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Avec le Legal Design, vous allez enfin comprendre le langage juridique

Avocate en droit des affaires, j’ai vite réalisé que mon rôle ne se bornait pas seulement à trouver la solution juridique appropriée. Je devais aussi faire preuve de pédagogie pour expliquer des concepts juridiques parfois complexes qui s’accompagnent d’un vocabulaire dont le sens demeure souvent obscur pour un non-juriste. Crayon noir, gomme et surligneurs en main, je tentais alors de tracer un schéma fait de ronds, de triangles, de flèches et de mots essentiels.

Me mettant à la place de mon interlocuteur, j’ai commencé à concevoir des organigrammes, des infographies et des tableaux qui sont devenus de plus en plus sophistiqués. Sans le savoir, je devenais une modeste actrice du Legal Design et du langage juridique clair.

De quoi s’agit-il ?

Le langage clair et le Legal Design se complètent et ont pour objectif commun la transformation de documents complexes ou dont la lecture est indigeste et fastidieuse (textes juridiques, administratifs et règlementaires) en informations accessibles et surtout intelligibles.

La présentation visuelle faite de schémas et de pictogrammes rend le document plus lisible et plus agréable.

La simplification des termes et des formulations juridiques qui rebutent tellement les non-juristes facilite la compréhension

Les deux méthodes privilégient “l’expérience utilisateur”, à savoir se mettre à la place de celui qui a besoin de comprendre mais n’est pas un spécialiste du domaine.

Être avocat ou juriste, et en conséquence posséder une maîtrise des notions juridiques, est une nécessité pour mener à bien l’exercice.

Toutes les entreprises ou administrations ont un véritable intérêt à communiquer clairement et à permettre à leurs interlocuteurs de comprendre au mieux leurs informations administratives et juridiques. Un document qui n’est pas lu ou qui n’est pas compris perd sa raison d’être, il peut même être source de danger. 

Tous les sujets du droit et les textes administratifs en général sont concernés : droit du travail, droit des sociétés, droit de la consommation, droit de la famille et des successions, fiscalité etc…

Tous types de documents peuvent être transformés pour augmenter leur lisibilité : les contrats, les formulaires, les autorisations administratives, les notes d’informations, les circulaires, les présentations de projet, les procédures organisationnelles etc… 

D’où viennent ces pratiques ?

La volonté de transformer le langage souvent abscons des juristes est né au début du XXème siècle en Angleterre puis aux USA. Cette idée que le droit doit être clair et compréhensible s’est renforcée dans les années 70 à l’initiative d’un mouvement de défense des consommateurs et a donné naissance à la création des associations CLARITY et PLAIN [1]. Ce concept a ensuite été adopté dans de nombreux pays en particulier au Canada et en Belgique.

Le Legal Design est venu compléter l’usage du langage juridique clair en s’inspirant de l’expérience du design thinking [2]Cette pratique du design thinking (directement influencée par le mode de création des designers) est utilisée dans de nombreux domaines opérationnels. Son fil conducteur est de mettre l’utilisateur et ses besoins au centre de la réflexion.

Et l’avenir ?

Cette application du design thinking au droit est très récente. Théorisée en 2017 par l’Américaine Margaret Hagan [3], cette démarche séduit de plus en plus de juristes dans de nombreux pays. En France aussi, beaucoup d’avocats et de directions juridiques d’entreprises ont bien compris les enjeux de la simplification juridique et se sont emparés de la méthode. Quelques avocats proposent des formations auprès des directions juridiques ou de leurs confrères ; les instances professionnelles (ordre des avocats, école du barreau par exemple) permettent également depuis peu un apprentissage du Legal Design. 

Si le législateur français n’a pas encore adopté ces pratiques lors de l’élaboration des textes législatifs, un travail de simplification et d’accessibilité du droit est tout de même en action. Ainsi, depuis le 1er janvier 2019, le Conseil d’Etat supprime les phrases interminables et les expressions désuètes (par exemple les termes “ultra petita”, “irrépétibles”, “de céans”, “il appert”). Depuis le 1er octobre 2019, la Cour de Cassation a entrepris également de simplifier la rédaction de ses arrêts (les “considérants” passent aux oubliettes, les phrases sans fin aussi).

Les legaltechs [4], quant à elles, ont bien compris l’intérêt de rendre compréhensibles le langage juridique et tentent au maximum de simplifier les prestations juridiques auprès des non-initiés. Pour autant, aucun acteur du numérique n’a réussi à mettre en œuvre un véritable outil susceptible de créer des actes juridiques sous forme de Legal Design. Si l’intelligence artificielle permet d’ores et déjà, d’aider les juristes à améliorer les processus de rédaction, d’analyse et de rédaction d’actes, à vérifier la conformité juridique et réglementaire (compliance) ou à évaluer les risques judiciaires et les indemnisations éventuelles, elle n’a pas encore réussi à transformer des contenus juridiques en Legal Design. L’intelligence artificielle aide l’humain mais ne peut pas encore remplacer son esprit de synthèse. Enfin, jusqu’à présent. 


[1] “Plain language Association Internationale” (PLAIN) est une association dont l’objectif est l’introduction du langage clair notamment en droit. “CLARITY” est un réseau mondial de juristes et de profanes qui s’intéressent à la langue du droit afin de promouvoir l’emploi d’un langage clair dans les professions juridiques.

[2] Le “design thinking” a pour but de répondre au besoin, qu’il soit ou non explicite de l’utilisateur.

[3] Directrice du Legal Design Lab à Stanford USA et auteure de l’ouvrage “Law by design”.

[4] Entreprises de droit en ligne permettant l’automatisation d’un service juridique

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