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Gaspillage alimentaire et non-alimentaire : les entreprises toujours loin du compte

La France visait une réduction de 50 % du gaspillage alimentaire en 2025 par rapport à 2015. On n’y sera pas. Les entreprises peinent encore à adopter des pratiques efficaces comme le révèle le Baromètre Anti-Gaspillage 2025, réalisé par Comerso et Dynata.

Le 13/03/2025 par Florence Santrot
gaspillage alimentaire
Pour éviter le gaspillage, les entreprises peuvent faire un don aux associations ou encore proposer les produits à date courte à des prix attractifs. Crédit : illustrez-vous / stock.adobe.com.
Pour éviter le gaspillage, les entreprises peuvent faire un don aux associations ou encore proposer les produits à date courte à des prix attractifs. Crédit : illustrez-vous / stock.adobe.com.

Le gaspillage alimentaire et non alimentaire reste un problème majeur en France. Malgré une prise de conscience croissante des entreprises et des efforts législatifs conséquents, les chiffres du Baromètre Anti-Gaspillage 2025, réalisé par Comerso et Dynata, révèlent une réalité encore préoccupante. Si 90 % des entreprises sont convaincues de l’importance de leur rôle dans la lutte contre le dérèglement climatique, elles continuent pourtant de gaspiller des quantités considérables de produits. 29 % des grandes et moyennes surfaces (GMS) déclarent jeter plusieurs fois par semaine des denrées consommables (dont 4 % quotidiennement). Et 33 % des grandes surfaces spécialisées (GSS) indiquent avoir au moins quelques fois par mois des invendus non-alimentaires non valorisés.

Alors que la France s’est fixé un objectif de réduction de 50 % du gaspillage alimentaire d’ici 2025, la route semble encore longue. Le cadre réglementaire, notamment avec la Loi Garot (2016) et la Loi AGEC (2020), a instauré des obligations strictes. Mais dans les faits, leur application reste incomplète. “Entre manque de connaissance des lois et obstacles logistiques, les entreprises peinent à généraliser des pratiques efficaces”, résume François Vallée, Responsable Communication chez Comerso. Cette entreprise, spécialisée dans la valorisation des invendus et la logistique solidaire, accompagne les entreprises dans l’optimisation de leurs flux pour limiter le gaspillage.

Un décalage entre engagement et réalité

Le Baromètre Anti-Gaspillage 2025 interroge plus de 250 responsables du secteur de la grande distribution et de l’industrie agroalimentaire, met en évidence des avancées, mais aussi des marges de progression significatives. Il montre que 58 % des entreprises affirment avoir renforcé leurs actions anti-gaspillage depuis l’an dernier. Mais, globalement, la mobilisation semble fragile : 42 % des entreprises envisagent de réorienter à la baisse leurs engagements environnementaux, freinées par un contexte économique et géopolitique tendu.

L’un des points les plus révélateurs de cette enquête est la difficulté des entreprises à voir la lutte contre le gaspillage, alimentaire ou non-alimentaire, comme un levier économique. Seuls 39 % des professionnels sont convaincus que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est un facteur d’optimisation. Déjà peu élevé, ce chiffre est en net recul par rapport à 2020 (-7 % dans la grande distribution, -14 % dans les grandes surfaces spécialisées). En clair, alors que l’opinion publique pousse à davantage d’engagement, les entreprises hésitent, doutant encore du retour sur investissement des initiatives anti-gaspillage.

“Pourtant, en faisant un don de 100 euros, elles peuvent bénéficier de 60 euros de réduction d’impôts, comme les particuliers. En parallèle, nos évaluations montrent qu’une enseigne qui ne maîtrise pas ou gère mal le gaspillage doit consacrer entre 1 et 1,5 % de son chiffre d’affaires annuel aux coûts de traitement des déchets. À l’inverse, un magasin qui optimise cette gestion réduit cette charge à 0,2 ou 0,3 % de son chiffre d’affaires. Pour un hypermarché moyen, cela peut rapidement se traduire par plusieurs centaines de milliers d’euros d’économies”, explique François Vallée. Une réalité hélas pas toujours identifiée dans les grandes surfaces, magasins spécialisés ou dans l’industrie agro-alimentaire.

Le gaspillage alimentaire : des pratiques encore insuffisantes

Le gaspillage alimentaire reste une réalité omniprésente. Dans les GMS, 69 % des magasins admettent jeter des produits alimentaires encore consommables de plusieurs fois par semaine à quelques fois par mois. Seulement 15 % disent ne jamais le faire. “Souvent, les magasins se disent qu’ils jettent ‘pour une fois’ alors qu’ils s’efforcent de bien faire la plupart du temps. Mais quand on cumule ces ‘pour une fois’ dans les 15 000 points de vente GMS en France, on obtient des volumes énormes. il faut une prise de conscience”, ajoute François Vallée. Du côté de l’industrie alimentaire (IAA) aussi, 47 % des acteurs reconnaissent détruire encore régulièrement des produits en parfait état.

Quant aux dispositifs mis en place, si le don aux associations reste largement pratiqué (92 % des GMS), seules 12 % d’entre elles bénéficient d’une collecte quotidienne par les associations, contre 42 % en 2020. Ce chiffre traduit une défaillance logistique, rendant difficile l’acheminement rapide des invendus vers des structures en ayant besoin. “Soit le magasin a besoin de se débarrasser des produits un jour où l’association ne passe pas, soit il y a du surstock non prévu”, pointe François Vallée.

Par ailleurs, le stickage des produits à date courte reste une mesure phare, pratiquée dans 92 % des GMS. Son efficacité est reconnue, avec une note moyenne de 8,3/10. Preuve que les actions “anti-gaspi” des grandes surfaces ont été adoptées par les consommateurs. Mais leur usage ne suffit pas à compenser le volume des pertes. Enfin, les paniers aux consommateurs (type Too Good To Go ou encore Phénix) sont pratiqués par 57 % des GMS.

Le gaspillage non alimentaire, un angle mort

Si la question du gaspillage alimentaire est médiatisée, celle des invendus non alimentaires reste largement sous-estimée. Faute de solution, les GSS ont encore des invendus non valorisés : 34% au moins quelques fois par mois, selon leurs déclarations au Baromètre Anti-Gaspillage 2025.

Pourquoi jeter alors que ces articles pourraient être réutilisés, donnés ou revalorisés ? Plusieurs freins sont évoqués :

  • Une logistique contraignante, notamment pour l’acheminement des invendus vers des associations.
  • Des règles fiscales jugées floues, rendant incertaine l’application des exonérations fiscales liées aux dons.
  • La peur que les associations revendent ces produits, ce qui soulève des questions d’image et de responsabilité.

80 % des GSS pratiquent pourtant le don aux associations, en hausse de 17 % depuis 2020. 75 % ont aussi recours au déstockage.

Réglementation et méconnaissance des lois : un frein majeur

Les entreprises reconnaissent que les lois en vigueur ont un impact positif : 84 % des GMS estiment que la Loi Garot a permis de réduire le gaspillage alimentaire, et 89 % des IAA jugent la Loi AGEC efficace. Pourtant, leur connaissance des réglementations reste très insuffisante, avec une note moyenne de 10/20 sur le cadre légal.

L’un des exemples les plus frappants concerne le Label Anti-Gaspillage Alimentaire : 52 % des GMS ignorent son existence. De même, 34 % des GMS et 45 % des grandes surfaces spécialisées ne connaissent pas la CSRD, la directive européenne imposant la transparence sur les engagements RSE. Sans une meilleure information et sensibilisation, les entreprises risquent de passer à côté des opportunités de structurer efficacement leur lutte contre le gaspillage.

Quelles solutions pour inverser la tendance ?

Pour atteindre les objectifs de réduction du gaspillage, plusieurs axes d’amélioration sont identifiés :

  1. Renforcer l’application des lois et la formation des entreprises : améliorer la connaissance des réglementations et accompagner les entreprises dans leur mise en œuvre. En 2025, pour la première fois, des contrôles auront lieu sur la question du gaspillage et des amendes – quoique relativement faibles – pourraient donc être émises pour la première fois.
  2. Développer des solutions logistiques efficaces pour le don aux associations, notamment en augmentant la fréquence des collectes. Mais se pose la question des moyens.
  3. Faciliter la revalorisation des invendus non alimentaires en allégeant les contraintes fiscales et administratives sur le don.
  4. Encourager l’innovation pour limiter la surproduction et mieux gérer les stocks, notamment grâce à l’intelligence artificielle et aux outils de gestion prédictive.
  5. Développer des incitations économiques, telles que des avantages fiscaux pour les entreprises qui s’engagent réellement dans la lutte contre le gaspillage.

Vers un tournant nécessaire ?

Les résultats du Baromètre Anti-Gaspillage 2025 montrent que les entreprises sont relativement conscientes du problème, mais que les efforts restent trop timides. “Il y a bien moins de gaspillage en volume à l’échelle d’un magasin qu’il y a 10 ans mais, tant que le lien entre engagement écologique et performance économique ne sera pas clarifié, la lutte contre le gaspillage restera secondaire pour nombre d’acteurs”, regrette François Vallée.

L’urgence est pourtant là : la raréfaction des ressources, la pression sociale et les impératifs environnementaux obligent les entreprises à repenser leur gestion des invendus. Le législateur devra sans doute aller plus loin, en renforçant les contrôles et en rendant les sanctions plus dissuasives. Mais c’est aussi aux entreprises d’adopter une approche plus proactive, en formant mieux son personnel, en prenant davantage la mesure du problème en interne et en incitant davantage ses équipes à prendre le sujet à bras le corps notamment. “Certaines enseignes sont déjà relativement exemplaires et se rapprochent du zéro déchet. Parmi les bons élèves, on peut par exemple citer Carrefour”, souligne François Vallée.

Des États généraux du gaspillage prévus ce 13 mars 2025 pour donner un nouvel élan

Si la prise de conscience est bien là, il reste encore un long chemin à parcourir avant d’atteindre un véritable changement systémique. Une certitude demeure : le gaspillage, qu’il soit alimentaire ou non, ne pourra plus être ignoré dans les stratégies économiques et environnementales des entreprises. Ce jeudi 13 mars, à Paris, le député PS Guillaume Garot, auteur de la loi contre le gaspillage alimentaire en 2016, organise de nouveaux États généraux sur le sujet à l’Assemblée nationale. Objectif : donner un nouvel élan qui, comme le révèle le Baromètre, a atteint un plateau entre 2020 et 2025.

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