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Lettre à la jeunesse européenne : “La COP21, notre meilleure chance de créer la Génération Europe XXI”

Par Manon Dervin, étudiante à Sciences Po Rennes, en master 1 Affaires Européennes et Internationales.

Le 10/11/2015 par WeDemain
Par Manon Dervin, étudiante à Sciences Po Rennes, en master 1 Affaires Européennes et Internationales.
Par Manon Dervin, étudiante à Sciences Po Rennes, en master 1 Affaires Européennes et Internationales.

Crise économique, crise environnementale, crise migratoire, crise démocratique … La jeunesse européenne fait face à de nombreux défis. Et d’autant de raisons, estime notre contributrice, de s’interroger sur les capacités de cette jeunesse à (re)conquérir les espaces publics européens.

D’après une étude récente, en France, 71 % des 15-30 ans n’ont jamais entendu parler de la COP21. Parmi ceux qui ont eu vent de l’évènement, seulement 22 % envisagent des conclusions positives. Des chiffres inquiétants, quand on sait que cet événement sera l’occasion de poser une question cruciale : de quel avenir voulons-nous ?

Selon Laurence Tubiana, la représentante officielle de la France dans les négociations pour la COP21, “la COP21 s’inscrit dans une tendance de fond : celle d’une transition mondiale vers des sociétés résilientes et sobres en gaz à effet de serre, qu’elle devrait contribuer à accélérer mais qui continuera de toute façon après elle. Je ne pense donc pas que Paris soit, comme on l’entend parfois, la dernière chance pour le climat. Je dirais plutôt que c’est la meilleure chance que nous ayons eue jusqu’ici”.

Comment tisser du lien plutôt que de créer des biens ?

Au-delà d’attentes formulées dans le cadre du système international des négociations, comment la COP21 pourrait-elle être un élément déclencheur d’une prise de conscience générationnelle ? Dans quelle mesure peut-on envisager le sommet sur le changement climatique comme un événement structurant, la “meilleure chance” de constituer ce que nous appellerons la “Génération Europe XXI” ?

Dans un monde de crises et en crise, s’inspirant des idées de la décroissance, il s’agirait d’étudier les perspectives possibles et le rôle de la jeunesse dans une “décolonisation des imaginaires” qui nous pousserait hors de notre zone de confort historique, culturelle, religieuse. Comment tisser du lien plutôt que de créer des biens dans un monde entré dans l’ère digitale, dévoré par le consumérisme et l’individualisme ?

Éducation numérique, planification urbaine et réduction du temps de travail

Dans cette dynamique décroissante se projetant au-delà des attentes politiques de court terme, cet article vise à proposer des pistes de réflexion autour de thèmes cruciaux : l’éducation liée au numérique et la planification urbaine. Face à la crise économique et aux difficultés d’insertion sur le marché du travail, il s’agirait par ailleurs de redéfinir la valeur travail en crise. Réflexion déjà initiée par les auteurs du livre Un Projet de Décroissance , l’idée d’un revenu universel couplé à des revendications d’accès gratuits aux services publics fait son chemin sur la scène politique européenne.

Il en va de même pour la réflexion autour de la réduction du temps de travail. Plutôt que de subir une austérité économique imposée et un modèle de productivité toujours plus soucieux d’économies et qui exclue par le non- travail, pourquoi ne pas envisager le chômage comme le signe révélateur d’un système en mutation ?

Les temps longs de formation et l’arrivée toujours plus tardive des jeunes sur un “marché” du travail toujours plus compétitif, des départements universitaires jugés non productifs menacés de fermeture… Quelle place et quel rôle pour l’école et l’université au XXIe siècle ? Réinventer l’université, c’est revendiquer l’accès au savoir et à la formation perpétuelle.

Le numérique, le dénominateur commun de la génération Y

Oser remettre en question l’hégémonie de la valeur travail au sens productif du terme, c’est questionner ce qui contribue le plus au bien-être et au bon fonctionnement d’une société. C’est contribuer à forger des êtres humains dotés de sens critique et capables d’aller vers l’autre. C’est renforcer l’identité européenne et poursuivre le gigantesque tissage de liens entamés par le programme Erasmus. D’ailleurs, ne peut-on pas envisager Erasmus comme un dénominateur commun positif de la “Génération Europe XXI” ?

Réinventer l’Université, c’est permettre à la jeunesse de se réapproprier l’espace artistique, culturel et politique à l’échelle européenne. Dans cette dynamique, il s’agit d’intégrer le paramètre du numérique. On peut considérer le numérique comme dénominateur commun d’une “génération Y”, voire d’une “génération Z” ayant grandi avec le poids croissant de Google, Apple, Microsoft (et bien d’autres) en bourse.

Beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur la part de responsabilité du numérique dans le délitement des liens sociaux. Nombre d’études révèlent le sentiment croissant de solitude et d’isolement des individus. L’instantané et l’éphémère semblent s’imposer comme nouvelles normes des rapports sociaux et sociétaux. Les ordinateurs, les téléphones, les tablettes, les réseaux sociaux… murs ou fenêtres sur le monde ? 

Le numérique pour répondre aux crises environnementales et migratoires

Dans une perspective décroissante, il est pourtant possible d’envisager le numérique comme un formidable instrument de propagation du savoir et de rencontres, autant d’occasions de redéfinir la notion de propriété numérique (ou copyright) : Wikipédia, Facebook, Twitter, presse en ligne… tout en intégrant la dimension des low techs.

De manière générale, on peut y entrevoir une formidable opportunité de forger une identité européenne aux valeurs humanistes. Connaître l’autre pour dépasser ses peurs et les tentations protectionnistes, briser le carcan des religions et des traditions et ancrer l’humain dans une nouvelle phase de modernité. De manière plus concrète, s’approprier et maîtriser une technologie pour aborder avec plus de sagesse des crises environnementales et migratoires, dont les causes et les conséquences dépassent aujourd’hui les frontières.

Accès équitable aux ressources, usage soutenable et contrôle démocratique

Les mouvements massifs de population vers l’Europe et le changement climatique appellent également à se réapproprier différemment les espaces urbains. Comment envisager les villes de demain ? Comment construire un modèle agricole, social et économique intégré, qui réduirait les inégalités inhérentes aux lieux de vie, aux déplacements du lieu de vie au lieu de travail, à l’autonomie en termes d’approvisionnements en nourriture, en énergie, etc. ?

​Un certain nombre d’initiatives ont vu le jour et se propagent, en lien avec ces problématiques : agriculture verticale, AMAPs, jardins partagés, éco-quartiers… Autant d’aspects d’une seule et même idée, celle des “communs”. Cette idée repose sur trois paramètres qui sont celui d’un accès équitable aux ressources, d’un usage soutenable et d’un contrôle démocratique.

Une gestion différente de la ville de demain

Dans une perspective de décroissance, questionner la ville de demain, ses conditions d’accès, d’usage et de gestion contribue ainsi à se (ré)approprier d’une manière différente les espaces publics avec la thématique du lien social comme valeur centrale. Le mouvement ZADiste en France et d’autres cas d’occupations d’espaces publics voués à des petits et grands projets inutiles en Europe traduisent en ce sens les tentatives spontanées d’une jeunesse européenne en quête de sens, qui cherche à (re)conquérir, défendre, revendiquer des espaces et une gestion différente de ceux-ci, basée sur la convivialité et le dialogue.

Mannheim considère qu’il n’est pas possible de penser la génération sur des bases uniquement arithmétiques, une génération ne se définirait donc pas par sa simple tranche d’âge. Ce qui fabrique les générations seraient des communs historiques, des évènements comme la Première Guerre mondiale, la crise de 1929 ou encore la guerre d’Algérie qui ont contribué à forger la fameuse “Génération 68” française. En 1968, dans l’ouvrage La brèche , coécrit avec Castoriadis, Edgard Morin qualifie Mai 68 de “1789 socio-juvénile”La jeunesse étudiante d’aujourd’hui est appelée à devenir à son tour l’intelligentsia qui alimentait les mouvements sociaux. 

Une jeunesse actrice du changement dans un monde en transition

Reprenant les présupposés de Mannheim, toutes les générations au sens biologique ne sont donc pas des générations au sens idéologique. La décroissance offre suffisamment de perspectives et de pistes pour alimenter une réflexion qui nous pousserait hors de notre zone de confort, pour cultiver le champ des possibles et bâtir un nouveau monde d’ores et déjà en émergence sur les ruines d’un système.

De quoi fournir matière à se constituer en génération et devenir à son tour facteur de changement. Cette jeunesse européenne pourrait mériter son titre de “génération” si, en s’inspirant des idées de la décroissance, elle devenait actrice de changement dans un monde d’ores et déjà en transition. La COP21 se profilant ainsi comme un élément structurant, en tout cas la meilleure chance que nous ayons eue jusque ici d’ouvrir les yeux.

 

Manon Dervin se décrit comme une “objectrice de croissance”. Elle est l’auteure de Lettre à une croissance que nous n’attendons plus  et a été choisie par le Cercle des économistes dans le cadre du concours “Imaginez votre travail demain – La parole aux étudiants”, organisé à l’occasion des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence. Elle est également membre de la Commission énergie du Parlement Européen des Jeunes et chargé de relations publiques pour le projet Democrateek.

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