M. Macron, la Bourse m’intéresse moins que le climat, la justice sociale ou la santé de mes enfants

Cher Monsieur,

En février dernier, alors que la campagne battait son plein, vous êtes venu visiter notre ferme en Touraine pour comprendre comment le modèle agroécologique pouvait répondre aux enjeux d’autonomie alimentaire des territoires, d’efficacité énergétique dans la production agricole, de créations d’emplois, de lutte contre le dérèglement climatique ou l’érosion de la biodiversité, de préservation des terroirs et de la qualité de nos productions.

Vous n’êtes pas un habitué de ces questions écologiques, mais vous comprenez vite et n’êtes pas dépourvu de bon sens, ce fut un moment plaisant et utile.

Après nous avoir rencontrés et entendu notre vision, vous avez dû écouter d’autres acteurs du domaine agricole et notamment les défenseurs de cette agriculture productiviste et chimique qui éreinte la nature, l’emploi et notre santé.

C’est le deal : en tant que politique, vous devez parler avec tout le monde, composer avec toutes les sensibilités pour arbitrer sous votre responsabilité. Dans le vieux monde, les politiques ont toujours fait plaisir aux plus influents, dont la force de lobbying n’a d’égale que les profits qu’ils engrangent… Mais dans un monde en marche, j’imagine que l’on valorisera ceux qui avancent, qui innovent et s’affranchissent des codes poussiéreux et rigides de la société pour inventer des lendemains meilleurs. C’est moins simple mais intellectuellement plus stimulant.

Proposer des orientations claires

Aujourd’hui, vous vous réveillez en tête de l’élection et neuf de vos concurrents ont disparu de la course, bravo pour ce tour de force rapide et efficace. Vous êtes à deux doigts de devenir notre Président. 

La nouvelle a rassuré les marchés, puisque la Bourse de Paris ouvre en hausse de 4%, mais elle n’a pour l’instant aucun effet sur le dérèglement climatique… Je fais partie des 38 millions d’inscrits qui n’ont pas voté pour vous, et comme la majorité d’entre eux, la Bourse m’intéresse moins que le climat, la biodiversité, la justice sociale ou la santé de mes enfants.

Pour nous convaincre de voter pour vous et ne pas risquer un trop fort taux d’abstention, qui favoriserait votre adversaire, vous allez maintenant devoir entrer dans le dur et proposer des orientations claires sur les sujets restés encore trop flous. L’agriculture est au carrefour des enjeux de notre société, elle est la première brique, le socle, sur lequel doit reposer notre modèle : elle mérite qu’on lui accorde l’attention toute particulière d’un secteur d’exception.

Sans simplifier, on peut affirmer que deux visions s’opposent en la matière et la bonne nouvelle du résultat d’hier c’est que tous les citoyens ayant voté à votre gauche, et qui vous sont donc largement suffisants pour l’emporter dans 15 jours, défendent un modèle paysan, bio, local, économe en énergie et en intrant, créateur d’emplois. Plus besoin, dès lors, de faire de courbettes aux partisans d’un modèle à bout de souffle, ne survivant que grâce à la chimie, au pétrole, aux subventions, et à la docilité des consommateurs.

Une ouverture réelle

Avec l’association Fermes d’Avenir, nous vous avons mâché le travail en proposant 10 orientations politiques fortes à même d’enclencher la transition agricole, et vous pouvez les retrouver dans cette pétition que je vous avais remise à l’époque. 

Pour convaincre, mais surtout pour donner le souffle nouveau que vous annoncez, vous devrez montrer une ouverture réelle, pas simplement vers des obédiences voisines, mais aussi et surtout vers des centres d’intérêts nouveaux. C’est dans cette démarche de curiosité et de découverte que se forgeront vos nouvelles convictions, ces prochains mois et années vont devoir vous changer littéralement et cela s’annonce intéressant à suivre.

Insoumis aux diktats de l’économie libérale, j’ai voté pour l’un de ceux qui faisaient figurer l’écologie au rang de ses priorités, terreau favorable à l’éclosion rapide de projets structurants sur les territoires comme l’interdiction de l’usage de certains pesticides, l’approvisionnement bio et local pour les cantines publiques, la réorientation des aides de la PAC, le renouvellement de la formation…

Ma mère est convaincue que tout le monde peut changer, et c’est d’ailleurs la raison qui l’a poussée à voter pour vous, espérant que votre intelligence et vos qualités hier au service de la finance ou de l’administration seront demain tout aussi efficaces en faveur de l’intérêt général lorsque vous en aurez compris tous les ressorts.

Beaucoup de membres de votre équipe connaissent nos travaux, notre implication et notre agilité à faire bouger, rapidement et avec enthousiasme, les choses. Certains des amis avec lesquels nous travaillions l’hypothèse Hulot ont fini par rejoindre vos rangs après son renoncement, ce que je n’ai pas souhaité car je pense que vous partez de trop loin sur les questions écologiques, sociales et même éthiques, tout féru soyez-vous des sujets économiques purs et durs.

La transition doit arriver, vite, maintenant.

Pour que vous gagniez ma voix et celles de ceux qui, comme moi, auraient préféré voir émerger de ce premier tour une dynamique vraiment révolutionnaire (car notre monde fonce de plus en plus vite dans le mur), je ne peux que vous recommander de creuser encore et encore ces questions que vous connaissez peu.

Venez parler avec les acteurs historiques de l’agriculture bio, les réseaux militants, qui vous feront découvrir une réalité quotidienne et sémantique de l’agriculture que les productivistes ont perdu au profit d’un langage purement stratégico-économique déconnecté du et des vivants.

Faites la même chose en écoutant et donnant la voix aux alternatives et solutions qui existent dans les secteurs de l’éducation, de l’énergie, de la santé, de l’économie, de l’aide au développement et même de la finance.

La transition doit arriver, vite, maintenant. Une nouvelle page s’ouvre pour vous et nous. Elle est encore suffisamment blanche pour que vous puissiez y laisser s’exprimer votre créativité et y associer des bonnes et pures volontés.

Restant à votre disposition… Révolution ?

mAx

Maxime de Rostolan.
Directeur de l’association Fermes d’Avenir
Fondateur de Blue Bees
Auteur de la pétition “10 Propositions pour une transition agricole”

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