De Nouvelle-Zélande au Bhoutan, du Pacifique à l’Himalaya, le Wānanga Trek est un reportage solidaire mené par Anne Sophie, étudiante en sciences politiques de 21 ans. Chaque mois, elle racontera ses aventures à We Demain.
Le Bhoutan est un petit pays d’Asie, niché dans l’Himalaya entre l’Inde et la Chine, dont la superficie égale celle de la Suisse et qui est peuplé d’environs 700 000 habitants. Depuis son ouverture récente au monde extérieur, le pays est de plus en plus connu pour une raison principale : il est considéré comme un modèle majeur des transitions, aux antipodes de nos conceptions occidentales des sociétés.
Avec son Bonheur National Brut, sa Constitution qui impose le respect de l’environnement, ses records en termes d’énergies renouvelables (environ 97 % des énergies du pays reposent sur l’hydroélectricité), dans la conservation de la biodiversité ou encore en matière d’émissions carbone (c’est le seul pays au monde à être “carbone-négatif”, donc à absorber plus de carbone qu’il n’en émet), le Bhoutan présente beaucoup de raisons d’être le “pays vert”, en avance sur tous les autres.
Pourtant comme tout pays himalayen, le Bhoutan est également l’un des plus menacés par les changements climatiques : la fonte des glaces constitue une menace majeure pour tous les habitants, urbains comme ruraux. Les questions de l’effondrement des lacs glaciaires, des inondations, de la raréfaction de l’eau potable, du recyclage des déchets, des glissements de terrain, sont particulièrement centrales.
Des succès environnementaux venus de l’État
Au cours de notre Trek des Alternatives en première ligne du changement climatique, le Bhoutan faisait donc figure de symbole : c’en était la dernière étape. Pourtant, c’est le pays qui nous a le plus marqué. Déjà par l’absence des “signes” de la modernité telle que nous la connaissons : aucun feu de signalisation, aucun panneau de publicité, aucun building, mais des tenues traditionnelles, des maisons sculptées et ornées de mille couleurs, et des forêts partout.
Mais la raison principale de notre étonnement provient de l’aspect vertical des mesures environnementales qui font son succès : dans chacun des 8 pays dans lesquels nous nous sommes rendus, les projets les plus efficaces provenaient toujours des citoyens, de la société civile.
C’est le roi Jigme Singye Wangchuck, père du roi actuel Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, qui a lancé ces grandes mesures visionnaires dans les années 1970. Il est l’instigateur du Bonheur National Brut et des nombreuses lois environnementales qui font de la protection de la nature un des garants du bien-être des habitants.
À l’époque, beaucoup le croyaient fou — aujourd’hui, le pays fait figure de modèle dans le monde entier. Son fils a repris la relève en démocratisant le pays et l’ouvrant au monde extérieur, tout en poursuivant les avancées environnementales et sociétales de son père.
Le poids émergent de la société civile
Pourtant, si le Bhoutan est le seul pays où nous avons pu témoigner de l’efficacité réelle des mesures “top-down”, venues du haut, il n’en demeure pas moins que les initiatives citoyennes prennent de plus en plus de poids. À Thimphu, la capitale, nous avons rencontré le fondateur de Loden, une fondation qui accompagne les jeunes bhoutanais à lancer leur projet sociaux et environnementaux.
Le recyclage était, il y a peu, inconnu au Bhoutan. Mais les produits de consommation arrivant ici comme partout, le gouvernement a vite été dépassé par les décharges à ciel ouvert qui finissaient dans les vallées.
Karma Yonten, jeune entrepreneur accompagné par Loden, a donc créé Greener Way en 2010, la première entreprise sociale de recyclage du pays. En 2015, il a remporté le Global Entrepreneurial Award à Londres et aujourd’hui il emploie plus de 34 personnes et recycle des millions de tonnes de déchets, électroniques, plastiques, organiques…
Un modèle en tout point ?
Le pays ne dispose de quasi aucune industrie : il importe donc massivement, à 70 %, tous ses biens de consommation de la vie quotidienne, principalement depuis l’Inde.
Il n’est donc pas étonnant que le pays soit carbone-négatif, si toutes les productions dont il a besoin sont faites à l’extérieur, en Corée ou au Japon pour les voitures, en Inde pour les chaussures ou l’électronique, au Bangladesh pour les vêtements, etc.
Il en va de même pour l’agriculture : le pays est souvent montré en exemple pour bientôt atteindre 100 % d’agriculture biologique, mais toutes les surfaces cultivables ne suffisent pas à nourrir l’ensemble de la population : là aussi, ils importent massivement leurs fruits et légumes d’Inde, où peu de contraintes pèsent sur l’usage des pesticides.
S’il est nécessaire de préciser les limites de ce modèle, nos critiques n’ont en rien entaché notre vision de ce petit pays novateur, car les liens étroits entre la monarchie et le peuple – notamment liés par la philosophie bouddhiste – nous ont démontré l’efficacité des actions gouvernementales et citoyennes pour protéger l’environnement. Le Bhoutan reste, comme très peu de pays le sont aujourd’hui, un modèle inspirant des transitions.