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Donnez vos cheveux pour lutter contre les marées noires

Toujours prêt à faire un geste pour la planète, notre journaliste a été d’un courage exemplaire : il est passé chez le coiffeur. Sa tignasse a désormais une nouvelle fonction : absorber des hydrocarbures dans l’océan.

Le 15/10/2018 par Alice Pouyat
Toujours prêt à faire un geste pour la planète, notre journaliste a été d’un courage exemplaire : il est passé chez le coiffeur. Sa tignasse a désormais une nouvelle fonction : absorber des hydrocarbures dans l’océan.
Toujours prêt à faire un geste pour la planète, notre journaliste a été d’un courage exemplaire : il est passé chez le coiffeur. Sa tignasse a désormais une nouvelle fonction : absorber des hydrocarbures dans l’océan.

Après des mois d’errance capillaire, j’ai décidé qu’il était temps de me débarrasser de mon encombrante tignasse. Je me suis alors souvenu qu’en 2010, une association américaine qui récupérait les cheveux coupés avait fait beaucoup de bruit lors de l’explosion de Deepwater Horizon, la plateforme pétrolière de Bristish Petroleum, dans le golfe du Mexique. Matter of Trust avait reçu des dons de coiffeurs du monde entier, que ses volontaires transformaient en boudins ou en matelas destinés à absorber le pétrole répandu en mer – une solution qu’elle avait déjà testée avec succès en 2007, lorsque le porte-containers Cosco Busan avait heurté le Bay Bridge et déversé plus de 200 000 litres de fioul dans la baie de San Francisco.

Huit ans après la catastrophe Deepwater Horizon, où en est l’association ? C’est pour le découvrir que j’ai passé un coup de téléphone à Lisa Gautier, sa fondatrice, avant de prendre rendez-vous chez le coiffeur.

« Pendant la marée noire de BP, on avait 19 entrepôts et plus de 340 tonnes de cheveux. C’est très léger, donc ça prend énormément de place, m’explique-t-elle. En ce moment, on stocke 9 tonnes dans notre eco-hub, notre usine modèle en plein cœur de San Francisco. On a environ 10 m2 de matelas de cheveux prêts à l’emploi, et le reste, c’est du cheveu en vrac. »

Les mèches de plus de 7 centimètres, envoyées par des particuliers, sont tressées pour faire la gaze qui constitue l’enveloppe extérieure des boudins. Pour les garnir, l’association peut compter sur un réseau de 60 000 salons de coiffure, qui lui envoient des cartons de cheveux chaque fois qu’elle en a besoin. Mais les cheveux ne sont pas les seuls produits que récupère l’association : les poils d’animaux domestiques sont aussi les bienvenus. Une aubaine puisque le boudin antipollution idéal est composé d’un mélange poils et cheveux, deux « matières » qui n’ont pas les mêmes propriétés de flottabilité.

Gratuit, disponible et renouvelable

Lisa s’est longtemps « tapé la tête contre les murs » en essayant de convaincre les géants du pétrole d’utiliser ses produits. « Le problème, c’est qu’ils font directement concurrence à leurs propres saucisses, qui sont à base de pétrole [en polypropylène ou plastiques polymères, ndlr]. Donc notre truc qui est gratuit, disponible en grande quantité et renouvelable tous les jours, ça ne les intéresse pas. »

Une désillusion, d’autant que les boudins en cheveux n’ont pas les mêmes propriétés que ceux utilisés habituellement. En cas de marée noire, le facteur décisif, c’est la vitesse à laquelle on parvient à entourer la fuite. « À ce niveau-là, les cheveux, c’est mieux que les boudins issus du pétrole », car ils sont immédiatement efficaces, assure la présidente. D’après les observations de l’association, les boudins industriels mettent un certain temps, après leur mise en place, avant d’être efficaces, mais restent efficaces plus longtemps.

L’antidote à sa frustration est venu d’anciens ingénieurs de chez Texas Instruments, qui lui ont conseillé de convaincre les jeunes générations plutôt que les décideurs. Dans les années 1970, la marque a équipé ses calculettes scolaires de petits panneaux solaires pour prouver que la technologie fonctionnait. « Depuis qu’ils nous ont donné cette idée, on fait en permanence des vidéos, des sorties, des expériences dans les écoles. Ils m’ont dit : “Ça va prendre du temps, mais au bout du compte, les gens verront que ça marche.” »

Aujourd’hui, Matter of Trust travaille avec des entreprises chargées de la gestion des eaux de pluie de plusieurs villes du Texas et de Californie. Celles-ci garnissent des cages anti-déchets, placées dans les canalisations, de matelas de cheveux qui permettent de filtrer les huiles drainées par les eaux.

Et une fois utilisés, que deviennent les matelas ? En 2010, Matter of Trust a tenté de les composter « à l’aide de champignons, puis de bactéries thermophiles, et enfin avec des vers ». Mais la méthode, qui a nécessité 18 mois de travail, n’a pas été jugée pertinente dans le cas de cheveux ayant été utilisés lors de marées noires. Selon Lisa, la solution idéale serait de brûler les boudins pour produire de l’énergie.

“Biosorbant naturel”

Si l’association n’opère qu’aux États-Unis, les initiatives se multiplient ailleurs dans le monde. En 2017, une étudiante australienne a mené l’une des rares études scientifiques sur le potentiel absorbant des cheveux, démontrant ce que Lisa Gautier et ses équipes avaient vérifié empiriquement depuis 2001. « Les cheveux sont un biosorbant naturel, on sait qu’ils absorbent 3 à 9 fois leur poids en pétrole », déclare Rebecca Pagnucco, de l’université de technologie de Sydney, qui travaille avec Sustainable Salons Australia, une association de coiffeurs qui vise le zéro déchet.

En France, plusieurs initiatives ont vu le jour ces dernières années. Sylvie, coiffeuse à Tours, stocke les cheveux de son salon et de ceux de ses confrères dans « trois gros sacs de 100 litres », sans leur trouver de débouchés pour le moment. Elle rêve qu’une filière industrielle prenne le relais et utilise ses stocks pour dépolluer les eaux.

Dans le sud de la France, Thierry Gras, fondateur de l’association Coiffeurs Justes, a décroché il y a quelques mois une subvention européenne qui lui permettra de financer une étude sur la manière dont ces cheveux pourraient être utilisés « mais la piste la plus probable, c’est la dépollution des eaux », insiste-t-il.

Ce coiffeur milite aussi pour que les communautés de communes mettent en place un véritable système de collecte, afin de valoriser ces cheveux coupés, qui représentent « 50 % des poubelles des coiffeurs, et 10 tonnes à l’année pour une agglomération de 250 000 habitants ». Quant à ma fière chevelure, en l’absence de filière française, elle est à bord d’un avion postal, direction San Francisco.

Pas ce qu’il y a de plus écoresponsable, certes. Mais je suis content de savoir que, séparée de ses racines, elle se destine au bien commun. D’ici à ce qu’il soit à nouveau temps de passer chez le coiffeur, je pourrai peut-être écrire « France » sur l’enveloppe…

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