Partager la publication "Après la guerre, une géopolitique du climat vouée à l’échec ?"
Dans son Adresse aux Français du 2 mars 2022, le président Emmanuel Macron a évoqué la “nouvelle ère” dans laquelle la Russie avait précipité l’Europe. “Je pressens qu’une époque se termine“, écrit de son côté l’historienne de la guerre froide Mary Elise Sarotte, professeur à l’université Johns Hopkins. En particulier, les fracas de la guerre et ses conséquences géopolitiques ne seront pas sans effet sur les négociations climatiques et la géopolitique du climat. “La guerre en Ukraine sonne-t-elle le glas des agendas climatiques ?”, interroge Olivier Passet, directeur de la recherche de Xerfi Canal.
Les préoccupations et ambitions de réduction des émissions de gaz à effet de serre risquent bien de descendre de plusieurs crans de l’ordre du jour international. L’adaptation au changement climatique pourrait toutefois être, pour d’autres raisons, propulsée tout en haut.
En 2003, lors d’une réunion du G8, Vladimir Poutine avait présenté la Russie comme “un pays froid où quelques degrés de plus permettraient de faire des économies de chauffage et de vêtements“. La Russie représente le 4e plus gros pays émetteur de gaz à effet de serre dans le monde. Et – on en sait les enjeux – un fournisseur majeur de combustibles fossiles dans le monde et en particulier de gaz en Europe.
Elle convoite les ressources de l’immense Arctique, qui recouvre une superficie équivalente à celle de l’ex-URSS. La Russie retire du seul Arctique russe près de 80 % de ses ressources en gaz et 20 % de celles en pétrole. Si le climat est toujours resté largement en retrait de ses priorités politiques, la Russie est confrontée à de multiples menaces. Parmi elles : désertification, érosion des sols, incendies en Sibérie, pollution industrielle gigantesque… Et fonte du pergélisol, qui recouvre près de 60 % du territoire.
Dans le passé, la Russie a joué un rôle décisif pour l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto. Cela n’avait toutefois rien à voir avec ses ambitions climatiques. L’entrée en application de l’accord international requérait d’être signé par au moins 55 pays représentant 55 % des émissions. Or les États-Unis refusaient de le ratifier.
La Russie de son côté y rechignait également, mais cherchait un appui politique qu’elle n’avait pas pour pouvoir adhérer à l’OMC. Elle monnaya donc sa signature contre le soutien de l’Union européenne à son entrée dans l’organisation. Puis ratifia en 2005 le protocole, qui cependant ne l’engageait à rien. Deal conclu : Kyoto contre OMC.
Nous sommes aujourd’hui à des années-lumière de cette entente fondée sur des intérêts bien compris.
La mise en péril de l’équilibre du système climat devait être réglée par la réduction de la pollution générée par la combustion des énergies fossiles. Tous les experts et politiques vouaient alors une confiance inébranlable et sincère dans les capacités à réduire rapidement les émissions.
La question de l’adaptation aux changements climatiques a d’abord été accueillie par les experts, économistes, et politiques, comme une proposition défaitiste, risquant seulement de miner les volontés à décarboner. Une option politiquement incorrecte.
Longtemps négligée, considérée au Nord comme au Sud comme n’étant pas la priorité, elle revient aujourd’hui au centre des débats face aux conséquences déjà visibles du changement climatique.
Le verdict du rapport du GIEC sur les sciences du climat présenté en août 2021 est sans appel. Ainsi, sur les cinq scénarios possibles qu’il présente, un seul, celui héroïque et pour beaucoup irréaliste de la neutralité carbone à 2050, apparaît susceptible de ne pas dépasser 1,5 °C à l’horizon 2100. Les quatre autres débordent ce seuil avec des températures qui s’emballent. Respectivement 1,8 °C, 2,7 °C, 3,6 °C et même 4,4 °C pour la fin du siècle. Trois d’entre eux dépassent même les 2 °C avant 2050.
Les dérèglements climatiques ne seront pas contenus. Les conséquences seront majeures à l’échelle de la planète, et plus encore à celle des territoires et des communautés. C’est toute la géopolitique qui en est bouleversée.
L’ampleur des efforts que sous-tend aujourd’hui la décarbonation rapide des économies et de nos modes de développement – l’objectif de neutralité carbone à 2050 à l’échelle de la planète, ou au plus tard pour la seconde moitié du siècle – apparaît désormais bien au-delà des seuils d’acceptabilité économique et sociale.
Il a fallu du temps pour comprendre, et surtout admettre, que les politiques de réduction des émissions ne suffiraient pas. Elles ne pourront contenir le réchauffement en dessous d’1,5 °C ni même des 2 °C. Les seuils pourtant adoptés par l’accord de Paris en 2015.
La montée en puissance de l’adaptation et des impacts marque un glissement géopolitique, de l’idéalisme au réalisme. Un retour sur Terre au plus près des problèmes réels. Toutes les sociétés seront affectées. Les populations vulnérables des pays du Sud sont déjà les premières victimes. Et ce n’est que le début, comme en témoigne le rapport du GIEC sur l’adaptation, dévoilé le 28 février.
Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a ramassé son contenu avec des mots jamais utilisés jusqu’alors. Il évoque “un atlas de la souffrance humaine et une condamnation accablante de l’échec du leadership climatique”.
Les scientifiques ne croient plus au scénario de la neutralité carbone. C’est implicite dans ce qu’écrit le GIEC dans son rapport sur l’adaptation : c’est avec “une très forte confiance” qu’ils estiment que “certaines trajectoires à faibles émissions sont peu probables“.
Le rapport de son groupe de travail III sur l’atténuation du changement climatique publié ce 4 avril le confirme : “Les réductions d’émissions annoncées conduiront vraisemblablement à un réchauffement supérieur à 1,5 °C au cours du XXIᵉ siècle”.
Et le GIEC de préciser que pour limiter le réchauffement à 1,5 °C les émissions devraient atteindre un pic tout de suite. Ou au plus tard avant 2025.
Pour relever tant les situations d’urgence que les défis de long terme de l’adaptation, il faudra des politiques dont on imagine encore mal l’ampleur. La prochaine conférence des États sur le climat, la COP27, se tiendra en novembre 2022 à Sharm El-Sheikh, en Égypte ; ce sera une COP pour le Sud, avec tout en haut de son ordre du jour l’adaptation et son financement.
Les 100 milliards de dollars par an d’aide climatique promis aux pays du Sud lors de la COP15 de Copenhague en 2009, doivent arriver cette année. Faut-il en douter ? Le gouvernement américain devrait débloquer 1 petit milliard de dollars en 2022. Et ce, alors que Joe Biden avait promis en septembre 2021 devant l’Assemblée générale des Nations unies de délivrer pas moins de 11,4 milliards de dollars chaque année d’ici 2024.
Les questions portées par les pays du Sud et la Chine vont dominer les négociations et politiques climat. La Chine, de par son seul poids matériel, va peser lourd dans la nouvelle géopolitique qui se profile. Les États-Unis n’ont guère plus de 200 centrales thermiques au charbon en fonctionnement ; la Chine, elle, au moins 3000, et près de 5000 mines en exploitation. La réalité n’est pas si banale à rappeler pour cet immense pays composé de 27 provinces. Ainsi, celle du Shandong par exemple, a émis en 2017 à peu près autant de CO₂ que toute l’Allemagne, respectivement 800 et 787 millions de tonnes.
Les États-Unis et l’Europe ont perdu, pour un temps que l’on ne peut borner, la main sur le climat. En revanche, la puissante et riche Chine continuera, comme elle l’a toujours fait depuis plus d’un tiers de siècle, à soutenir les revendications des pays du Sud à l’encontre de pays du Nord qui n’en font jamais assez. Sans le crier ni même le revendiquer, c’est la Chine qui aura la main la plus lourde pour le devenir des négociations et des politiques climatiques.
Possible que l’on soit déjà entré dans une nouvelle ère géopolitique pour le climat aussi.
A propos des auteurs : Michel Damian, Professeur honoraire, Université Grenoble Alpes (UGA).
Nathalie Rousset – docteure en économie, ancienne chargée de programme au Plan Bleu, aujourd’hui consultante – est co-autrice de cet article.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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