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En Amazonie, front commun pour sauver la pêche

Dans le nord du Brésil, le fleuve Amazone s’élargit pour former d’immenses étendues d’eau riche en poissons. Le Lago grande est l’une d’elles. Nous sommes sur ses rives, près de la ville de Santarém, dans l’État du Pará. Sous un vaste porche, une douzaine de personnes, des hommes pour la plupart, se tiennent devant un plateau de jeu qui représente leur territoire. Déplaçant des pions, piochant des billes, ils rejouent leur activité quotidienne, la pêche.

Une activité qu’ils pratiquent pour se nourrir, gagner leur vie ou faire tourner une petite entreprise, avec pour certains des responsabilités syndicales. Une diversité de profils qu’on retrouve dans ce « serious game », où chacun joue un rôle face à une ressource en poisson menacée par l’humain et le changement climatique. Un joueur dépasse son quota de pêche ? Ils se voit confisquer ses poissons, voire même son bateau.

Préserver la biodiversité et les pêcheries dans les plaines inondables du fleuve Amazone

« Ce jeu permet de mieux comprendre les intérêts et la stratégie de chacun, des acteurs de la pêche artisanale à ceux de la pêche industrielle. Et, progressivement, d’adopter des décisions collectives pour une gestion plus durable », explique Marie-Paule Bonnet. Directrice de recherche à l’IRD, cette hydrologue de formation mène le projet SABERES avec le soutien de la Fondation BNP Paribas.

Lancé il y a 20 ans, il vise à préserver la biodiversité et les pêcheries dans les plaines inondables d’Amazonie. Ce programme de recherche interdisciplinaire mené par une équipe franco-brésilienne d’une petite trentaine de personnes, s’appuie sur des images satellites et des études de terrain pour cartographier l’habitat ou encore l’évolution des ressources piscicoles. Le tout, en collaboration avec une ONG locale qui fait le lien entre l’État et sa population.

Un projet participatif pour sensibiliser au changement climatique

Rien, dans ce projet, n’échappe à la logique participative. Les pêcheurs sont impliqués jusque dans l’élaboration du jeu de rôle, qui compte plusieurs versions en fonction des saisons. Car ici, le paysage change radicalement au cours d’une année. Habitués à des crues de sept mètres, les habitants ont si bien adapté leurs activités et leur architecture aux cycles aquatiques qu’on les appelle « le peuple de l’eau ». Mais cet équilibre est menacé. Changement climatique, déforestation, construction de barrages hydrauliques : ces facteurs augmentent la fréquence et l’intensité des crues, qui se sont élevées d’un mètre en 20 ans. Résultat, « toutes ces petites communautés qui étaient installées dans les lacs sont en train de se rapatrier sur la terre ferme », observe Marie-Paule Bonnet.

Mais la principale menace à court terme reste la pêche industrielle. Avec ses bateaux-usines réfrigérés venus des grandes villes amazoniennes, elle participe à vider le « lago » de ses poissons, tout en empêchant leur renouvellement, avec d’immenses filets qui capturent tout sans distinction. Dans l’État du Pará, l’essor récent de cette industrie coïncide avec une baisse significative des pêcheries, qui sont une source essentielle de protéines et de revenus. Face à ces bateaux-usines soumis à peu de régulations (quotas, taille des filets…) et de contrôles, que faire ?

Impliquer tous les acteurs dans une politique de préservation globale

Si le projet SABERES vise à aider les pêcheurs artisanaux à faire valoir leurs droits en collaboration avec l’agence de l’environnement de l’État, il a aussi pour ambition d’impliquer les pêcheurs industriels dans une politique de préservation globale. Marie-Paule Bonnet croit en « des accords gagnant-gagnant, qui ont déjà fonctionné dans l’État de l’Amazonas ». Là-bas, des industriels ont compris qu’ils avaient intérêt à ce que leur ressource se renouvelle, d’autant que certains achètent la pêche de petits artisans. L’objectif est aussi de convier autour du plateau de jeu des représentants de l’État et des instances qui règlementent la pêche. « Si on n’intègre pas les capacités de contrôle et de sanction, on n’attaque pas le vrai problème », pointe Christophe Lepage, chercheur au CIRAD et membre du projet. En cas de succès, ce modèle collaboratif pourrait être répliqué ailleurs dans l’État, et au-delà.

Il porte déjà ses fruits, à commencer par une prise de conscience des pêcheurs. « J’ai aimé ce jeu, la dynamique, explique l’un d’eux. Car l’objectif n’est pas seulement de gagner de l’argent mais de préserver les ressources. Si on regarde tout par le prisme de l’argent, on va tout transgresser. » Pour Marie-Paule Bonnet, le projet a aussi enclenché « une dynamique de dialogue entre différents types de pêcheurs et le Secrétariat à l’environnement. C’est une grande avancée pour la région ».

La déforestation, aussi, sous haute surveillance

Pour préserver les écosystèmes locaux, la pêche n’est pas le seul secteur sur lequel agir. L’élevage est aussi concerné, car il contribue à la déforestation. Certes, le défrichage reste moins spectaculaire que dans d’autres territoires amazoniens, mais il s’est accru ces dernières années, anéantissant les barrières – puissantes et naturelles – à la montée des eaux que sont les arbres. Avec, là aussi, un impact négatif sur les stocks en poisson. Dans les plaines inondées, les scientifiques observent que l’absence d’arbres contribue à réduire les pêcheries. Seule solution, estime la scientifique : reboiser la plaine. « Mais cela veut dire mois d’élevage, donc une rente plus faible. » 

Autant de problématiques imbriquées qui nécessitent l’implication de tout un territoire : « Nous ne sommes que des médiateurs, insiste Marie-Paule Bonnet. Un bon projet est un projet construit avec les gens qui vivent sur place. » Et qui ne dissocie pas climat et biodiversité. « Ce qui affecte le plus les pêcheurs locaux artisanaux, c’est la pêche industrielle, mais en bruit de fond il y a le changement climatique. » Deux enjeux sur lesquels la chercheuse affiche de vrais espoirs depuis le retour de Lula à la présidence du Brésil, en lieu et place du climatosceptique Bolsonaro. « J’espère, conclut-elle, que notre projet pourra aussi favoriser de bonnes pratiques existantes dans d’autres régions, comme la mise en place de réserves et de zones protégées. »

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