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Au Groenland, le fascinant bal des nervals de Tremblay Sound

RÉCIT. Par Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et auteur.

Le 18/11/2016 par WeDemain
RÉCIT. Par Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et auteur.
RÉCIT. Par Jean-Paul Curtay, nutrithérapeute et auteur.

De l’Islande à la péninsule antarctique, Jean-Paul Curtay est parti en “croisière-expédition” autour des nouvelles routes maritimes rendues possibles suite à la fonte des glaces. Chaque semaine, il la raconte à We Demain.

Après une traversée de nuit de la mer de Baffin, nous arrivons au Nunavut, territoire inuit autonome du Grand Nord canadien. Arrêt à Pond Inlet pour les formalités douanières. Pendant que les douaniers vérifient les passeports, Raphaël Sané, le chef d’expédition donne les consignes à respecter pour éviter tout accident avec les ours qui peuvent surgir à tout moment, n’importe où.

Des ours polaires ont été observés en pleine mer à 300 km des côtes. Ils peuvent apparaître soudainement au détour d’un rocher. Les consignes relèvent du bon sens : rester ensemble, ne pas emmener de nourriture… à chaque sortie six sentinelles armées de jumelles et de fusils militaires seront postées pour sécuriser le périmètre, le but étant d’éviter toute confrontation.

Des animaux de l’Arctique tués pour rien

L’Austral entre dans le détroit de Lancaster, le début du Passage du Nord Ouest et se dirige vers Tremblay Sound. Le capitaine Patrick Marchesseau prévient que deux narvals morts ont été repérés flottant sur l’eau. Le navire s’immobilise à leurs côtés. L’un est un mâle, on distingue sa longue dent sous l’eau. Les oiseaux les survolent.

Jean-Pierre Sylvestre, le spécialiste des mammifères marins, part en zodiac examiner le corps. Compte-rendu : il a été tué d’une balle dans la nuque par des Inuits qui ont droit à un petit quota annuel. Mais deux narvals sur trois coulent et ils les perdent. Au bout de quelques jours les animaux morts remontent flotter à la surface. Il fait près de quatre mètres et doit peser autour d’une tonne. L’autre a perdu sa tête pour une raison inconnue et les oiseaux piquent leur bec dans sa graisse.

Ma réflexion : que les peuples autochtones bénéficient de quotas qui leur permettent de perpétuer leur culture, entièrement d’accord. Mais le fusil n’est pas leur culture. Ils devraient continuer à chasser de façon traditionnelle avec le harpon et le flotteur en peau de phoque. Ils ne tueraient alors pas ces animaux rares et magnifiques, endémiques de l’Arctique, pour rien.

Méditation géologico-biologique

Au détour d’une petite baie apparaît un petit campement de tentes jaunes, arborant trois drapeaux. C’est une équipe de scientifiques canadiens, groenlandais et danois qui collaborent pour étudier les narvals. Justement trois petits groupes d’entre eux longent la côte. C’est leur défense contre les orques et les chasseurs de nager très près du bord, en eau peu profonde, où les prédateurs ne peuvent pas venir.

Mais les scientifiques ont placé un filet, et nous les voyons draguer vers la plage une femelle. Ils prélèvent du sang, un peu de tissu pour l’analyse ADN, mais l’eau se teinte de rouge sur 100 m. Y a-t-il eu incident ? Je n’ai jamais vu que des prélèvements entraînent une telle perte… Le temps me paraît bien long pour l’animal stressé qui est relâché avec sa balise au bout de trois quarts d’heure.

J’aurais préféré voir des narvals bien vivants et libres de vivre leur vie dans ce somptueux paysage de plateaux sédimentaires, alternés de moraines, beaucoup plus doux que celui des falaises sombres, anguleuses et massives du Groenland.

Des couches noires signalent des filons de fer rappelant que l’apparition de la photosynthèse il y a 3,7 milliards d’années, a provoqué pendant plus d’un milliard d’années l’oxydation du fer qui saturait l’eau des océans. C’est ainsi que le fer oxydé s’est déposé sur les fonds marins et que nous l’exploitons aujourd’hui.

Ce n’est que lorsque tout le fer a été oxydé, il y a 2,2 milliards d’années que l’oxygène – qui n’était plus mobilisé par le fer – a pu enrichir l’atmosphère, bouleversant les équilibres biologiques, aux dépends des archées anaérobies. Ces êtres monocellulaires archaïques – comme leur nom l’indique – ont du se réfugier dans les grandes profondeurs des océans pour fuir l’oxygène toxique pour elles. Nous en avons aussi dans les profondeurs de… nos intestins. Mais c’est une autre histoire.

Exultation

Les narvals me tirent de ma méditation géologico-biologique. Une tête, brillante sous le soleil, sort de l’eau, une autre, puis une autre… la troupe avance serrée. Nous en découvrons une deuxième troupe, encore plus étoffée, quelques dizaines de mètres plus en avant. Puis encore une, avant de constater que le long des deux berges est ponctué sur plusieurs kilomètres de troupes de narvals.

Jean-Pierre dénombre plus de 600 narvals, des mâles, des femelles, beaucoup de petits pas encore sevrés, des femelles plus âgées qui deviennent presque blanches comme les beluga, leurs cousins… Un spectacle rare. Après une heure d’observation, le bal des narvals continue. Une véritable exultation m’envahit. Malgré les prédateurs, la vie poursuit sa danse ! Un petit groupe d’oies des neiges prend son envol.

Jean-Paul Curtay.

Pour en savoir plus :
 
www.hww.ca/fr/faune/mammiferes/le-narval.html

 

Jean-Paul Curtay, a commencé par être écrivain et peintre, au sein du Mouvement Lettriste, un mouvement d’avant-garde qui a pris la suite de Dada et du surréalisme, avant de faire des études de médecine, de passer sept années aux États-Unis pour y faire connaître le Lettrisme par des conférences et des expositions, tout en réalisant une synthèse d’information sur une nouvelle discipline médicale, la nutrithérapie, qu’il a introduite en France, puis dans une dizaine de pays à partir des années 1980.

Il est l’auteur de nombreux livres, dont Okinawa, un programme global pour mieux vivre, le rédacteur de www.lanutritherapie.fr, et continue à peindre et à voyager afin de faire l’expérience du monde sous ses aspects les plus divers.

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