde entre Mad Max et l’abbé Pierre, entre les riches et les pauvres. On ne peut pas vivre en attendant le naufrage. Alors il va falloir beaucoup d’ingéniosité, beaucoup de volonté. Mais, si on peut le faire tous ensemble, c’est passionnant.

On n’est quand même pas venu sur Terre pour plastifier la planète ou pour déforester à tour de bras !

Serge Orru

Cela passera aussi par l’éducation des générations futures…

Le système éducatif, c’est vraiment très important. Il faut que tout le système éducatif se mette au service d’une vie où on ne détruit pas notre environnement. Et il faut que la jeunesse redécouvre la nature. Aujourd’hui, le numérique semble l’emporter. Mais, comme dirait Edgar Morin, il faut croire en l’improbable.

La nature doit, plus que jamais, servir d’inspiration. Avec le biomimétisme, pour de nouvelles stratégies d’entreprise capables de réinventer la relation entre l’homme, la nature et l’objet. Pour en déduire les solutions plus viables pour tous les passagers de la planète. Nous devons vivre un temps d’invention, de sobriété, de sagesse pour gagner ce combat contre la fatalité du désespoir. Wim Wenders a dit une chose très juste : “Sans rêves, pas de courage. Sans courage, pas d’actes.”

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