Le jambon est rose parce que nous le voulons bien : qu’est-ce qu’on attend ?

Cash investigation a fait sa rentrée. Pour nous dévoiler une fois de plus les manipulations de l’industrie agroalimentaire qui cherche à faire des profits au prix de notre santé. Cette fois-ci, il s’agissait de l’ajout du nitrite, additif cancérigène, qui donne sa couleur rose au jambon. Sur les réseaux sociaux, les consommateurs ahuris commentent : “Les salauds”, “On est vraiment manipulés”, “C’est dégueulasse”, “Honte aux députés”, “On ne sait plus à qui faire confiance…”

Sur le plateau de l’émission, la députée européenne d’Europe Écologie les Verts Michele Rivasi, lançant son appel à pétition pour protester contre le lobbying de l’industrie agroalimentaire à Bruxelles, dit : “Le consommateur est acteur de la société”. En entendant cette phrase, j’ai comme le ventre noué, et pourtant je n’ai pas mangé de jambon.

Moi consommateur, je suis toujours présenté comme la victime mal informée des batailles que livrent toutes les grandes industries pour garder la mainmise et se développer toujours plus, au mépris de notre santé, de l’environnement, de l’équilibre de la planète. Pourtant être trompé est une scène qui se joue à deux. Le consommateur est le seul personnage qu’on ne remet jamais en question, qu’on ne brutalise jamais. On a peut-être oublié un détail : 

“Quand on pense qu’il suffirait que les gens arrêtent de les acheter pour que ça se vende plus. Quelle misère !” (Coluche)

Le consommateur : victime ou complice ?

Jamais l’information n’a été aussi accessible, à portée de pouce. Et pourtant, jamais nous n’avons été autant bernés sur ce que nous mangeons, comment nous nous habillons, nous maquillons, nous soignons. À croire que nous avons vomi l’héritage des Lumières selon lequel le savoir mènerait à une certaine forme de sagesse.

Dans le paysage médiatique, Cash investigation joue un rôle important dans la prise de conscience des consommateurs. Elle pointe les manipulateurs, les gros bras des industries qui nous trompent, la complaisance des politiques et des scientifiques qui se font acheter.

Soit. Il faut le savoir, bien sûr. Mais est-ce que l’industrie s’acharnerait à mettre des millions d’euros pour garder le nitrite, si les gens ne voulaient plus de jambon rose ? Dans le reportage, un industriel joint par téléphone dit : si le jambon n’était pas rose, “les gens n’achèteraient pas !”

Ah ! Alors nous avons donc une responsabilité, nous aussi ? À croire que nous sommes une marionnette qui se laisse manipuler alors qu’elle n’est attachée par aucun fil.

Les bons produits n’ont pas la couleur des publicités

Cash investigation : pourquoi le jambon est-il si rose ?

Pendant le reportage, une militante d’association de protection des consommateurs à la sortie d’un supermarché, regarde avec des clients les étiquettes de certains produits qu’ils viennent d’acheter. “Savez-vous ce que c’est, ça?” “Ah non pas du tout”.

Je ne sais pas, mais j’achète quand même. Ce consommateur ordinaire, si on le mettait lui aussi devant ses contradictions, si on l’interrogeait, si on lui donnait à penser ? Nous sommes toujours présentés comme les victimes, mais jamais comme les complices.

Le moment où les enfants sont invités à déguster du jambon est sans doute pour moi le plus choquant : aucun enfant ne sait qu’un jambon peut être marron. N’est-elle pas là, l’arme toute-puissante contre les magouilles de l’industrie, l’éducation ?

Quand allons-nous comprendre que les bons produits n’ont pas la couleur des publicités ? Qu’une pomme naturelle est une pomme qui flétrit en mûrissant ? Qu’un jambon cuit n’est pas rose ? Une consommation avertie, ne serait-ce pas un programme prioritaire pour l’Éducation nationale ?

Une émission de rééducation, avec gros moyens et belle visibilité ?

Il manque quelque chose, le pendant de la dénonciation, le complément, la suite logique de Cash : une émission de rééducation du consommateur. Non pas sur une chaîne alternative regardée par une poignée de convaincus.

Mais une émission avec gros moyens et belle visibilité, pour éduquer tous ceux qui n’iront jamais vers les médias alternatifs. Informer le consommateur est important, essentiel. Mais le faire réfléchir serait encore mieux. Livrée toute seule, l’information se noie dans la série des révélations et devient presque un divertissement de plus.

Faire le lien entre l’information et notre vie

Où sont les émissions pour enfants qui leur expliqueraient comment bien manger ? Où sont les cours au collège et lycée sur les stratégies publicitaires, pour apprendre à nos enfants à décrypter les publicités ? Où sont les sketchs de ceux qui ont un tel pouvoir sur nous, les comiques, rois et reines du stand-up, pour utiliser le rire comme arme contre notre connerie de consommateur ?

Où sont les sociologues et les psychologues pour expliquer notre désir compulsif d’achat ? Où sont les débats télévisés des philosophes pour interroger notre inertie, quand nous zappons et que nous passons à autre chose, sans faire le lien entre l’information qu’on vient de recevoir et notre vie ? En attendant tout ça, peut-être que le simple bon sens suffira. Une simple déclaration de bon sens.

Déclaration du pas-si-parfait-pas-si-petit-consommateur

Moi habitant de la planète nommée Terre, je reconnais appartenir à un ensemble de phénomènes naturels dont l’équilibre est fragile. Je reconnais que la moindre destruction de cet équilibre peut avoir des effets à des milliers de kilomètres.

Moi habitant de la planète nommée Terre, je n’ai pas besoin d’être écologiste pour vouloir minimiser mon impact sur la destruction de la planète.

Moi consommateur, je suis entièrement responsable, à chaque achat que je fais, de ce à quoi je participe. Je peux choisir de fermer les yeux, de les ouvrir et d’acheter quand même, de les ouvrir et de ne pas acheter. Je suis libre, entièrement, de choisir.

Moi consommateur, je m’engage à appliquer à chacun de mes achats le simple bon sens.

Moi consommateur avec du bon sens, vous ne me ferez pas manger des fraises ou des tomates en hiver.

Moi consommateur avec du bon sens et soucieux de mon porte-monnaie, je choisirai le vinaigre blanc et le bicarbonate de soude plutôt que tout produit ménager.

Moi consommateur avec du bon sens, je ne me limiterai pas à l’étiquetage simplifié. Une étiquette Sans additif, ne m’enlèvera pas le réflexe de regarder derrière. Un feu vert ne me fera pas acheter aveuglément.

Moi consommateur plein de bon sens, j’appliquerai un principe très simple : ce que je ne comprends pas, je n’achète pas.

Moi consommateur de bon sens, je m’engage à me moquer ouvertement des publicités que vous créez pour me convaincre d’acheter un produit. Quand votre jambon sera rose, je rigolerai. Quand votre pâte à tartiner sera pleine de cacao et de lait, je rigolerai. Je rigolerai devant mes parents, mes enfants, mes amis, et je les entraînerai avec moi dans un rire tonitruant qui fera trembler vos empires quotés en bourse.

Moi consommateur citoyen, je parlerai à mes amis, à mes parents, à mes enfants, sans jugement et sans condamnation, quand ils m’inviteront au Starbucks ou quand ils achèteront du Coca Cola, pour qu’ils retrouvent cette conscience que leurs actes individuels participent à un ensemble.

Moi consommateur parent, j’expliquerai à mon enfant qu’une vraie pomme ça flétrit, et qu’un vrai jambon n’est pas rose.

Moi individu affectionnant tellement ma liberté, je déclare qu’on m’a assez longtemps pris pour un con.

Sarah Roubato.

Sarah Roubato parcourt les routes de France pour lire son livre Lettres à ma génération chez Michel Lafon. Chez vous, dans une petite salle, dans une bibliothèque ou une librairie. Consultez le blog de l’auteure Sarah Roubato.

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