Partager la publication "Donnez vos cheveux pour lutter contre les marées noires"
Huit ans après la catastrophe Deepwater Horizon, où en est l’association ? C’est pour le découvrir que j’ai passé un coup de téléphone à Lisa Gautier, sa fondatrice, avant de prendre rendez-vous chez le coiffeur.
Les mèches de plus de 7 centimètres, envoyées par des particuliers, sont tressées pour faire la gaze qui constitue l’enveloppe extérieure des boudins. Pour les garnir, l’association peut compter sur un réseau de 60 000 salons de coiffure, qui lui envoient des cartons de cheveux chaque fois qu’elle en a besoin. Mais les cheveux ne sont pas les seuls produits que récupère l’association : les poils d’animaux domestiques sont aussi les bienvenus. Une aubaine puisque le boudin antipollution idéal est composé d’un mélange poils et cheveux, deux « matières » qui n’ont pas les mêmes propriétés de flottabilité.
Gratuit, disponible et renouvelable
Une désillusion, d’autant que les boudins en cheveux n’ont pas les mêmes propriétés que ceux utilisés habituellement. En cas de marée noire, le facteur décisif, c’est la vitesse à laquelle on parvient à entourer la fuite. « À ce niveau-là, les cheveux, c’est mieux que les boudins issus du pétrole », car ils sont immédiatement efficaces, assure la présidente. D’après les observations de l’association, les boudins industriels mettent un certain temps, après leur mise en place, avant d’être efficaces, mais restent efficaces plus longtemps.
L’antidote à sa frustration est venu d’anciens ingénieurs de chez Texas Instruments, qui lui ont conseillé de convaincre les jeunes générations plutôt que les décideurs. Dans les années 1970, la marque a équipé ses calculettes scolaires de petits panneaux solaires pour prouver que la technologie fonctionnait. « Depuis qu’ils nous ont donné cette idée, on fait en permanence des vidéos, des sorties, des expériences dans les écoles. Ils m’ont dit : “Ça va prendre du temps, mais au bout du compte, les gens verront que ça marche.” »
Aujourd’hui, Matter of Trust travaille avec des entreprises chargées de la gestion des eaux de pluie de plusieurs villes du Texas et de Californie. Celles-ci garnissent des cages anti-déchets, placées dans les canalisations, de matelas de cheveux qui permettent de filtrer les huiles drainées par les eaux.
Et une fois utilisés, que deviennent les matelas ? En 2010, Matter of Trust a tenté de les composter « à l’aide de champignons, puis de bactéries thermophiles, et enfin avec des vers ». Mais la méthode, qui a nécessité 18 mois de travail, n’a pas été jugée pertinente dans le cas de cheveux ayant été utilisés lors de marées noires. Selon Lisa, la solution idéale serait de brûler les boudins pour produire de l’énergie.
“Biosorbant naturel”
En France, plusieurs initiatives ont vu le jour ces dernières années. Sylvie, coiffeuse à Tours, stocke les cheveux de son salon et de ceux de ses confrères dans « trois gros sacs de 100 litres », sans leur trouver de débouchés pour le moment. Elle rêve qu’une filière industrielle prenne le relais et utilise ses stocks pour dépolluer les eaux.
Dans le sud de la France, Thierry Gras, fondateur de l’association Coiffeurs Justes, a décroché il y a quelques mois une subvention européenne qui lui permettra de financer une étude sur la manière dont ces cheveux pourraient être utilisés « mais la piste la plus probable, c’est la dépollution des eaux », insiste-t-il.
Ce coiffeur milite aussi pour que les communautés de communes mettent en place un véritable système de collecte, afin de valoriser ces cheveux coupés, qui représentent « 50 % des poubelles des coiffeurs, et 10 tonnes à l’année pour une agglomération de 250 000 habitants ». Quant à ma fière chevelure, en l’absence de filière française, elle est à bord d’un avion postal, direction San Francisco.
Pas ce qu’il y a de plus écoresponsable, certes. Mais je suis content de savoir que, séparée de ses racines, elle se destine au bien commun. D’ici à ce qu’il soit à nouveau temps de passer chez le coiffeur, je pourrai peut-être écrire « France » sur l’enveloppe…