Partager la publication "Agriculture bio : le choix libre des semences en Europe"
Depuis le 1er janvier 2022, une nouvelle réglementation européenne s’applique pour les producteurs en agriculture bio. Elle concerne différentes dimensions de la production (bien-être animal, harmonisation des exigences pour les produits importés), mais surtout de nouvelles mesures favorables à la production de nouvelles catégories de semences adaptées à l’agriculture biologique, grâce à l’autorisation de leur commercialisation.
Cette disposition ouvre une brèche dans le monde de la semence industrielle qui a contribué à la construction de nos paysages agricoles et de notre système alimentaire, fondés sur l’homogénéité des cultures et la stabilité des variétés. Cet idéal de la variété, rendu obligatoire pour la mise en marché de semences au milieu du siècle dernier, est enfin détrôné grâce à la nouvelle réglementation. Celle-ci redonne sa place à la diversité nécessaire au bon fonctionnement des écosystèmes. Beaucoup plus qu’un symbole, cette évolution offre désormais la possibilité de mise en cohérence de la semence avec les principes de l’agriculture biologique (AB).
L’agriculture est apparue il y a 10 000 ans avec les premières domestications des espèces cultivées. Tout au long des siècles, les paysans ont adapté et sélectionné dans chaque terroir les plantes qui sont à la base de notre alimentation et de notre culture.
Notre époque moderne a vu s’appauvrir considérablement notre régime alimentaire – et dans le même temps s’homogénéiser les cultures. Si plusieurs milliers d’espèces végétales ont été utilisées au fil des siècles pour l’alimentation humaine, nous n’en cultivons aujourd’hui plus qu’environ 150. Et pas plus de trois fournissent quelque 60 % des calories et protéines tirées des plantes.
L’industrialisation de l’agriculture a accéléré cette perte de la diversité. Cela s’explique par la simplification des pratiques agricoles et des paysages. Ainsi que par l’utilisation de variétés rendues stables et homogènes grâce à des artifices génétiques et biotechnologiques. L’agriculture biologique a émergé il y a un siècle grâce à des pionniers qui, très vite, ont compris les grands risques de détérioration des écosystèmes.
L’agriculture biologique a commencé son développement économique en France après la Seconde Guerre mondiale. Elle y fut officialisée par la loi d’orientation agricole (LOA) de 1980. En 1991, un règlement européen la reconnaît officiellement.
Dès ce texte, l’utilisation de semences biologiques (c’est-à-dire des graines issues de plantes porte-graines cultivées selon les principes de l’AB) a été rendue obligatoire pour les agriculteurs biologiques de toute l’UE. Au début, on multipliait des variétés créées pour l’agriculture conventionnelle pour produire des semences en bio, gardant ainsi la logique d’homogénéité et de stabilité de ces variétés pour la bio. Cependant, la mise en œuvre du règlement différait d’un État membre à l’autre, car très peu de semences bio étaient disponibles à l’époque.
Dès son émergence, les praticiens de l’agriculture biologique ont eu à cœur de stimuler les processus vivants par des techniques spécifiques, notamment au niveau des sols mis à mal avec les intrants chimiques – mais sans se préoccuper des semences dans les premières décennies.
Ce règlement a été une étincelle salvatrice chez une partie des professionnels pour déclencher une réflexion sur la nature des variétés et semences du marché, et pour une prise de conscience de l’incohérence d’utiliser en bio des variétés stables et homogènes conçues pour être productives dans un contexte d’agriculture conventionnelle.
Ils découvraient aussi que la plupart des variétés modernes étaient porteuses de manipulations biotechnologiques, en complète contradiction avec les principes de l’International Federation of Organic Agriculture Movements (Ifoam), établis au niveau international.
De cette prise de conscience du début des années 2000, des groupes d’agriculteurs ont initié des expériences de recherche participative en France et en Europe sur de nombreuses espèces pour renouveler les semences paysannes abandonnées quelques décennies plus tôt.
Elles ont de nombreux avantages sur les variétés modernes : elles sont diversifiées, évolutives, sélectionnées en respectant la biologie des espèces pour s’adapter à la diversité des écosystèmes ; en outre, elles sont échangées librement entre les membres des associations qui se sont constituées pour soutenir le travail collectif, en dehors du marché légal des semences. Des réseaux nationaux, tels que le Réseau semences paysannes en France, et le collectif européen European Coordination Let’s Liberate Diversity, ont assuré la reconnaissance politique de la démarche.
En parallèle, et pour soutenir l’ensemble du secteur bio et paysan, des projets européens – DIVERSIFOOD, LIVESEED, DYNAVERSITY et bientôt LIVESEEDING – ont depuis une quinzaine d’années associé les chercheurs engagés avec les professionnels (paysans et sélectionneurs, notamment de petites entreprises bio européennes) pour faire reconnaître les spécificités de la sélection pour l’agriculture biologique, pour laquelle une semence diversifiée est essentielle pour assurer la santé des plantes, une production régulière et de qualité en AB.
Ces projets mobilisent aussi les citoyens en quête de produits de terroir nutritifs et aux goûts diversifiés. De ce travail collectif, des méthodes de sélection pour la diversité ont fait leurs preuves. Les résultats des projets successifs ont alimenté des actions de lobbying visant à convaincre les législateurs européens et nationaux qu’il fallait sortir du diktat de la variété stable et homogène en bio, un succès qui se traduit aujourd’hui par l’application de cette nouvelle réglementation.
Le nouveau règlement bio, appliqué depuis le début de 2022, offre la possibilité de diffuser des populations hétérogènes bio – dénommés OHM (pour Organic Heterogeneous Material, en anglais) et MHB (pour matériel hétérogène biologique, en français) ; le mot « matériel » est symbolique de la vision dominante et matérialiste du vivant qui est justement combattue par les praticiens du bio – en dehors des réseaux paysans, par des artisans semenciers (notamment en France), par des entreprises semencières bio (assez nombreuses aux Pays-Bas, en Allemagne et en Suisse) ou encore des coopératives de producteurs.
Les modalités d’application du règlement notamment en matière de description de ces populations végétales cultivées – qui n’ont pas le droit d’être appelées « variétés » puisque le mot a été réservé au « matériel stable et homogène » – restent au centre des activités des projets en collaboration avec des instances officielles chargées des procédures de mise en marché.
En outre, il fait valoir l’existence de variétés biologiques, allant au-delà des semences, puisque tout le processus de sélection sera effectué en agriculture bio. Elles seront sélectionnées avec des méthodes naturelles sans biotechnologie.
Ainsi, le retour de l’hétérogénéité et le respect de la biologie des espèces vont aider le secteur bio à se rapprocher de ses idéaux exprimés dans les 4 principes établis par l’Ifoam : écologie, santé, équité et précaution.
À propos de l’autrice : Véronique Chable. Chercheuse agronome, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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