Partager la publication "Oui au revenu universel, mais en monnaies complémentaires"
Moins médiatisées, les monnaies complémentaires ont, pour leur part, réussi à développer des écosystèmes décentralisés et citoyens (souvent à l’échelle locale mais pas seulement), avec pour principal objectif une plus grande égalité sociale sur le plan microéconomique.
À première vue, on pourrait croire les deux concepts relativement distincts l’un de l’autre. Et pourtant, il est fort probable qu’ils aient un avenir commun.
Pour d’autres, en revanche, un éventuel recours à une allocation inconditionnelle, qui serait offerte à chaque individu, traduirait finalement l’incapacité chronique des politiques économiques de ces dernières années à comprendre les bouleversements technologiques actuels et futurs, à en anticiper les bénéfices et surtout à s’y adapter.
Si le progrès a toujours constitué une forme de “destruction créatrice” du travail (les métiers à tisser remplaçant les tisserands, les porteurs d’eau supplantés par l’eau courante…), cela s’est généralement fait sur des périodes assez longues.
Les effets du revenu de base sur le monde du travail
L’ennui, c’est que distribuer de l’argent tous les mois aux citoyens ne constitue pas forcément la meilleure façon de continuer à faire tourner l’économie. La plupart des sociétés occidentales étant endettées au-delà de leurs capacités de remboursement (et c’est valable pour la France). Aussi, le financement d’un revenu universel semble particulièrement compliqué, à moins d’entrer dans une spirale mortelle d’hyperinflation.
On peut supposer que les demandeurs d’emploi seront plus regardants sur les offres auxquels ils postuleront. Les candidats risquent notamment de se faire plus rares pour des emplois à faible valeur ajoutée ou peu qualifiés, habituellement payés au salaire minimum.
Conséquence directe, faute de pouvoir offrir des salaires plus importants à des gens qui ne seront plus obligés de travailler, de nombreuses entreprises ne pourront plus assurer leur développement, et beaucoup cesseront leur activité (réduisant encore au passage l’offre de produits nationaux, au profit des biens d’importation).
Quant au financement du revenu universel, qu’on prévoit d’asseoir sur les prélèvements sociaux, il pourrait lui aussi être remis en question, et surtout devoir être compensé par une plus forte charge fiscale sur les individus et les entreprises.
Et la grogne des classes moyennes de plus en plus lourdement ponctionnées pour financer ce qu’elles considéreront comme l’oisiveté des autres, tous les ingrédients seront réunis pour engendrer de graves troubles.
Un revenu de base affecté à des usages précis
Une monnaie de ce type constituerait un moyen idéal de distribuer un revenu additionnel dédié à des utilisations spécifiques. Bien sûr, il faudrait avant tout l’extraire du champ minimaliste de l’expérimentation socio-humanitaire, et se mettre à y réfléchir comme à une véritable alternative économique de grande ampleur.
Les monnaies locales sont des expériences intéressantes, mais comme le montre l’exemple du WIR en Suisse (ou dans une moindre mesure, le bon vieux “ticket restau” français), la monnaie complémentaire est un concept bien plus large, susceptible de faire tourner une partie de la machine économique au niveau d’un pays tout entier.
Choisissons plutôt une monnaie qui viendrait suppléer la devise officielle sans craindre les turbulences internationales. Une monnaie qui permettrait d’accroître le pouvoir d’achat des citoyens tout en soutenant l’économie intérieure.
Une monnaie qui retrouverait un rôle à la fois social (dans le sens de propre à la société) et pacificateur (la signification étymologique du verbe “payer” correspond à “faire la paix”), qui remettrait l’individu au sein de la collectivité.
Car il faudrait bien entendu que cette monnaie complémentaire, distribuée sous forme de revenu universel de base, ne puisse pas être dévoyée par l’acquisition de produits financiers, de produits d’importation ou de biens sujets à spéculation. Là encore, aucune visée anti-capitaliste ou d’idéologie politicienne, mais au contraire une vision pragmatique de ce que devrait être un revenu complémentaire pour mieux servir l’intérêt premier des citoyens.
On connaît également le chèque déjeuner qui fait office de monnaie complémentaire utilisable dans la plupart des restaurants de France et de Navarre, et aussi chez certains commerçants (même si la réglementation s’est récemment durcie). Et n’oublions pas toutes ces monnaies électroniques, dont l’emblématique bitcoin, qui transitent entre des millions d’usagers sans jamais faire apparaître le moindre euro, yen ou dollar.
Il ne faudrait pas grand chose pour généraliser ce principe à l’ensemble du territoire en l’associant par exemple à une politique de redistribution sous forme de revenu universel.
Quant au financement, il pourrait être assuré par une fiscalité dédiée en monnaie complémentaire basée sur les usages, la circulation, la consommation plutôt que sur le revenu. Un revenu qui, par ailleurs, ne correspondrait plus à un travail mais à une activité au sein de la collectivité. Et les monnaies complémentaires seront la solution pour que ce revenu universel ne devienne pas la version moderne “du pain et des jeux” des Romains.
Jean-François Faure.