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Serge Zarka : « Le sol est une solution clé face aux crises climatiques »

À l’occasion du World Living Soils Forum 2024 à Arles, Serge Zarka, agrométéorologue et vice-président d’InfoClimat, nous explique pourquoi la préservation des sols est essentielle dans la lutte contre le changement climatique. Un plaidoyer pour replacer le sol au cœur des stratégies agricoles et écologiques.

Le 12/10/2024 par Florence Santrot
Serge Zarka
Serge Zarka, agroclimatologue à Luma Arles durant le WLSF. Crédit : Florence Santrot.
Serge Zarka, agroclimatologue à Luma Arles durant le WLSF. Crédit : Florence Santrot.

Pour sa deuxième édition, le World Living Soils Forum (WLSF), événement phare sur les enjeux du sol vivant, s’est tenu les 8 et 9 octobre 2024 à Arles à l’instigation du groupe de vins et spiritueux Moët Hennesy (LVMH). L’occasion de parler agriculture régénératrice (agroécologie) tant dans les domaines de la viticulture, que de la cosmétique ou encore de l’alimentation. l’occasion aussi pour nombre de scientifiques de venir partager leurs travaux ou simplement échanger sur les dernières avancées en la matière.

Parmi eux, Serge Zarka, agrométéorologue et vice-président d’InfoClimat, une association dédiée à la sensibilisation climatique. Passionné par la biodiversité et la préservation des sols, Serge Zarka milite pour que ces derniers soient reconnus comme une solution clé face aux dérèglements climatiques.

WE DEMAIN : Vous soulignez l’importance des sols dans la lutte contre le changement climatique. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce rôle central ?

Serge Zarka : Le sol est en effet une solution majeure face aux crises climatiques. Un sol vivant et bien géré permet de stocker plus d’eau, de limiter l’érosion, et même de mieux supporter les machines agricoles en cas d’excès d’eau. Il peut aussi capturer du carbone, ce qui est essentiel dans le contexte actuel. L’agriculture peut et doit jouer un rôle de premier plan dans la régénération des sols pour répondre aux défis climatiques.

On parle de plus en plus de la définition de standards d’évaluation de la santé des sols. Est-ce que c’est un sujet urgent selon vous ?

Absolument. Ça a toujours été compliqué d’avoir des normes communes, mais je considère que c’est extrêmement important. Aujourd’hui, il est vital d’avoir des normes communes pour évaluer la qualité des sols. Il faut qu’on se mette d’accord sur
quels sont les indicateurs qui permettent d’avoir un sol vivant. Les agriculteurs ont besoin de repères concrets pour améliorer la santé de leurs terres. On parle
de faire remonter le taux de matière organique, d’améliorer les échanges entre cations dans le sol. On parle des pratiques de non-labour, de couverts végétaux, de stockage du carbone… Mais comment codifier tout cela ?

Ce n’est pas simple à mettre en place, mais c’est nécessaire. Nous avons perdu beaucoup de pratiques traditionnelles qui valorisaient le sol, et il faut maintenant les réapprendre et les adapter aux réalités environnementales et économiques d’aujourd’hui. Sans ces mesures, il sera difficile voire impossible de convaincre la filière.

Est-ce que vous pensez que les agriculteurs connaissent bien leur sol ?

En France, les agriculteurs connaissent souvent bien leur terroir, c’est-à-dire le lien entre le sol, le climat et les cultures. Cependant, au cours des dernières décennies, le sol a été vu davantage comme un simple support, et non comme une source de fertilité. Ce n’est pas tant la connaissance du sol qui manque, mais plutôt la prise en compte de son rôle essentiel dans l’écosystème. Après, c’est toujours bien de faire une analyse poussée de son sous-sol pour mieux connaître sa santé et sa diversité.

Avec la montée des enjeux environnementaux, il est nécessaire de réintroduire cette conscience et d’accompagner les agriculteurs dans des pratiques qui mettent le sol au cœur de leur stratégie. Pour moi, cela passe par la formation et par une meilleure communication sur les bénéfices à long terme.

Pouvez-nous expliquer plus en détail en quoi le sol est devenu un simple support ?

Le sol est devenu un support pour les végétaux, mais ce n’est plus une source de fertilité ou une source d’eau. Sur deux générations, on a perdu la notion de l’importance du sol, même si on connaît la structure du sol. Les agriculteurs héritent bien souvent des pratiques de leurs parents et de leurs grands-parents mais elles ne sont pas immuables. Il faut les redéfinir suivant les problématiques qui arrivent actuellement, l’environnement et le climat.

Il faut prendre conscience qu’une grande partie de la baisse de fertilité du sol – depuis 50, 60, 70 ans – est due à la baisse des légumineuses dans les rotations, à l’absence de couverts végétaux, donc des sols qui sont exposés aux éléments climatiques, au labour régulier, etc.

En deux générations, tout a changé dans les pratiques agricoles…

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il fallait sortir des risques de famine. L’État a donc structuré la filière pour la rendre plus productive. Il y avait aussi une volonté de donner à manger à des prix attractifs pour pouvoir « calmer » le peuple européen par rapport aux deux guerres qu’ils avaient vécues. Il y a eu des plans énormes d’investissement qui ont été faits dans l’agriculture. À cela s’ajoutent les connaissances chimiques, mécaniques et technologiques qu’on a faites pendant la guerre et qu’on a ensuite appliquées à l’agriculture. Et ce, quelles que soient les conséquences environnementales.

D’ailleurs, on n’était pas forcément même conscient des conséquences que ça pouvait avoir sur le sol, les paysages. Le remembrement, par exemple, a été une catastrophe. Maintenant, par contre, on peut revenir à un mélange entre garder cette agriculture qui nous nourrit, mais peut-être baisser la pression au niveau des sols, et réintroduire des aspects climatiques et environnementaux. C’est d’autant plus important qu’on sait, c’est prouvé scientifiquement, que le sol agricole est une solution pour faire face au changement climatique par rapport au stockage du carbone.

Pour enclencher vraiment la transition écologique dans l’agriculture, quelle impulsion faut-il ?

Il ne fait pas de doute que l’État doit être un leader dans cette transition. Il ne s’agit pas uniquement d’aides financières, mais aussi de formation. Aujourd’hui, l’agriculture de conservation des sols – celle qui peut réellement améliorer la santé des sols et ramener de la biodiversité – ne représente que 3 à 4 % des pratiques agricoles en France. C’est rien. C’est largement insuffisant face aux enjeux.

Il faut donc accompagner les agriculteurs par une politique d’État. Il faut leur fournir le matériel nécessaire et les aider à traverser la période de transition, qui peut entraîner des pertes de rendement. Cela peut prendre 3, 4, 5 ans, ce n’est pas négligeable. Il faut avoir le courage d’instaurer cette politique de long terme. Et vite car il y a urgence.

En quoi le World Living Soils Forum peut faire avancer les choses ?

Les discussions entre acteurs de domaines très différents sont cruciales. Ici, par exemple, on voit des géants comme Moët Hennesy discuter avec des producteurs en agroécologie. Moi-même, j’ai parlé avec des producteurs de parfums. Ce n’est pas tous les jours que cela arrive. Ce genre de dialogue est essentiel pour créer des solutions innovantes. Nous devons sortir des silos et parler entre nous si nous voulons vraiment trouver des réponses durables aux problèmes auxquels nous faisons face. De même, je crois vraiment à des échanges de pair à pair dans l’agriculture pour se partager les bonnes pratiques. Ce lien social est crucial.

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