Partager la publication "Aujourd’hui en France, faut-il être optimiste ou pessimiste ?"
Une évolution spectaculaire en un an, puisque le rapport des “forces” était à l’équilibre en août 2015 : 50 % contre 49 %. 68 % des Français estiment aujourd’hui que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, contre 14 % de l’avis contraire. Une certitude inquiétante, qui traduit davantage la résignation que la volonté de faire triompher le “progrès”, quel que soit le sens qu’on lui donne.
De nombreuses études internationales montrent en outre que nous détenons le record mondial (peu enviable, et récurrent) du pessimisme.
Le France bashing, un sport national
Chaque Français trouve de bonnes raisons de penser et d’affirmer que son pays est en déclin. Il est aidé en cela par les médias, les intellectuels, les responsables politiques de l’opposition, les syndicats et tous ceux qui manifestent à tout propos leur mécontentement, sans le “relativiser” par rapport aux difficultés qui existent dans des pays plus positifs et moins grincheux.
Pessimisme, défaitisme, déclinisme, catastrophisme, misérabilisme, paupérisme sont ainsi devenus des réflexes nationaux, mais aussi des “identifiants” de la France et de sa population vus de l’étranger.
Côté face, des performances économiques en retrait…
Le débat entre les optimistes (ceux qui s’attendent au “meilleur”, du latin optimus) et les pessimistes (ceux qui s’attendent au pire, du latin pessimus) n’est pas une donnée de nature. C’est le résultat acquis d’un d’état d’esprit, qui est fortement induit par l’environnement socio-économique, la perception qu’on en a et la description qu’on en fait.
Si l’on s’efforce de regarder la réalité en face, il faut bien reconnaître que nos performances en matière économique ne sont guère encourageantes : chômage élevé (plus d’un actif sur dix) ; endettement préoccupant (une année de PIB); prélèvements obligatoires paralysants sur les ménages et les entreprises (46 % du PIB, soit près de la moitié de la production annuelle)… Les indicateurs ne sont pas au vert dans l’absolu. Ils ne le sont pas davantage en comparaison avec les autres pays développés.
Le nombre des textes de loi est à l’avenant : en quarante ans, le Journal Officiel est passé de 13 000 pages à près de 23 000, soit une augmentation de 75 %. L’instabilité administrative et fiscale est aussi un casse-tête pour les citoyens comme pour les chefs d’entreprises.
La conséquence est une baisse sensible de l’attractivité de la France, comme en témoignent de nombreux classements internationaux impitoyables même s’ils sont parfois discutables : le nombre des projets d’investissements étrangers dans l’Hexagone a reculé de 2 % l’an passé, alors qu’il a progressé de 14 % en moyenne dans les pays de l’Union européenne (étude cabinet EY) ; la France n’arrive qu’en 29e position sur 190 pays en ce qui concerne le “climat des affaires pour les PME” (Banque mondiale), etc. Le diplôme de compétitivité ou d’attractivité ne s’obtient pas en passant un examen, mais en réussissant un concours.
… et un délitement du “modèle républicain”
Le “modèle républicain” ne tient plus ses promesses d’égalité et de fraternité. Quant à celle de liberté, elle est entamée par les menaces qui pèsent sur la sécurité des citoyens. Ce modèle à bout se souffle tend à être remplacé, par défaut, par un “bricolage” communautariste qui fournit tant bien que mal des appartenances, mais qui exacerbe les tensions et radicalise les positions.
Le taux d’imposition des profits des entreprises est de dix points supérieur à la moyenne européenne (33 % contre 23 %). Le dialogue social est perturbé par la culture de l’affrontement présente à tous les niveaux, par l’impact des grèves (dans le secteur public notamment) et par la propension au repli des dirigeants qui ne veulent pas prendre de risques.
L’écotaxe a été supprimée à la suite des protestations de quelques milliers de personnes. L’aéroport de Notre-Dame des Landes est en attente de construction depuis plus de 40 ans, et le feuilleton continue, malgré les décisions de justice ou les référendums favorables, à cause d’une poigné d’opposants prêts à tout.
Côté pile, des points de levier nombreux…
Le pays est aussi ancré dans une histoire longue et riche, qui lui a donné une aura, de l’expérience et de la résistance. Elle bénéficie d’une démographie très favorable par rapport à la plupart des voisins européens, Allemagne et Italie en tête.
La France reste aussi un pays de culture, conséquence d’un patrimoine exceptionnel. Elle est réputée pour la qualité de la formation de ses habitants et leur niveau de qualification professionnelle. Ses talents dans les matières quantitatives (utiles dans l’économie numérique) sont largement reconnus, comme en témoignent les nombreuses récompenses obtenues par des chercheurs, notamment en mathématiques.
Elle porte en elle une capacité d’innovation qui a fait ses preuves dans le passé (photographie, automobile, aviation, chimie…) et qui peut être mobilisée et encouragée. La french touch est aujourd’hui célébrée dans le monde entier. L’économie nationale est tirée par quelques grandes entreprises leaders dans certains secteurs : luxe, construction, énergie…
…et une qualité de vie reconnue et enviée
Elle bénéficie de services publics de qualité (écoles, hôpitaux, justice, forces de sécurité…). Même s’il a un coût élevé, son “modèle social” joue un rôle amortisseur dans les périodes de crise, par le bais de la redistribution des richesses et des aides diverses versées aux plus démunis.
Il faut enfin bien sûr mentionner la qualité de vie à la française. Plus sans doute que par les Français eux-mêmes, elle est célébrée dans de nombreux pays, où l’expression “heureux comme Dieu en France” est courante (souvent attribuée à l’écrivain allemand Friedrich Sieburg, elle est en réalité la traduction du yiddish, langue des juifs ashkénazes, qui avaient été émancipés par la France au XIXe siècle).
Le devoir de réalisme
Il n’existe pas en tout cas de fatalité de l’échec et de la dégradation. Le catastrophisme et le déclinisme sont des prophéties de malheur autoréalisatrices. Elles aboutissent un jour ou l’autre à mettre en œuvre ce que l’on redoute, sans même en être conscient. Et elles nourrissent un peu plus la spirale du malheur.
Cela implique de ne pas se voiler la face, de ne pas “tordre” les faits lorsqu’ils ne sont pas conformes à ce que l’on souhaite, de ne pas s’apitoyer sur son sort lorsqu’il n’est pas à la hauteur de ce que l’on attend. Il faut au contraire chercher à l’améliorer soi-même, à sa mesure, par son action individuelle et sa participation à l’action collective.
Et cesser de désigner des responsables et des coupables (dirigeants politiques, immigrés, musulmans, technocrates européens…) en s’exonérant de sa propre responsabilité. En se donnant des prétextes pour attendre, tout en continuant de se lamenter.
L’optimisme utile, le pessimisme autodestructeur
À l’inverse, le pessimisme peut engendrer l’immobilité, par la sidération et la peur de ce qui pourrait advenir. Mais le pessimiste n’est pas inutile pour autant. Il est une sorte de “lanceur d’alerte” qui prévient de l’arrivée possible de la catastrophe, si rien n’est entrepris pour l’éviter. À condition qu’il se sente heureux (au moins un moment) après s’être trompé dans ses prédictions.
Mais c’est sans doute Valéry qui a résumé le plus important : “L’optimiste et le pessimiste ne s’opposent que sur ce qui n’est pas”. Ces deux attitudes opposées sont en effet des paris sur un avenir que nul ne peut connaître et que chacun doit contribuer à inventer.
Aucun des deux ne peut donc avoir tort, ou raison. Le pessimiste doit seulement se réjouir d’avoir prévu le pire s’il n’est pas advenu, et l’optimiste se désoler de ne pas avoir pu faire prévaloir sa vision si elle a été contredite par les faits.
Une leçon pour la France
Parce qu’ils s’inquiètent de la perspective de laisser à leurs enfants un douloureux héritage. Parce que beaucoup sont accablés de constater que l’image de la France s’est sensiblement détériorée, quoi qu’en disent ceux qui sont censés l’entretenir ou la restaurer. Parce que, surtout, on ne leur propose pas une vision claire et motivante d’un avenir commun et d’une réconciliation nationale.
L’imagination nationale sert davantage à créer de la complexité qu’à inventer des solutions et proposer une vision claire de l’avenir. Le goût du débat, la culture de l’affrontement et l’énervement ambiant empêchent les débateurs de s’écouter, de s’entendre, de s’unir et d’agir ensemble.
Ni sans la création de majorités d’idées, transpartisanes, tolérantes et désireuses de à réinventer la France. C’est au total d’une révolution culturelle que la France a besoin.