Partager la publication "Grâce aux sciences participatives, la recherche s’invite à l’école"
“Oh regardez, on voit très bien le bec de l’oiseau”. Autour du grand chêne planté dans la cour du collège Gaston Flament, Émilie Goyran examine les traces laissées sur de fausses chenilles en pâte à modeler verte. Nous sommes à Macheprime, à trente kilomètres de Bordeaux, aux portes du bassin d’Arcachon. Quinze jours plus tôt, cette professeure de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) et sa classe ont confectionné et disposé ces insectes factices de trois centimètres de long sur les branches de l’arbre. Les oiseaux n’y ont vu que du feu. Ils en ont attaqué plusieurs, pensant en faire leur festin.
Mission quasi-accomplie pour les participants à ce cours de sciences naturelles à ciel ouvert. De retour en classe, il leur restera à observer leurs fausses chenilles au microscope pour déterminer avec précision celles qui ont été attaquées. Puis à consigner scrupuleusement les résultats de l’expérience.
Une façon amusante de faire de la science ? Pas seulement. Les collégiens de Gaston Flament apportent une contribution essentielle à un programme de recherche des plus sérieux : Tree Bodyguards (“gardes du corps des arbres”). Son objectif : observer la façon dont un arbre (le chêne pédonculé) est défendu par d’autres organismes (ici les oiseaux) contre les attaques d’insectes herbivores (notamment les chenilles). De quoi permettre à des scientifiques – professionnels cette fois – d’anticiper l’évolution de ces défenses naturelles sous l’effet du réchauffement climatique. Le but final : aider les arbres à s’adapter.
C’est à une quinzaine de kilomètres du collège Gaston Flament, sur le site de recherche de l’INRAe (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) de Cestas, qu’est coordonné ce projet depuis 2020. Soutenu par le programme Climate & Biodiversity initiative de la Fondation BNP Paribas, son instigateur, Bastien Castagneyrol, est chargé de recherche à l’INRAe (Institut national de la recherche agronomique) spécialisé en écologie.
“On a besoin de déployer ces fausses chenilles un petit peu partout, raconte le scientifique. Et comme on parle d’une méthode relativement peu chère, ludique et efficace, très vite l’idée de travailler avec des écoles est venue.” Les collégiens de Gaston Flament sont devenus un maillon essentiel du dispositif, mais sont désormais loin d’être le seul. “De ricochet en ricochet, poursuit le chercheur, on a monté un réseau avec une quarantaine de collaborateurs scientifiques et entre 80 et 100 classes qui ont participé au projet, depuis l’Espagne jusqu’à la Scandinavie. On a maintenant des collaborateurs dans 23 pays en Europe.“
Une étude hyper-collective donc, sur un enjeu qui ne l’est pas moins : l’avenir de nos forêts. Plus précisément, l’adaptation du chêne pédonculé au réchauffement climatique. Cet arbre, qui doit son nom au long pédoncule séparant ses bourgeons de ses rameaux, peut atteindre 40 mètres de haut. Et vivre jusqu’à 500, voire… mille ans. À condition que son environnement le lui permette ! Car le climat menace les équilibres des écosystèmes forestiers.
Pourquoi un tel enjeu autour de la survie du chêne pédonculé ? Parce qu’avec son cousin le chêne sessile, il est l’une des principales ressources des forêts ouest-européennes, en particulier françaises. Notre pays abrite près de 40 % de la superficie de chênes en Europe. Ce qui en fait le deuxième producteur mondial de cette essence derrière les États-Unis. Le défi est donc autant écosystémique – les forêts hébergent la majorité de la biodiversité terrestre – qu’économique. En effet, la filière forêt-bois française est très dépendante du chêne.
À l’instar de Tree Bodyguards, les projets de “sciences et recherches participatives” (SPR), qui associent des acteurs non-professionnels se développent. En particulier dans le domaine de l’écologie, souligne Bastien Castagneyrol dans un article pour The conversation. Le chercheur y voit “un formidable outil de dialogue entre la science et la société. Et un outil pédagogique encore sous-exploité pour l’enseignement scientifique”. Le message qu’il entend faire passer aux jeunes ? “Qu’ils sachent pourquoi ils ont raison de faire confiance à des résultats scientifiques plutôt qu’à un message qu’ils auraient lu très vite sur un site ou un réseau social.“
Pour voir ce type de projet se multiplier, prévient le scientifique, il y a des défis à surmonter. À commencer par “faire coïncider les objectifs de la recherche scientifiques et ceux de l’enseignement des sciences dans toutes ses dimensions”. Pas simple, car “les approches de SPR sont encore peu connues des enseignants. Alors que les programmes invitent à les utiliser”. Et ils sont difficilement appropriables par les chercheurs, qui n’ont pas toujours la culture éducative adéquate. D’où l’intérêt d’un “troisième acteur” jouant le rôle d’interface. C’est l’à qu’intervient le réseau des Maisons pour la science. Ces structures implantées dans les universités “font le lien entre le monde de la recherche et celui de l’enseignement“.
Mauricette Mesguich, ingénieure et responsable de la Maison pour la science en Aquitaine, participe justement au programme Tree Bodygards. “Le projet, explique-elle, permet [aux élèves] de voir la science en train de se faire, en participant à la fois à la mise en place du protocole et à la récole des données, (…) puis de comprendre quelles informations on peut en tirer.” Émilie Goyran, l’enseignante en SVT, y voit un autre atout : “Ce projet permet de développer chez [les élèves] une réelle curiosité de l’environnement qui les entoure.” Les collégiens, eux, en redemandent. “On fait des cours, mais on n’est pas dans une salle à regarder le professeur en train d’écrire, et nous de noter. C’est plus libre”, explique l’une d’elles.
Il n’empêche, la démarche nécessite d’être consolidée. Comme le montre une étude menée par Bastien Castagneyrol auprès de treize enseignants impliqués dans son programme. S’il est l’occasion de “faire participer les élèves à un authentique projet de recherche scientifique“, il ne permet pas “d’acquérir des connaissances en écologie ou de contextualiser les apprentissages“, regrette le chercheur. Sa préconisation ? “Que les protocoles de SRP soient adaptés aux compétences des élèves à un niveau donné, alignés avec le calendrier scolaire et intégrés aux programmes scolaires.“
Pendant ce temps, la recherche participative s’immisce dans bien d’autres univers que l’école. En mars dernier, la première édition du Prix de la recherche participative, organisée par l’INRAe, a notamment récompensé un programme associant chercheurs et citoyens pour mieux connaître l’écologie des tiques et des maladies qu’elles transmettent. Il a permis de signaler 70 000 piqûres de tiques via une application. Et de congeler 50 000 insectes dans une “tiquothèque” unique en France.
Dans d’autres registres, si vous ou vos enfants êtes à cours d’activité pour le week-end, vous pouvez (pêle-mêle) :
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