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Balade en “forêts animales marines”, à la découverte de leur pouvoir climatique

Spécialiste des coraux, Lorenzo Bramanti sillonne les mers du globe pour comprendre et protéger les zones de biodiversité situées entre la surface et les grands fonds. Face au réchauffement climatique, ces forêts animales marines pourraient servir de refuges à de nombreuses espèces.

Le 04/12/2023 par Arthur Hily
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Des plongeurs lors de la mission Under The Pole / DEEPLIFE aux Canaries en 2022. Crédit : Under The Pole.
Des plongeurs lors de la mission Under The Pole / DEEPLIFE aux Canaries en 2022. Crédit : Under The Pole.

Que connaît-on de la vie dans les océans ? Moins de 10 %, nous répond la science. Mais il existe un monde sous-marin sur lequel notre savoir est encore plus proche de zéro : la zone mésophotique. Située entre 30 et 200 mètres de profondeur, entre la surface et les abysses, elle tire son nom de la faible lumière qui vient y percer une masse d’eau sombre. Cette zone se distingue aussi par sa fraicheur, qui pourrait en faire un refuge pour certaines espèces victimes de la hausse de température des océans. C’est à cette profondeur que Lorenzo Bramanti consacre sa vie de scientifique. Et plus précisément au plancher océanique situé entre 50 et 150 mètres de la surface.

Caraïbes, Polynésie, Californie… Depuis plusieurs années, ce plongeur professionnel originaire d’Italie explore les mers pour comprendre les fonctions de ce monde mésophotique. Chercheur au CNRS basé à l’Observatoire océanologique de Banyuls sur mer (Pyrénées Orientales), il est le co-directeur scientifique de la mission DEEPLIFE, soutenue par le programme Climate & Biodiversity Initiative de la Fondation BNP Paribas. Une aventure sur 10 ans, qui rassemble des institutions de douze pays (France, Espagne, Italie, Norvège, Taïwan…) et constitue le 4e chapitre de l’expédition Under the pole, soutenue par l’ONU.

De nouveaux outils pour explorer la zone mésophotique des océans

Pourquoi cet espace sous-marin est-il resté aussi longtemps peu observé ? “À cause de contraintes techniques, raconte Lorenzo Bramanti. Jusque dans les années 1980-1990, la plongée récréative permettait d’aller jusqu’à 40 mètres. Et des systèmes robotiques très chers permettaient d’explorer les grands fonds.” À mi-chemin, restait cette zone mésophotique “que l’on peut aujourd’hui explorer grâce à de nouveaux outils.

Faire descendre des humains à des profondeurs comprises entre 50 à 150 mètres est à la fois « cher, engageant et dangereux », résume Lorenzo Bramanti. Pour travailler 20 minutes à 120 m de profondeur, comptez trois heures de plongée. « Cela nécessite une formation de très haut niveau et du matériel presque aussi lourd que les plongeurs » : des propulseurs sous-marins, des scaphandres à circuit fermé (pour ne perturber la faune avec les bulles), d’énormes caméras résistantes aux hautes pressions… Et même des caissons permettant de rester sous l’eau plusieurs jours.

De véritables forêts animales marines

Arctique, Guadeloupe, Canaries, Méditerranée… Sous toutes les latitudes, les scientifiques ont observé que ces profondeurs abritaient un riche parterre d’animaux marins. Ils y ont découvert des espèces non répertoriées : invertébrés, mollusques… Et d’autres bien connues, comme des éponges, des gorgones, mais aussi des coraux. Des animaux qui pourraient trouver là une température plus clémente qu’à la surface, où ils souffrent du réchauffement.

Et si les zones mésophotiques étaient un refuge pour la biodiversité marine face au changement climatique ? Pour explorer cette hypothèse, les équipes de DEEPLIFE captent des images et récoltent des échantillons de la faune toute particulière qui réside à ces profondeurs. Remontées à la surface, ces éléments font l’objet d’études génétiques, de densité et de classes d’âges, pour comprendre comment évoluent leurs populations.

En langage scientifique, ces animaux sont des « organismes benthiques » (vivants sur le sol marin) dont l’habitat prend « une forme tridimensionnelle ». Mais Lorenzo Bramanti leur a donné un nom plus imagé. Il parle de « forêts animales marines ». Certes, ces forêts sont composées d’animaux et non de végétaux comme leurs homologues terrestres, mais elles ont aussi des similitudes : interdépendance des espèces, appartenance à un écosystème… 

Une étude innovante

Si ce concept de forêt animale marine doit encore être précisé dans les années à venir, il doit surtout permettre, explique le chercheur de « porter un œil nouveau » sur les océans. « Ces forêts, on ne les avait pas trouvées jusqu’ici parce qu’on ne les avait jamais regardées comme telles ! Or plus on les cherche, plus on les trouve. Avec des espèces différentes dans chaque région. »

Que sait-on à ce jour du rôle des forêts animales marines ? Contrairement aux forêts terrestres, il est certain qu’elles ne stockent pas de carbone. « Ce sont des animaux, leur production de CO2 est donc positive. » En revanche, leur habitat favorise la sédimentation océanique, qui elle piège du carbone. Sans parler du réservoir de biodiversité qu’elles constituent. 

“On est en train de mener une étude très innovante pour en savoir plus”, indique le chercheur. Son but : percer le rôle de ces forêts dans le fonctionnement des océans, qui absorbent environ 30 % du CO2 atmosphérique et nourrissent trois milliards de personnes.

Un enjeu de préservation

Si les forêts animales marines restaient jusqu’ici ignorées des humains, elles n’en portent pas moins leurs stigmates. « On a été surpris d’y trouver pas mal de plastique, de déchets, des traces de chalutage… », énumère le Lorenzo Bramanti, qui rappelle que « peu d’endroits sont épargnés par la pollution anthropique, même à des milliers de mètres de profondeur. »

Même si depuis peu, l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) considère les forêts animales comme des « habitats marins vulnérables », le chercheur estime qu’elles ne sont « pas assez prises en compte dans les politiques de conservation ». Selon lui, il faudrait y remédier avant de chercher à les restaurer.

Outre l’urgence de réduire les pollutions à la source, Lorenzo Bramanti souligne l’efficacité des aires marines protégées comme celle de Cerbères-Banyuls, où est basé son laboratoire. « Il faut augmenter leur surface, et surtout mettre en place des zones de protection intégrale. C’est indispensable au bon fonctionnement des écosystèmes. »

Mais avant tout, il faut changer notre focale sur les océans. Et si l’on appliquait aux forêts animales marines des méthodes de conservation éprouvées dans les forêts terrestres ? « En mer, déplore Lorenzo Bramanti, on cherche toujours à conserver les espèces, sans forcément interroger leurs fonctions dans l’écosystème. » Alors que ces dernières nous sont aussi vitales.

Retrouvez toutes les actualités de Lorenzo Bramanti sur X (ex-Twitter) : @philebo73 et @FondationBNPP / Et sur : http://lecob.obs-banyuls.fr et https://underthepole.org

Article réalisé avec le soutien de la Fondation BNP Paribas.

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