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Accueillir Assange en France? L’État freine, la société pousse

La demande d’asile de l’activiste australien a été rejetée par le gouvernement sur des motifs juridiques. Une décision qui a provoqué un regain de mobilisation de la société civile en faveur des “lanceurs d’alerte”. Un mouvement dont les arguments se placent sur le plan des valeurs et des libertés.

Le 08/07/2015 par WeDemain
La demande d'asile de l'activiste australien a été rejetée par le gouvernement sur des motifs juridiques. Une décision qui a provoqué un regain de mobilisation de la société civile en faveur des "lanceurs d'alerte". Un mouvement dont les arguments se placent sur le plan des valeurs et des libertés.
La demande d'asile de l'activiste australien a été rejetée par le gouvernement sur des motifs juridiques. Une décision qui a provoqué un regain de mobilisation de la société civile en faveur des "lanceurs d'alerte". Un mouvement dont les arguments se placent sur le plan des valeurs et des libertés.

Cinquante-huit minutes. Il aura fallu 58 minutes, vendredi 3 juillet, au gouvernement français, pour rejeter la demande d’asile de Julien Assange, le cofondateur du site WikiLeaks. Depuis trois ans, le journaliste australien vit en exil, réfugié à l’ambassade de l’Équateur à Londres, pour ne pas être extradé par les États-Unis, qui veulent le traduire en justice.

La raison de cet exil ? Avoir révélé, depuis 2010, des centaines de milliers de documents officiels – plus particulièrement sur le comportement des services de renseignement américains. Fin juin, WikiLeaks avait notamment révélé que les États-Unis avaient massivement surveillé les trois derniers présidents français.

Un geste humanitaire

Dans une longue lettre adressée au gouvernement français et publiée par Le Monde, Julian Assange demande à la France “un geste humanitaire” mettant fin à l’impasse dans laquelle il se trouve aujourd’hui. Une demande qu’il motive aussi par ses liens personnels avec le pays – il y révèle l’existence sur le sol français de sa femme et de son plus jeune enfant, tous deux français -, mais surtout par la place de la France dans le monde : 
 
“Seule la France se trouve aujourd’hui en mesure de m’offrir la protection nécessaire contre, et exclusivement contre, les persécutions politiques dont je fais aujourd’hui l’objet. En tant qu’État membre de l’Union européenne, en tant que pays engagé par toute son histoire dans la lutte pour les valeurs que j’ai faites miennes, en tant que cinquième puissance mondiale, en tant que pays qui a marqué ma vie et qui en accueille une partie, la France peut, si elle le souhaite, agir.”
  
Dans sa réponse, effectuée par communiqué, le gouvernement assure avoir “bien reçu la lettre de M. Assange”, mais ne pas pouvoir y donner suite. Une réponse motivée par des arguments juridiques, à défaut de s’aventurer sur le terrain des valeurs et des libertés.
  

C’est pourtant bien sur le registre des valeurs que se positionne la majorité des réactions en France. Dès l’annonce de la décision de ne pas accueillir Assange en France, Twitter voit déferler un flot de réactions indignées. Ces dernières émanent de simples citoyens, mais aussi de nombreuses personnalités issues des mondes associatif, culturel et politique. Et ce jusqu’au sein de la majorité présidentielle. La sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann, par exemple, affirme :
 

Pour Europe Écologie les Verts, le rejet de la demande d’asile d’Assange est “une atteinte claire et profonde aux valeurs de notre République, tant la situation qu’il subit est indigne et les risques de persécutions qu’il encourt sont réels et nombreux”. Les écologistes appellent François Hollande à “revenir sur cette décision et à mettre enfin en œuvre les principes qui ont fondé le rayonnement moral de la France depuis des siècles : la justice, l’équité, et la protection des plus faibles.”

Vaudeville juridique
 
D’un point de vue juridique, la réponse de l’État est-elle valable ? Non, pour l’avocat espagnol de Julian Assange, Baltasar Garzón. Ce dernier s’interroge sur “la réalité de ‘l’analyse approfondie’ de la demande de Julian Assange” en seulement 58 minutes “et sur les raisons qui ont amené à une telle précipitation”. Il souligne d’ailleurs, qu’en pratique, le journaliste australien n’a déposé aucune demande officielle d’asile en France :
 

“Aucun terme, dans sa lettre au Président de la République, ne peut être interprété dans un sens différent”.

 
L’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), l’organisme compétent en France sur les questions d’asile, n’a en effet pas été saisi. Et quand bien même, selon l’ONG SOS Racisme, cet organisme prend rarement aussi peu de temps pour statuer sur une demande d’asile :  
 

Comme l’analyse Télérama.fr, “la suite tient du vaudeville” : plus tard dans la journée de vendredi, l’équipe juridique de Julian Assange relativise elle-même la portée juridique de la demande de son protégé, assurant que celui-ci avait simplement réagi “aux déclarations de Taubira” . Le 25 juin, la garde des Sceaux avait déclaré “qu’elle ne serait pas choquée” si l’asile lui était accordé.
 

Causes diplomatiques

La complexité de cette affaire réside dans le fait que personne, parmi ses protagonistes, n’a véritablement tort. Sur le plan juridique, les arguments du gouvernement sont recevables. Le fondateur de WikiLeaks est recherché par la justice américaine suite à ses révélations. D’autre part, il fait l’objet d’une enquête pour viol et agression sexuelle en Suède, sans toutefois être accusé d’aucun délit – mais il est visé par un mandat d’arrêt européen parce qu’il ne s’est pas présenté aux convocations de la justice suédoise. Or, les pays membres de l’Union européenne ont pour obligation de remettre aux autorités une personne visée par un mandat d’arrêt européen. S’il sort de l’ambassade, Julian Assange risque donc l’extradition par le Royaume-Uni. 

Mais en arrière plan, le refus d’accueillir en France les lanceurs d’alerte relève d’abord de causes diplomatiques. En juillet 2013, l’activiste et ancien agent de la NSA Edward Snowden avait, lui aussi, effectué une demande d’asile auprès du gouvernement français. “M. Snowden est un agent des services américains, et c’est un pays ami avec lequel nous avons des relations (…)”, avait répondu Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, précisant toutefois que “sa demande serait examinée”. Une promesse encore non tenue. Deux ans plus tard, la requête de cet autre lanceur d’alerte est toujours dans l’impasse.

Ces motifs juridiques et diplomatiques, estiment les défenseurs d’Assange, ne font pas le poids face à la question des libertés individuelles. Pour eux, il est nécessaire et urgent d’accorder le droit d’asile aux “whistleblowers” (les “lanceurs d’alerte”, en anglais), même si ces derniers outrepassent les règles de leur entreprise ou les lois de leur pays d’origine.

Pressions américaines
 
Dans un long article daté du 29 juin, le site d’information Mediapart revient sur la réponse de la France aux demandes de Snowden et d’Assange. Ses auteurs y avancent que “le futur pays d’accueil de Snowden [et d’Assange, NDLR] devra peser suffisamment en termes diplomatiques pour pouvoir faire face aux pressions américaines”, mais “qu’aucune grande puissance ne semble prête à prendre ce risque”. Contacté par Mediapart, l’un des avocats de Snowden, William Bourdon, ne se prononce pas davantage sur les démarches en cours concernant son client.

Des démarches que s’attellent à faire progresser une tribune et une pétition relayées par Mediapart et la plateforme Change.org. Publiée le 2 juin, cette dernière a vu passer son nombre de signataires de 900 à plus de 5 000 au cours des deux jours qui ont suivi la demande d’asile d’Assange. Le philosophe Edgar Morin, le réalisateur Jacques Audiard, l’acteur Romain Duris, la députée européenne Eva Joly, le musicien Jean-Michel Jarre, mais aussi l’économiste Thomas Piketty et le journaliste Edwy Plenel y enjoignent “fermement” le Président François Hollande à “donner l’asile à Snowden et Assange”. “La République a le droit et le devoir d’accueillir en France les individus qui sont persécutés en raison de leur combat pour la liberté”, affirment les signataires.

Et de préciser les moyens dont dispose l’État pour agir :
 

“Les moyens à sa disposition sont nombreux, de l’asile constitutionnel au visa de long séjour pour asile en passant par l’attribution d’un permis de résidence ou de la nationalité française.”

La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’ONG la Quadrature du Net , Transparency International France font aussi partie des soutiens à ces lanceurs d’alerte. Ces organisations avaient d’ailleurs soutenu l’idée du gouvernement de renforcer la protection des “whistleblowers” à travers un amendement du projet de loi sur le renseignement voté le 24 juin.

“Incitation à la délation”

Seulement, au sein même du gouvernement, l’idée inquiétait. Mi-avril, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian faisait part de ses “interrogations” au sujet de cet amendement. Ce dernier déclarait “essentielle” “la nécessité strict du principe hiérarchique” dans le fonctionnement des services de renseignement et affirmait craindre “une incitation à la délation” s’il était adopté.

Sur le cas précis d’Assange, le député socialiste et président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas (PS), artisan de la loi sur le renseignement, avait estimé, le 26 juin, au micro de France Inter ne pas “voir pourquoi, au titre de l’asile ou de réfugiés politiques, nous donnerions l’asile à quelqu’un qui n’est pas persécuté et qui est dans une démocratie qui a une justice indépendante”. 

JJ Urvoas : “Je ne vois pas pourquoi nous… par franceinter

“Des positions inacceptables qui ont conduit à un amendement vidé de sa substance”,  fustige Dominique Curtis, chargée de campagne sur la liberté d’expression à Amnesty International. Interrogée par We Demain, elle estime que le texte adopté le 24 juin et les déclarations de ses défenseurs sont “un signe inquiétant pour la transparence de notre démocratie”.

Droit à l’information

Pour Dominique Curtis, Jean-Yves Le Drian minimise le risque qui plane sur les lanceurs d’alerte : “Snowden et Assange font face à des violations avérées des droits de l’homme, ainsi qu’à des poursuites disproportionnées au nom de l’Espionage Act : s’ils sont extradés, ils ne pourront avoir droit à un procès équitable et expliquer leur démarche au nom du bien public, sans parler de l’isolement psychologique, des représailles d’employeurs ou du danger auxquels font face tous les autres lanceurs d’alerte”.

Et d’insister sur l’erreur que commet, selon elle, le gouvernement : “[Les lanceurs d’alerte] décident de rendre un service à la société et méritent, en retour, la protection de cette même société, ce qui fait cruellement défaut en France (…) Le gouvernement passe plus de temps à protéger ses intérêts économiques et à questionner les démarches des lanceurs d’alerte que leurs alertes mêmes.”

Au sujet du mouvement d’indignation de la société civile, Dominique Curtis y voit “plutôt un bon signe” : “Nous avons tous notre rôle à jouer pour protéger ces personnes, et plus largement, notre droit à l’information”, estime la responsable associative. L’État se résoudra-t-il à entendre ce cri ?

Lara Charmeil
Journaliste à We Demain
@LaraCharmeil

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