Partager la publication "De l’étincelle à la dévastation : les leçons des incendies de Los Angeles"
À Los Angeles, c’est Paris qui a brûlé. Paris intra-muros, c’est une surface de 105 km². Depuis le début des incendies dans le quartier de Palisades, mardi 7 janvier dernier, ce sont 117 km² qui sont partis en fumée. Si on ne sait pas avec exactitude ce qui a pu déclencher cette catastrophe (feux d’artifices, dysfonctionnement des réseaux électriques…), le bilan est d’ores et déjà terrible en ce mercredi 25 janvier : 25 morts et plus de 12 300 habitations détruites. Les experts scrutent en tout cas de près le secteur de Skull Rock, d’où sont partis les premiers feux.
À qui imputer réellement ces incendies monstres qui ravagent cette mégalopole tentaculaire, deuxième plus grande ville des États-Unis après New York ? Pour Donald Trump et Elon Musk, la faute revient aux Démocrates. Les climato-sceptiques, eux, rejettent la faute sur les écologistes. Pour d’autres, c’est dû au réchauffement climatique. WE DEMAIN fait le point sur les raisons sous-jacentes de ce drame. Si les dérèglements environnementaux ne sont pas la seule cause, ils démultiplient en tout cas les conséquences.
Une météo extrême, jamais vue en janvier à Los Angeles
La région de Los Angeles est particulièrement exposée aux incendies, et les conditions météorologiques actuelles exacerbent ce risque. Ces dernières années, la Californie a subi des sécheresses prolongées. Selon une étude de l’Institute of Physics, les températures dans cette région ont augmenté de 1,5 °C depuis le début du XXe siècle, rendant la végétation plus inflammable. À cela s’ajoutent les vents de Santa Ana, particulièrement forts cette année. Ils ont dépassé par endroits les 160 km/h et pourraient à nouveau souffler jusqu’à 120 km/h ces prochains jours.
La Californie est actuellement en proie à une sécheresse sévère. Depuis mai 2024, Los Angeles n’a enregistré que 4,1 mm de précipitations. C’est l’une des saisons des pluies les plus sèches depuis les années 1800. En janvier 2025, l’humidité des sols dans la région se situe dans les 2 % les plus bas jamais enregistrés, selon la NASA.
Une sécheresse historique aggrave la crise
La sécheresse rend la végétation particulièrement inflammable. Les plantes, asséchées par des mois sans précipitations, se transforment en véritables “boîtes d’allumettes”. Selon Glen MacDonald, professeur de géographie à l’UCLA, “Le concept de saison des feux ne s’applique plus en Californie du Sud. On peut avoir un incendie n’importe quel mois de l’année.”
La combinaison de terres arides, avec une végétation desséchée, des températures au-dessus de la moyenne (plus de 21 °C enregistrés et une humidité de moins de 10 %) et de forts vents alimentent les flammes et accélèrent leur propagation. Selon la National Weather Service, les critères d’une météo “extrêmement critique” ont été remplis pour la première fois en plein hiver. Une “tempête parfaite”, propice à la propagation des flammes.
Des catastrophes naturelles qui deviennent de plus en plus fréquentes
Ces conditions extrêmes ne sont pas nouvelles, mais leur fréquence et leur intensité augmentent. Comme l’explique Douglas Kelley, modélisateur de la surface terrestre au UK Centre for Ecology & Hydrology, les éléments météorologiques combinés ont permis aux incendies de grandir et de se propager beaucoup plus vite que les moyens déployés pour les maîtriser. Plus de 75 % des structures détruites aux États-Unis entre 2001 et 2020 l’ont été par des feux rapides similaires.
Les experts pointent du doigt le rôle du changement climatique. Dans un post publié sur LinkedIn, Benjamin Hamlington, scientifique au Jet Propulsion Laboratory de la NASA, a évoqué sa maison d’Altadena détruite par les flammes des feux de Los Angeles mercredi dernier. Ce spécialiste de l’observation du changement climatique rappelle : “Ces événements – souvent bien plus dévastateurs en termes de pertes humaines que celui-ci – se produisent partout et de plus en plus souvent année après année.” Plutôt que de sombrer dans le pessimisme, il appelle à “protéger ce qui est le plus important pour nous, soutenir les communautés vulnérables à travers le monde et assurer une vie décente à nos enfants. Tout cela est possible et vaut la peine de s’y atteler du mieux que nous pouvons.”
Les impacts d’un climat changeant sur les incendies
Le réchauffement climatique exacerbe la fréquence et l’intensité des incendies de forêt. Depuis les années 1970, les incendies dans l’ouest des États-Unis brûlent six fois plus de terres et leur saison est plus longue de 105 jours, selon Climate Central. La Californie a connu une augmentation de 172 % des zones brûlées au cours des 50 dernières années. Un phénomène directement lié à la hausse des températures globales et à la diminution de l’humidité.
Comme l’explique Kimberley Simpson, spécialiste des solutions climatiques basées sur la nature à l’Université de Sheffield, “ces feux dévastateurs surviennent avec une intensité accrue et plus tôt dans l’année, redéfinissant les régimes de feux en Californie”. Parmi les 20 plus grands incendies de l’histoire de l’État, 19 ont eu lieu depuis 2003. Dont la moitié au cours des cinq dernières années. En outre, d’une manière générale dans le monde, les experts s’accordent pour dire que les incendies incontrôlés vont augmenter de 50 % d’ici à 2100.
Gare au “Climate whiplash”
Les événements de “climate whiplash”, caractérisés par des oscillations brutales entre périodes de sécheresse extrême et épisodes de pluies torrentielles, se multiplient à travers le monde sous l’effet du réchauffement climatique. Ce phénomène, lié à une atmosphère plus chaude capable de retenir davantage de vapeur d’eau, intensifie les sécheresses en asséchant les sols tout en augmentant la fréquence des pluies diluviennes. Les conséquences sont particulièrement visibles dans des régions comme l’Afrique de l’Est, le Pakistan ou la Californie. Là-bas, des sécheresses prolongées ont été suivies de précipitations record. Conséquence : des glissements de terrain, des inondations et des pertes agricoles massives. À Los Angeles, cette instabilité climatique a contribué aux incendies dévastateurs récents, après qu’une abondante végétation – liée à de fortes précipitations début 2024 – ait séché sous l’effet d’une chaleur record.
Ces événements sont en hausse de 31 % à 66 % depuis le milieu du XXe siècle (il n’y a pas encore de consensus parmi les études mais la hausse est certaine). Les experts appellent donc à une adaptation urgente des infrastructures et des politiques. Il s’agit notamment de revoir la gestion des ressources en eau. Il faudrait permettre aux rivières de regagner leurs plaines inondables pour ralentir les flux et réduire les surfaces imperméabilisées dans les villes. Travailler différemment les terres agricoles pour les rendre plus perméables serait aussi nécessaire. Ces mesures, combinées à une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, sont essentielles pour limiter l’impact croissant de ces transitions climatiques extrêmes, qui pourraient plus que doubler en intensité si les températures globales atteignent +3 °C. Un scénario de plus en plus probable selon les climatologues.
Des impacts humains et financiers colossaux
Les incendies ne laissent pas seulement des paysages calcinés ; ils affectent profondément les communautés. Benjamin Hamlington, résident du quartier d’Altadena au nord de Los Angeles, dont la maison a été détruite, témoigne : “C’est un événement marquant, non seulement à cause de l’étendue de la destruction, mais aussi par le calme étrange qui règne après.” Le bilan actuel, ce mercredi 15 janvier 2025, est de 25 morts. Plus de 12 300 structures ont été détruites, exposant des millions de personnes à des fumées toxiques remplies de substances dangereuses issues de maisons, de véhicules et de plastiques brûlés. À cela s’ajoutent quelque 88 000 personnes soumises à un ordre d’évacuation.
Le coût économique de ces incendies s’annonce également dévastateur. Le gouverneur Gavin Newsom les a qualifiés de “pire catastrophe naturelle de l’histoire des États-Unis en termes de coûts”. Les prévisions initiales d’AccuWeather, publiées le week-end dernier, estiment les pertes financières à 275 milliards de dollars. Et les feux ne sont pas tous maîtrisés, la facture pourrait donc continuer à grimper…
Le rôle crucial des politiques publiques et institutionnelles
Les politiques publiques et les infrastructures jouent un rôle central dans la prévention et la gestion des incendies en Californie. L’État a déjà expérimenté des techniques de prévention, comme le brûlage contrôlé pour réduire la végétation inflammable. Mais leur adoption à grande échelle reste freinée par des contraintes réglementaires et financières. Le gouverneur Gavin Newsom fait actuellement l’objet de critiques après avoir fait voter, en juin 2024, une réduction de 100 millions de dollars pour les fonds alloués en 2025 à sept programmes de “résilience face aux incendies et à la forêt”.
En parallèle, les infrastructures électriques vieillissantes exacerbent le risque d’incendies. L’enfouissement des lignes électriques, qui coûterait environ 3 millions de dollars par mile (contre 800 000 dollars pour des lignes aériennes), progresse lentement. Par exemple, Pacific Gas and Electric (PG&E) a annoncé son intention d’enterrer 16 000 kilomètres de lignes sur dix ans, un projet estimé entre 15 et 30 milliards de dollars.
La nécessité d’une gestion proactive et résiliente
Face à ces défis, les experts appellent à des mesures de prévention plus robustes. Parmi les recommandations, figurent le brûlage contrôlé pour réduire l’accumulation de végétation inflammable, la modernisation des infrastructures et des réseaux électriques, et une meilleure coordination des secours. La Californie, pionnière en matière de politiques environnementales, pourrait jouer un rôle-clé en testant des solutions innovantes pour limiter l’impact des incendies.
En même temps, la prise de conscience doit être globale. Les incendies en Californie sont un symptôme du changement climatique, un problème qui ne connaît pas de frontières. Ces incendies à Los Angeles sont une – nouvelle – alerte douloureuse.
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