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Applis anti-gaspi : les 3 grandes raisons d’un succès croissant

10 millions de tonnes de produits jetés par an, soit environ 16 milliards d’euros et 3 % des émissions de gaz à effet de serre… Le gaspillage alimentaire représenterait ainsi un coût supérieur à 100 euros par an et par personne. Cela reste non négligeable alors que 8 Français sur 10 affirmaient avoir modifié leurs comportements alimentaires en raison de l’inflation. 87 %, selon un sondage d’Harris Interactive pour Cetelem, indiquent avoir réduit leur gaspillage alimentaire. Plusieurs applications mobiles anti-gaspi qui luttent contre ce fléau sont apparues il y a moins de dix ans et sont en plein boom.

Elles se nomment Optimiam, Phenix ou encore Too Good to Go. Outre la réduction du gaspillage alimentaire chez les restaurateurs, au sein des commerces de proximité ou dans la grande distribution, elles proposent au consommateur une réduction du prix d’au minimum 30 %, quand il ne s’agit pas d’un don en faveur de public défavorisé. Elles interviennent tard dans le processus de consommation, quand la date de limite de consommation est proche ou la date limite d’utilisation optimale dépassée.

Des applications qui ont fait leur trou

L’utilisation de ces applis reste relativement simple, au contraire de nombreux gestes durables parfois délicats à mettre en œuvre ou aux bénéfices perçus trop lointains. Le taux d’adoption de ces dispositifs numériques ne cesse d’augmenter : 38 % des Français (soit plus d’un Français sur 3) utilisent ces applications anti-gaspi. Too Good to Go, leader du marché, annonce plus de 15 300 000 utilisateurs avec une augmentation de 30 % d’entre eux entre 2022 et 2023.

Cela représente plus de 55 millions de paniers “sauvés”. Phénix, dont le chiffre d’affaires est estimé autour de 18 millions d’euros, indique une hausse de 30 % des paniers vendus entre 2021 et 2022 pour l’Île-de-France. Elle a également connu une hausse spectaculaire de ses utilisateurs de 2 millions en janvier 2022 à 5 millions aujourd’hui.

Alignement de planètes pour les applis anti-gaspi

Trois composantes de ce succès peuvent être dérivées d’un modèle théorique, le modèle COM-B qui tente de rendre compte de changements comportementaux. Il en met en lumière trois catégories de facteurs, déclinant l’acronyme.

On retrouve tout d’abord le “C”, pour “capacités physiques et psychologiques des individus”. Ce premier groupe de facteurs met l’accent sur les compétences et connaissances des individus. Pour actionner ce levier, les applications mobiles anti-gaspillage ont su développer une communication pédagogique autour du gaspillage alimentaire. Au-delà des chiffres globaux, elles proposent une « traduction » concrète et ancrée dans le quotidien des consommateurs. Ainsi, l’application Zéro-Gâchis indique par exemple « 1 baguette de pain équivaut à une baignoire remplie d’eau » et “1 Kg de bœuf correspond à 15 000 litres d’eau soit 10 000 bouteilles d’1,5 L”. De même, les applications communiquent largement sur le nombre de paniers “sauvés” ou de repas “gagnés”.

Le « O » correspond aux opportunités physiques et sociales offertes par le contexte. Les applications mobiles anti-gaspi ont bien compris qu’il fallait démultiplier les opportunités de consommation tout en réduisant les sacrifices consentis par les consommateurs. Ainsi, l’application Phénix propose des filtres qui permettent non seulement de préciser son régime alimentaire mais également d’indiquer l’heure à laquelle le consommateur souhaite récupérer son panier. Cette flexibilité lui permet de tenir compte de ses contraintes. De même, le programme de fidélité attribuant des points à chaque commande permet d’inciter les consommateurs à prendre “la routine de commander” et “d’utiliser l’application”. Récemment, Too Good To Go a même instauré de nouveaux services : des ventes flash pour les restaurateurs, la possibilité de se faire livrer un colis d’invendus composés de produits secs de grandes marques et selon un thème (un colis italien, un colis goûter ou un colis apéritif par exemple) ou encore le retrait du panier par un ami…

Le « M », enfin, vaut pour « motivations réfléchies et automatiques ». Le succès des applications mobiles anti-gaspillage s’explique aussi par un alignement intéressant entre les intérêts de la planète et les intérêts individuels qui répondent à des motivations égoïstes centrées sur les économies personnelles. Le consommateur fait un geste « bon » pour la planète et « bon » également pour son budget, notamment en période d’inflation. Certaines applications jouent de plus sur la dimension hédonique en proposant des « paniers-surprises » ou encore sur la dimension sociale du comportement en offrant des programmes de parrainage.

Quelle valeur pour l’alimentaire ?

Un comportement particulier aura des chances de se produire si et seulement si la personne concernée a la capacité et l’opportunité de s’engager dans ce comportement et est plus motivée à avoir ce comportement que tout autre. Ce modèle permet de mieux comprendre les paradoxes apparents du comportement du consommateur : les articulations délicates entre vouloir et pouvoir. Son avantage essentiel est l’intégration du contexte de manière très naturelle pour expliquer le comportement adopté.

Si les initiatives de lutte contre le gaspillage alimentaire sont à saluer et à encourager, quoiqu’elles engendreraient parfois une diminution des dons en direction des associations humanitaires, l’efficacité de la réduction du prix de manière directe ou indirecte pose la question d’un changement effectif des consommateurs sur le long terme… La réduction du gaspillage alimentaire doit-elle passer systématiquement par la proposition de produits à prix bardés alors même que ces produits ont nécessité des ressources limitées (eau, terre agricole, etc.) ?

En d’autres termes, la lutte anti-gaspillage ne pourrait-elle pas chercher les voies d’une création de valeur par une revalorisation de l’alimentation ? Telle est la voie qu’ouvre par exemple l’upcycling ou surcyclage, récupérer des produits dont on n’a plus usage pour les transformer en matériau d’utilité supérieure.

À propos des auteurs :
Béatrice Siadou-Martin.
Professeur des universités en sciences de gestion, Université de Montpellier.
Jean-Marc Ferrandi. Professeur Marketing et Innovation à Oniris, Université de Nantes.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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