Partager la publication "20 ou 40 %, quelle est la part du nucléaire dans le mix énergétique français ?"
S’il est un domaine dans lequel l’appareil statistique et les outils d’observation sont développés depuis longtemps, et apparaissent très robustes, c’est bien celui de l’énergie (nucléaire, verte, fossile…). Les chocs énergétiques des années 1970 ont motivé des efforts importants en matière de définition des unités et d’élaboration d’une comptabilité énergétique – à l’image du bilan énergétique national.
Ce bilan représente en colonnes les différentes formes d’énergie utilisées. En lignes, ce sont les opérations de conversion et de consommation de ces énergies. Le tout est mesuré sur un territoire donné et pendant une année. C’est un outil essentiel pour la quantification rigoureuse et fiable des éléments d’un système énergétique. Et pourtant !
Certains se souviendront de ce moment, lors du débat présidentiel de 2007 entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. La candidate PS a interpelé son concurrent en lui posant la question de la part du nucléaire dans la consommation d’électricité en France.
Le candidat UMP répond : « la moitié ». « C’est faux ! » rétorque Ségolène Royal, « ce n’est que 17 % ». Qui a raison, qui a tort ? « Les deux ont tort » affirment alors la plupart des commentateurs. En fait, aux approximations près, les deux pouvaient avoir raison. À condition d’avoir parlé d’énergie et non d’électricité (la part du nucléaire pour l’électricité était de 78 % en 2006).
Il faut tenter de comprendre pourquoi. Car l’interprétation des chiffres n’est pas neutre pour l’élaboration, la discussion et la mise en œuvre des stratégies énergétiques. En particulier la question de la composition actuelle et future du « bouquet énergétique » (energy mix, en anglais). Celle-ci est au centre des débats sur les voies de la transition énergétique.
Ces différences de comptabilité s’expliquent par la structure du système énergétique et les conventions à retenir pour convertir les différentes énergies en une unité commune. En particulier, il faut savoir comment rendre compte des flux physiques lorsque les conversions, notamment pour la production d’électricité, entraînent des pertes importantes, au sein même des industries énergétiques.
Pour les énergies de combustion (comme celle du bois pour se chauffer, du gaz pour faire cuire ses aliments ou encore de l’essence pour faire tourner un moteur), pas de problème. Ou presque : il suffit de comptabiliser la chaleur théoriquement produite par leur combustion. Et l’on ramène tout à une unité commune. Ce fut longtemps la tonne équivalente pétrole (tep), plus récemment on utilise les kWh. Mais de plus en plus à l’international les Joules dominent (ou Exajoules pour les grandes quantités).
Les choses se corsent pour l’électricité. Car celle-ci peut être produite directement par conversion de l’énergie mécanique dans des centrales hydrauliques et éoliennes, ou lumineuse pour l’énergie solaire. Mais elle peut aussi être produite dans des centrales thermiques. C’est-à-dire indirectement à partir de la chaleur initialement issue de la fission nucléaire ou de la combustion (charbon, pétrole, gaz, biomasse).
Pour la catégorie des centrales thermiques à combustion, de nouveau peu de problèmes. Il faut prendre en compte l’énergie thermique des combustibles à l’entrée de la centrale. Mais pour l’électricité nucléaire, comment faire alors que, pour l’heure, la chaleur nucléaire n’est pas utilisée à d’autres fins.
Deux solutions sont ici possibles. Ou bien on comptabilise l’énergie qui sera disponible sous forme d’électricité en sortie. C’est « l’équivalence à la consommation ». Ou bien on comptabilise l’énergie qu’il aurait fallu introduire dans une centrale thermique pour produire la même quantité d’électricité. C’est « l’équivalence à la production ».
En fonction de la centrale de référence, c’est deux fois et demie à trois fois plus d’énergie.
Équivalence à la production ou équivalence à la consommation de l’électricité, cela ressemble fort à une querelle de spécialistes ! Elle est en fait de la plus haute importance pour juger du poids des différentes énergies dans le fameux bouquet énergétique. Et donc de leur contribution relative à l’approvisionnement national.
Mais revenons au débat Royal-Sarkozy de 2007. La première se référait au poids de l’électricité d’origine nucléaire dans la consommation des secteurs, dite consommation finale. On est alors en équivalence à la consommation (1 MWh = 0,086 tep) et le poids du nucléaire est assez limité. Le second pensait plutôt au poids du nucléaire dans la totalité de l’énergie entrant dans le système, y compris la chaleur nucléaire. Avec l’équivalence à la production (1 MWh = 0,21 à 0,26 tep), ce poids est alors considérable. Même si, jusqu’à aujourd’hui, cette chaleur est irrémédiablement perdue. Tout s’explique !
Les conventions de comptabilisation de l’électricité renouvelable et de l’électricité nucléaire peuvent finalement conduire à trois types de systèmes comptables.
L’application de ces conventions comptables à l’analyse des systèmes énergétiques pour les cas de la France, de l’Allemagne, de l’Europe et du monde donne des résultats très contrastés avec des différences importantes selon le système comptable adopté.
C’est évidemment le cas pour la France, en situation exceptionnelle du fait de l’importance de sa production nucléaire. Et l’on retrouve les évaluations des candidats à la présidentielle de 2007. 42 % de nucléaire avec la Convention 1 et seulement 19 % avec la Convention 3 !
Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy auraient donc presque eu raison s’ils avaient parlé d’énergie et non pas d’électricité. Il suffisait (outre la confusion entre énergie et électricité) de bien préciser les conventions.
Mais l’examen de l’approvisionnement en énergie primaire est porteur d’autres enseignements. On notera ainsi :
Les regroupements des différentes sources identifiant d’abord les renouvelables, puis les énergies décarbonées, catégorie essentielle du point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sont également très instructifs.
Si l’on retient la convention 2 (système BP), l’Europe apparaît mobiliser plus de renouvelables que la moyenne mondiale (25 % contre 20 %) et si l’on ajoute le nucléaire pour avoir le total des énergies décarbonées, l’écart se creuse (36 % contre 23 %). De même entre la France et l’Allemagne, pour les renouvelables, la France vient derrière (18 % contre 22 %), mais loin devant pour le total des énergies décarbonées (53 % contre 27 %).
La France est loin devant pour le total des énergies décarbonées.
Difficile à l’issue de cette exploration de la comptabilité énergétique d’identifier quel serait le meilleur système : à l’évidence aucun ne s’impose de manière indiscutable.
Une solution serait d’ignorer le problème en se plaçant du point de vue de l’énergie finale consommée. C’est pertinent quand on s’intéresse à la structure des consommations d’énergie pour le bâtiment, les transports, l’industrie. Mais si l’on se préoccupe, comme c’est particulièrement le cas depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des questions de dépendance et de stratégie énergétique, alors il faut bien regarder l’énergie primaire, celle qui rentre dans le système énergétique.
Et, dans ce cas, il faut être informé des pièges posés par les conventions des systèmes de comptabilité et du fait qu’ils peuvent parfois entraîner des écarts très importants pour l’évaluation de la contribution des différentes énergies.
De ce point de vue, la convention utilisée par BP, pour imparfaite qu’elle soit, évite, en adoptant une convention identique pour le nucléaire et l’électricité renouvelable, le traitement déséquilibré qui surpondère l’énergie nucléaire dans le système de l’AIE. Et, par ailleurs, l’équivalence commune retenue est simple.
Cette convention rend compte également des caractéristiques supérieures de l’électricité par rapport aux autres vecteurs énergétiques, en termes de rendement d’usage : par exemple, le rendement d’un moteur automobile électrique est de 90 %, contre 40 % pour un moteur thermique.
S’il fallait choisir du point de vue d’un analyste des stratégies énergétiques – et non de celui du physicien ou du pur comptable de l’énergie – la Convention 2, ou « convention BP », apparaîtrait alors probablement comme la moins mauvaise.
À propos de l’auteur : Patrick Criqui. Directeur de recherche émérite au CNRS, économiste de l’énergie, Université Grenoble Alpes (UGA).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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