Respirer  > The Last Observers : observateurs météorologiques, une vie sans commune mesure

Written by 15 h 28 min Respirer, Societe-Economie, Vidéos / Podcasts

The Last Observers : observateurs météorologiques, une vie sans commune mesure

VIDEO – Pendant 36 ans, Karin et Lennart Karlsson ont été observateurs météorologiques au phare de Falsterbo, à l’extrême sud de la Suède. Alors que leur métier disparaît, ils font l’objet d’un documentaire, « The Last Observers ».

Le 14/10/2024 par Florence Santrot
Karin et Lennart Karlsson
The Last Observers : Karin et Lennart Karlsson en pleine obseravtion. Crédit : Patagonia.
The Last Observers : Karin et Lennart Karlsson en pleine obseravtion. Crédit : Patagonia.

Huit fois par jour, jour et nuit, pendant 36 ans, Karin et Lennart Karlsson ont effectué des observations météorologiques – environ 100 000 – depuis le phare de Falsterbo, en Suède. Dans une ère où les technologies automatisées ont remplacé une grande partie des métiers humains, « The Last Observers » se concentre sur ce couple qui, contre vents et marées, reste attaché à une mission essentielle : l’observation météorologique manuelle. Ce documentaire, réalisé par leur fille Maja Karlsson, suit leur quotidien dans leur station reculée, où le vent souffle fort et la solitude règne en maître.

Produit par Patagonia, le documentaire met en lumière des protagonistes qui ont fait face pendant des décennies à l’isolement et aux éléments pour recueillir des données essentielles sur le climat. Il y avait 250 stations météorologiques manuelles en Suède quand le couple Karlsson a débuté. Ces observateurs sont les derniers d’une longue lignée, leur métier étant peu à peu remplacé par des satellites, des machines et de l’intelligence artificielle. Pour le mieux ? Pas si sûr…

Regarder le documentaire « The Last Observers » en intégralité :

Une vie dédiée à la météo et aux oiseaux

Le film nous plonge dans l’intimité de ces gardiens, qui parlent de leur vocation avec une passion rare. À travers leur quotidien, on découvre à quel point leur travail est vital pour comprendre le changement climatique et comment il permet de maintenir un lien direct avec la nature. Chaque prise de mesure nécessite 20 minutes. De jour comme de nuit, quel que soit le temps, toutes les trois heures, 365 jours par an, Karin et Lennart se relaient pour aller observer le ciel et l’environnement afin de relever différents paramètres. Température, pression de l’air, visibilité, hauteur des vagues, direction et vitesse des vents, types de nuages (27 différents) et leur hauteur… À cela s’ajoute un travail quasi bénévole pour baguer les oiseaux de passage dans un but de comptage scientifique.

« Nous nous sommes mariés pour pouvoir avoir ce poste d’observateurs météorologiques, explique Karin Karlsson. Deux de nos quatre enfants sont nés dans la voiture car nous partions trop tard pour la maternité à cause des observations à faire. Nous n’en avons jamais ratées aucune. » Sa fille, Maja, confirme à WE DEMAIN : « Nous ne partions jamais en vacances. Nous étions pauvres en raison des salaires très bas. Quand j’étais enfant, j’avais une vie différente de mes amis d’école, bien plus aisés. Mais nous passions beaucoup de temps à observer les oiseaux et à jouer avec les rennes, c’était amusant aussi. »

Karin et Lennart Karlsson
Le documentaire met autant en lumière le travail singulier du couple que leur amour profond. Crédit : Patagonia.

L’avènement des machines

Mais cette mission, aussi noble soit-elle, est menacée. Le 30 octobre 2023, Karin et Lennart Karlsson ont effectué leur toute dernière observation météorologique. En effet, le 1er octobre, les mesures ont été réalisées uniquement par des machines. La raison ? Des réductions budgétaires et des avancées technologiques qui mettent en péril cette expertise unique, profondément humaine. « The Last Observers » fait ainsi écho à une question plus vaste : que perdons-nous lorsque nous délaissons les savoirs ancestraux au profit des machines ? Certaines missions, si simples en apparence, sont pourtant indispensables. Dans un monde de plus en plus digitalisé, il y a des savoir-faire qu’il serait catastrophique de perdre.

« Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ces machines manquent totalement de précision, affirme Maja Karlsson. Interpréter les nuages est si difficile, c’est une expertise complexe à maîtriser et les machines ne savent pas encore le faire correctement. Qui plus est, pour observer si un ciel est nuageux ou pas, un capteur va pointer vers une petite portion du ciel. Si, au moment de la mesure, un nuage passe juste au-dessus, la machine va déclarer que le ciel était couvert. Alors qu’il est possible que ce nuage soit tout seul et que le ciel soit en réalité dégagé. Même chose si une araignée décide de tisser sa toile et d’obstruer un appareil. Tous les jours, ma mère va nettoyer les machines pour s’assurer qu’elles prennent des mesures correctes. »

S’il ne prend plus de mesures manuelles, le couple a obtenu de pouvoir continuer à vivre au phare de Falsterbo en échange de cet entretien régulier.

machines météo
Karin Karlsson entretient quotidiennement les machines qui l’ont remplacée dans son travail de prises de mesures. Crédit : Patagonia.

Un film engagé, un message fort

À travers ce projet, Patagonia continue de s’engager pour la protection de l’environnement et la sensibilisation à l’urgence climatique. « The Last Observers » devient ainsi un cri d’alarme, un plaidoyer pour que la société reconnaisse la valeur inestimable de ces gardiens du climat et de leur travail. « Dans nos statistiques, les oiseaux migrateurs arrivent bien plus tôt, souligne Lennart Karlsson dans le documentaire. Nous notons aussi des différences de températures importantes et des bouleversements rapides. Les nuages changent. Il y a de fortes pluies suivies de longues périodes de sécheresse. Nous nous rapprochons des climats tropicaux avec les moussons. »

« The Last Observers » est aussi une ode à l’abnégation. « La vie de mes parents est la preuve qu’on n’a pas besoin d’avoir une vie parfaite, un job parfait… pour l’apprécier », explique Maja Karlsson. Sa mère confirme dans le documentaire : « Je ne me vois pas vivre une autre vie. Je peux aller à la plage à 4h30 du matin pour prendre des mesures et observer le lever du soleil. Tout mon corps frissonne de plaisir dans ces moments-là. » Se contenter d’une vie simple, mais emplie de l’essentiel, tel est en substance le témoignage de ce couple attachant.

SOUTENEZ WE DEMAIN, SOUTENEZ UNE RÉDACTION INDÉPENDANTE
Inscrivez-vous à notre newsletter hebdomadaire
et abonnez-vous à notre magazine.

A lire aussi :