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Pour lutter contre la “société du non”, réinventons la démocratie

CHRONIQUE. Par Gérard Mermet, sociologue, auteur, fondateur et directeur du cabinet d’études Francoscopie.

Le 01/07/2016 par WeDemain
CHRONIQUE. Par Gérard Mermet, sociologue, auteur, fondateur et directeur du cabinet d'études Francoscopie.
CHRONIQUE. Par Gérard Mermet, sociologue, auteur, fondateur et directeur du cabinet d'études Francoscopie.

Le sociologue Gérard Mermet observe la “Grande Transition” que vit notre pays. Il décrypte son évolution, ses espoirs et ses craintes, ses atouts et ses faiblesses. Chaque semaine We Demain publie une ou plusieurs de ses chroniques.  

On parle beaucoup de démocratie en ce moment. Le plus souvent pour dénoncer ses carences, voire son absence. Force est pourtant de constater que les citoyens sont très sollicités et actifs dans les pays qui s’en réclament. Ils viennent de voter au Royaume-Uni, lors d’un référendum qui restera sans doute dans leur histoire, le retour du “splendide isolement” déjà mis en place à la fin du XIXe par d’autres Premiers ministres conservateurs (Disraeli, Salisbury) pour se séparer de l’Europe.

Les citoyens ont aussi voté récemment en Espagne, pour confirmer la montée de Podemos et Izquierda Unida, représentants d’une nouvelle gauche radicale. À l’inverse, ils ont failli en Autriche confier les clés du pouvoir à l’extrême-droite. Ils vont se prononcer en novembre aux États-Unis pour ou contre Donald Trump, autre représentant d’une droite radicale, xénophobe… et ignorante des vrais défis du XXIe siècle. Il en est de même chez nous, où Marine Le Pen pourrait profiter l’an prochain de cette tentation générale de “changer d’air”. Quitte à ce que l’on respire encore plus difficilement, jusqu’à risquer l’asphyxie.

La “démocratie” de la rue et de la Toile

Lorsqu’ils ne votent pas “démocratiquement”, les citoyens font savoir ce qu’ils pensent. En particulier ceux qui pensent du mal de la situation, et en désignent sans nuances les responsables à leurs yeux : politiciens ; étrangers, immigrés et migrants ; Union européenne ; chefs d’entreprises (des plus grandes en particulier)…

Pour manifester leur colère, leur mécontentement, leurs peurs ou leurs frustrations, ils ont à leur disposition de nouveaux outils d’expression, mais aussi et surtout de pression. Les réseaux sociaux sont ainsi pleins de diatribes, parfois de logorrhées contre les gouvernants jugés incapables et autistes, les partis politiques corrompus et dépassés, les patrons cupides et stupides.

La mode actuelle est à la pétition en ligne. Elle permet de réunir virtuellement un grand nombre de “signataires” autour d’une dénonciation, en montrant du doigt le ou les coupables. Celle mise en ligne contre la loi Travail a recueilli plus d’un million de signatures en quelques jours.

Une “nouvelle démocratie” virtuelle

On pourrait se réjouir de cette faculté donnée à chacun de faire entendre sa voix sur tous les sujets, à tout moment. La “nouvelle démocratie” n’est plus intermittente comme par le passé, mais permanente. Sa dimension “virtuelle” lui permet paradoxalement de fonctionner en “temps réel”.

Le problème est que les voix présentes sur la Toile ou dans la rue ne fournissent pas une vision exacte de ce qu’est la France dans sa diversité et sa complexité. Elles ne sont pas en effet “représentatives” de la population, au sens statistique. Pas plus que les manifestations qui se déroulent depuis plusieurs mois, dont on sait qu’elles ne sont pas politiquement neutres (ce qui n’enlève rien à leur légitimité). Pas plus d’ailleurs que l’Assemblée nationale ou le Sénat, qui ne fournit qu’une démocratie élective.

La représentativité de ces expressions collectives est bien moindre en tout cas que celle des sondages, dont on dit pourtant régulièrement le plus grand mal. Beaucoup de Français (et de commentateurs patentés) ignorent encore que l’opinion de 1 000 personnes convenablement choisies est plus fiable que celle d’un million de manifestants ou pétitionnaires (sous réserve bien sûr que d’autres conditions soient également remplies…).

La “société du non”

Pour autant, la “démocratie” des sondages est une vue de l’esprit. Celle de la rue est une illusion d’optique. Celle de la Toile est une perspective intéressante. À condition d’en établir les règles, les procédures et les usages, pour faire en sorte qu’elle ne soit pas prise en otage. Car elle est aujourd’hui biaisée.

La société contemporaine est ainsi une “société du non”, qui se dresse de façon quasi systématique contre tout projet de changement. À tort ou à raison, mais presque jamais pour  dire “oui”. Ici, on refuse la construction d’un aéroport, là une tentative de créer des emplois en fluidifiant le marché du travail, ailleurs la mise en place d’un repérage des emplois pénibles dans le but de lutter contre leurs conséquences… Partout, la loi est bafouée.

Les Zadistes de Notre-Dame des Landes ont prévenu qu’ils ne tiendraient pas compte du résultat du référendum sur la construction de l’aéroport. La CGT a refusé la loi Travail qui avait été adoptée après recours au 49.3, outil légitime à disposition des pouvoirs ; elle ne se plie pas davantage aux interdictions préfectorales de manifester. Le MEDEF refuse d’appliquer la réglementation sur la pénibilité.

Un modèle républicain à l’agonie

Tous ont sans doute quelques raisons de se comporter ainsi. Mais, dans la plupart des cas, l’émotion est plus forte que la raison. Les postures mènent à des impostures et les intérêts de groupe priment l’intérêt général, le confort passe avant l’effort. Un peuple qui n’est plus légaliste est au bord de la révolution. Un pouvoir qui n’est plus capable de proposerexposer ou en dernier recours imposer un changement qu’il juge nécessaire ne peut plus qu’être… déposé.

Au total, cette “société du non” est aussi et surtout une “non société”. Privée d’un système de valeurs dans lequel la plupart de ses membres se reconnaîtraient, elle ne fournit plus les liens indispensables à la vie commune. Le modèle républicain est à l’agonie : les libertés reculent, les inégalités progressent, la fraternité est sélective.

Une anomie sociale et une anémie économique

​Sur ses décombres se développe le communautarisme, dont le corporatisme de plus en plus apparent n’est que l’une des dimensions. Cette anomie sociale s’ajoute à une anémie économique, à laquelle elle participe d’ailleurs largement. Le tout crée un contexte peu favorable et un climat délétère.

Le résultat est l’accroissement de toutes les formes d’incivilité, de l’impolitesse à la violence la plus sombre. L’ambiance est à la casse. Certains veulent casser les codes, sans vraiment chercher à savoir ceux qui peuvent encore être utiles et servir de garde-fous. D’autres veulent casser des vitrines, ou même des policiers. Combien veulent construire la nouvelle société dont nous avons besoin ?

Vers une “démocratie positive*”

Si elle fonctionne de moins en moins bien, la démocratie n’a jamais été aussi nécessaire. Il faut donc la réinventer. Transformer la “société du non” en “société du oui”. Créer une “démocratie positive” qui s’appuiera sur les nouveaux outils numériques, sur la volonté commune, l’intelligence collective et l’énergie de tous (renouvelable lorsqu’elle n’est pas fossilisée !).

Mobiliser tous ceux qui veulent en sortir par le haut, sans passer par la case “prison” qui se trouve sur le chemin. Une prison dans laquelle les Français décideraient de s’enfermer eux-mêmes, en refusant de s’ouvrir aux autres, à leurs différences, à leurs talents, à leurs idées, à leur capacité de participer à une “nouvelle donne”.

Il nous reste de moins en moins de temps pour y parvenir. Et faire émerger des personnalités nouvelles, crédibles, courageuses, sans prisme idéologique déformant, suffisamment réalistes et humanistes pour avancer avec nous vers la case “renaissance”. 

* Voir sur ce sujet l’ouvrage de Gérard Mermet : Réinventer la France (Manifeste pour une Démocratie Positive), éditions de l’Archipel, 2014.
 

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