Partager la publication "Joie et Souffrance : les deux moteurs de l’aventure humaine"
Le propre de l’homme est l’imagination, c’est-à-dire la capacité de se représenter un monde autre que le monde réel et d’y injecter des réponses fictives aux problématiques du réel. Ainsi, l’expérience de la souffrance et/ou de la joie appelle le rêve d’un monde plein de joie perpétuelle et exempt de toute souffrance.
À partir de là peuvent se développer toutes les cultures humaines, toutes les religions, toutes les idéologies. Philosophiquement, l’appétence pour la joie et l’abjection pour la souffrance amènent à poser la question de la source ultime de la joie et de la souffrance.
Hors de soi et en soi
Est-elle en soi ? Alors viennent les notions de maîtrise, d’ascèse, de purification, de discipline, de fatalité, de destin, de karma, etc … La science, initialement, pense que les sources ultimes de la joie et de la souffrance sont surtout dans le monde extérieur qui nous entoure et cherche, donc, à comprendre la logique de ce monde extérieur afin d’y découvrir les rouages des chaînes causales qui induisent joie et souffrance.
Elle ensemence alors des techniques afin de brider ou de briser les chaînes causales négatives – celles de la souffrance – et d’amplifier ou de créer les chaînes causales positives – celles de la joie. La mystique, elle, à rebours, pense que les sources ultimes de la joie et de la souffrance sont tout intérieures et que chacun est le créateur de son paradis comme de son enfer.
Science, mystique et philosophie
Là, s’originent toutes les ascèses d’initiation, de méditation, de contemplation, etc … La philosophie, enfin, n’étant ni science, ni mystique, mais les consolidant toutes deux, cherche à penser la joie et la souffrance en tant que concepts. Elle vise à différencier les fausses joies des vraies, les fausses souffrances des vraies. Elle voit par exemple des joies et des souffrances imaginaires.
Elle voit aussi toutes les tactiques humaines pour exorciser la souffrance par la fuite, le déni, les idoles ou la haine, ou pour créer des paradis artificiels où fleurissent les poisons du néant (la violence, la gloriole, l’argent, la drogue, le sexe, …, toutes les illusions et tous les phantasmes).
Avant de conclure, un remarque s’impose : la joie n’est pas le contraire de la souffrance comme la souffrance n’est pas le contraire de la joie. Le contraire de la souffrance est l’insensibilité. Le contraire de la joie est l’ennui. Depuis longtemps, les écoles philosophiques (notamment stoïcienne, épicurienne ou bouddhique) se sont attachées à éliminer la souffrance en pratiquant l’apathie, l’ataraxie, le détachement, … ce qui mène, parfois, à l’indifférence, à l’indolence, à l’impassibilité.
Bien curieusement, aucune école philosophique ne se détache vraiment pour avoir choisi le chemin symétrique : celui de la recherche et du développement systématique de la joie, que la philosophie nomme l’eudémonisme (à ne pas confondre avec l’hédonisme qui n’est que la course au plaisir). Il y eut Spinoza, bien sûr. Et après lui, Nietzsche. Bergson, sans doute … La quête de plus de joie et l’espoir de moins de souffrance semblent bien être les moteurs ultimes de toute l’aventure humaine en ce bas monde …