Partager la publication "Arrêtons avec l’expression “sauver la planète”"
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Cette expression pleine de bons sentiments fleurit quotidiennement dans les médias, dans les bouches des personnes plus ou moins engagées. En bref, cette expression est devenue un automatisme pour beaucoup lorsqu’il s’agit de causer écologie, elle est partout ! Et pour moi c’est un non-sens total, une absurdité.
Comme dit si bien Nicolas Hulot :
La planète peut se passer de nous mais nous ne pouvons pas nous passer d’elle.
Autrement dit, il est indéniable que la planète nous survivra et que ce qu’il s’agit de sauver en cette période pré-apocalyptique, c’est bien le genre humain (et si possible quelques espèces… nous nous sentirions bien seuls sans les ours polaires, non ?).
Cette expression de bisounours est facheuse parce qu’elle nous dote virtuellement d’un pouvoir de vie ou de mort sur elle que nous n’avons pas. C’est de l’hubris pur et dur. Et de ce fait, réduire l’enjeu écologique à l’expression démesurée “sauver la planète” peut totalement nous décourager d’entreprendre quoi que ce soit pour limiter les dégâts, tant la tâche semble immense !
Non, nous n’avons pas le pouvoir de détruire la planète, mais nous pouvons détruire les conditions de la vie sur celle-ci. D’ailleurs, nous sommes en train de le faire. Alors soit, je joue avec les mots, mais ces derniers ont un sens, et au risque de sembler “donneuse de leçons”, je me permets d’insister sur l’ineptie de cette malheureuse expression.
Malheureusement, les petits gestes individuels ne suffisent pas à infléchir la trajectoire mortifère sur laquelle nous entrainons collectivement l’humanité. Pourtant, je ne peux pas me résoudre à les juger inutiles, car ils ont au moins la vertu de nous permettre de nous sentir plus alignés avec nos valeurs, de moins contribuer à la destruction.
Faire notre part, ça compte. Un peu. Mais le jour du dépassement arrive chaque année plus tôt, alors même que la conscience écologique semble s’accroitre. Le 23 décembre en 1970, le 3 novembre en 1980, le 13 octobre en 1990, le 4 octobre en 2000, le 28 aout en 2010… le 1er aout en 2018.
Je me sentais un peu seule face à cet agacement, alors j’ai écouté quelques un•e•s de mes contemporain•e•s sur le sujet… J’ai tout d’abord interrogé Clément Montfort, réalisateur de la web-série NEXT, qui m’a d’ailleurs soufflé l’idée de cet article :
Et si ceux qui voulait «sauver le monde» cherchaient juste à «sauver leur peau», mais sans prendre le temps de comprendre qu’ils ne sont qu’une espèce parmi les autres, déjà mortes quant à elles ? Sauver le monde… et pourquoi pas l’univers pendant qu’on y est ?
Puis, à l’occasion d’une conférence au Climax festival, Bernard Cressens, président du Comité Français de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), s’est exclamé :
La planète n’a pas besoin de nous ! Demain si elle peut se débarrasser de nous elle se débarrassera de nous ! On est plutôt des super prédateurs extrêmement emmerdants !
Je me suis alors tournée vers mon accolyte Flora Clodic, créatrice de la communauté Au Bonheur des Zèbres :
Je suis convaincue que nous devons changer le storytelling sur l’écologie. Écrire de nouveaux récits qui dissipent les illusions, mais permettent aussi le passage à l’action, comme l’expliquent Cyril Dion et Pablo Servigne. L’évocation de l’effondrement pose la question du déni et de l’acceptation. L’esprit humain se convainc qu’il peut sauver la planète, et par là qu’il peut se sauver lui-même. Un tour de passe-passe qui tente de dissoudre une angoisse existentielle abyssale, sur laquelle travaille notamment Vincent Mignerot.
Alors j’ai naturellement demandé son avis à Vincent Mignerot, écrivain, chercheur indépendant préoccupé par l’existence et ses périls, fondateur et président d’honneur d’Adrastia :
Il est possible qu’inconsciemment on assimile planète et biosphère. Ça aurait plus de sens, même si ça reste discutable, qu’on dise “sauver la biosphère”, puisque nous en sommes directement dépendants. Quoi qu’il en soit l’hubris resterait, alors ça n’est pas tant l’objet visé que l’intention de toute puissance qui me paraît à revoir. Une position d’humilité serait de nous soumettre aux principes régulateurs du vivant, c’est-à-dire de réduire la voilure économique, simplement, sans autre ambition de “sauvetage”…
Finalement, comme l’a écrit Jean-Pierre Goux, auteur de l’ouvrage Le Siècle Bleu et co-fondateur de Blueturn, sous l’un de mes posts Facebook sur lequel je m’insurgeais contre cette expression :
La Terre n’a pas besoin d’être sauvée, elle a besoin d’être aimée.
Alors aimons-la ? ❤
À propos de l’auteure :
Marie Geffroy – Freelance en communication au service de causes écologiques et humanistes, j’aime tisser des liens entre les différents réseaux, écrire, explorer les sujets de la collapsologie et de la résilience.