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C’est l’heure des devoirs. Au programme, un poème de Baudelaire. Assise à sa table de travail, Justine prend deux ou trois respirations profondes qui la recentrent sur son corps. Puis elle colle ses index l’un contre l’autre, un rituel. Les yeux fermés, elle se plonge dans un univers imaginaire rassurant. Un souvenir qui la transpose dans un moment heureux. Alors elle entre dans un état modifié de conscience qui lui ouvre le chemin vers son inconscient. Maintenant, elle va pouvoir travailler efficacement.
Depuis plus d’un an, l’autohypnose est le meilleur allié de cette collégienne de 15 ans. Elle a découvert la discipline dans le cabinet d’Olivier Thévenin, hypnothérapeute à Rennes, où une année de troisième un peu compliquée par des problèmes de harcèlement à l’école l’avaient conduite quelques mois plus tôt. Une béquille efficace pour calmer ses angoisses et dompter sa colère.
Mais la technique lui sert aussi au quotidien pour faciliter ses apprentissages scolaires. C’est devenu une habitude : “Lorsque j’ai un travail à faire, je demande à mon inconscient de venir m’aider. Je me connecte à lui. C’est un travail de lâcher prise”, raconte-t-elle.
“Cet état idéal de rêve lucide est propice aux apprentissages, explique Olivier Thévenin. Il permet de faire baisser l’émotion et la pression qui nous submergent, de lever tous les blocages et de nous connecter à nos ressources. La respiration et la gestuelle agissent comme une madeleine de Proust, un stimulus qui nous met en mode zen ou guerrier. Certains enfants se projettent mentalement en footballeur ou en superhéros. Alors ils sont sûrs d’être capables de réussir.”
On est loin de l’hypnose spectacle. Et la discipline séduit de plus en plus d’étudiants et de professionnels. On ne compte plus les stages d’autohypnose dédiés aux capacités cognitives, en particulier la mémoire.
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“Notre mémoire est parfaite, mais nous ne savons tout simplement pas nous en servir”, affirme Kévin Finel, hypnothérapeute et fondateur de l’Académie pour la recherche et la connaissance en hypnose ericksonienne (Arche) qui forme 200 praticiens par an. Dans les rencontres qu’il organise à l’Arche, il explique de sa voix douce et envoûtante que “la conscience n’est qu’une petite facette de nous-même.”
“L’hypnose, c’est un état d’exploration de soi, un accès à cette partie du cerveau que l’on nomme l’inconscient. Ce que l’on peut en faire est illimité. Une porte s’ouvre sur nos ressources, auxquelles nous pouvons accéder sur commande et revenir à l’état de conscience avec ce que l’on cherchait.”
Carte mentale
Clara, 14 ans, qui souffre de troubles de l’apprentissage, s’en étonne encore : “Tout ce que j’apprends sous autohypnose me revient plus facilement quand j’en ai besoin. C’est même un peu magique. Au début, ça me faisait un peu peur. J’avais l’impression d’être une autre personne.”
Sensation troublante mais bien connue de ceux qui apprennent sans s’en apercevoir et lisent sans déchiffrer.
“L’hypnose nous rend inconsciemment compétent”, résume Thierry Gallopin, enseignant chercheur à l’ESPCI Paris (École supérieure de physique et de chimie industrielles). Impossible de savoir ce qui se passe réellement dans un cerveau sous hypnose.
Mais les neurosciences permettent toutefois d’observer une modification du rythme de l’activité cérébrale au moment de l’induction, l’étape qui autorise l’entrée dans l’état hypnotique. Thierry Gallopin a étudié ce phénomène : “Le réseau de neurones du contrôle exécutif, situé au niveau du cortex préfrontal – siège du système attentionnel –, s’active très fortement.”
“À l’inverse, l’activité est diminuée dans le ‘réseau du mode par défaut’, celui qui nous fait basculer dans la rêverie, pendant que nous lisons par exemple. L’hypnose nous plonge dans un monde imaginaire contrôlé, source de bien-être dans lequel nous pouvons stocker des informations et des ressources. Pour y avoir accès, il suffit de retrouver ce même état hypnotique qui nous connecte au même canal, en réactivant les réseaux de neurones spécifiques. Le système attentionnel est refocalisé, hors de toute distraction, stress ou peur de l’échec. On est alors en lien direct avec ce que l’on a appris et dont on veut se souvenir.”
L’apprentissage sous autohypnose s’appuie sur les points forts de chaque individu, une mémoire visuelle ou plutôt auditive, et sur des méthodes simples d’association d’idées. On se construit alors une carte mentale où les mots-clés sont associés à une image, un dessin ou une couleur.
Des techniques enseignées lors de stages. Celui organisé par l’Arche pour les adolescents entre 14 et 18 ans affiche complet tous les ans. À l’école, les professeurs de Justine s’évertuaient souvent à la faire revenir de la Lune. Difficile de rester concentrée 50 minutes d’affilée.
Ils l’autorisent désormais à travailler sa concentration avec la vision périphérique. En quelques instants, le regard posé sur un point fixe, la vision latérale activée à 180 degrés, elle fait taire ce dialogue intérieur qui la distrait et se recentre sur son corps, sa respiration, tous les sens en éveil.
La méthode permet en quelque sorte d’avoir accès au replay. Même chose avec la technique de lecture photographique, l’hypnolecture. Elle permet de “scanner” littéralement un texte et de lire trois à quatre fois plus vite.
Un précieux gain de temps pour les cours d’histoire de Justine : “Je visualise une page entière en surfant sur les lignes, sans vraiment les lire. Certains mots s’accrochent à mon inconscient. Ils restent gravés. Un peu comme les images qui s’enregistrent quand on regarde défiler le paysage par la fenêtre de la voiture.”
Avant de découvrir l’autohypnose, Justine était timide, et renfermée sur elle-même. Aujourd’hui, elle a appris à se faire confiance et devient plus audacieuse. “L’hypnose rend réceptif aux suggestions, rappelle Thierry Gallopin. Elle permet l’acquisition de certains apprentissages du type pavlovien.
“On se projette dans la réussite, comme un sportif qui visualise sa course jusqu’à la victoire. Le cerveau ne semble pas faire la différence entre le réel et l’imaginaire. On peut l’entraîner à stocker et restituer. La répétition de ces entraînements le rend puissant.”
Éviter l’anesthésie
Mais alors que l’hypnosédation se répand dans les salles d’opération pour compléter ou éviter l’anesthésie, aucun diplôme d’hypnothérapeute n’est reconnu nationalement en dehors de quelques diplômes universitaires d’hypnose médicale accessibles aux professionnels de santé.
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Certaines formations délivrent cependant des certifications. Kévin Finel aimerait faire reconnaître la profession et ces techniques appliquées aux apprentissages, à la négociation ou à la communication.
Thierry Gallopin est lui aussi convaincu que l’hypnose pourrait changer les stratégies éducatives et les processus d’apprentissage dans l’Éducation nationale. Reste à savoir si le mammouth sera sensible à cette suggestion.