“Pour un futur désirable, vouloir le progrès social, écologique et démocratique.” C’est le nom du programme que Benoît Hamon a présenté ce jeudi matin à la presse, et en avant-première dans Le Parisien. Il y prévoit notamment la mise en place du revenu universel, des taxes sur les robots et sur les superprofits des banques.
La présentation de son projet est
“une étape décisive avant son meeting à Bercy dimanche matin pour espérer remonter la pente”, explique
Le Parisien, alors le candidat est,
dans les sondages, largement devancé par Marine Le Pen, Emmanuel Macron et François Fillon.
En amont de cette échéance, We Demain a interrogé Benoît Hamon sur les enjeux qui conditionnent notre avenir : intelligence artificielle, énergie, climat, bioéthique, pouvoir citoyen… Entretien avec le candidat PS à l’élection présidentielle 2017.
We Demain: Nous vivons un changement d’époque sans précédent. Les économies sont bouleversées par la révolution numérique et l’automatisation qui, selon certaines études, menacent entre 40 et 50 % des emplois existants. Le pensez-vous ? Comment s’adapter à ces changements ?
Benoît Hamon: Le progrès technologique est une chance formidable. Il n’est pas question de le freiner. Mais nous ne devons pas en avoir une vision béate. Il va bouleverser en profondeur nos modes de production. Le travail va se raréfier. Ce phénomène qui touchait déjà les salariés peu qualifiés atteint aujourd’hui tous les secteurs et niveaux de qualification.
Trois millions d’emplois pourraient disparaître en France d’ici 2025. Les machines menacent de remplacer 40 % des travailleurs qui n’ont pas le niveau bac. Le besoin de travail diminue dans certains secteurs, la machine remplaçant l’homme. Le risque est simple : que le progrès technologique ne s’accompagne plus du progrès social. C’est pour les réconcilier que nous préconisons la création d’un revenu universel d’existence et un meilleur partage du temps de travail.
Que pensez-vous de l’ubérisation de la société ? Est-elle inévitable, souhaitable, ou dangereuse en terme d’insécurité sociale ? Quelle est votre réponse ? L’ubérisation n’est ni la panacée, ni une malédiction pour notre pays : c’est un fait. Cette mutation profonde de notre économie se traduit par des opportunités. Mais l’ubérisation n’est pas en soi un progrès social. Mal maîtrisée, elle mène à la multiplication de jobs précaires, sous payés, et au développement d’un salariat déguisé en “auto-entrepreneuriat” sans protection sociale ni contrat de travail.
Le progrès, ce n’est pas accepter béatement toutes les transformations, même lorsqu’elles induisent une régression des droits et des perspectives de notre jeunesse. L’ubérisation débridée et la précarisation généralisée ne sont pas une fatalité. C’est la raison pour laquelle je propose un statut unique de l’actif qui donnera à chacun le droit à une protection sociale élevée, quelle que soit la forme de son activité. C’est aussi la raison pour laquelle je propose un revenu universel d’existence qui donnera à tous, y compris aux jeunes, la sécurité financière suffisante pour échapper à la précarité et trouver un travail qui corresponde à leurs qualifications et qui réponde à leurs aspirations.
L’avenir est-il à la pluriactivité et à la fin du CDI (contrat à durée indéterminée) ? Est-ce un argument qui plaide pour le revenu universel ? La situation sociale en France est dramatique. 8,8 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté. En 2013, 14 % des salariés avaient un emploi précaire contre moins de 5 % en 1984. Neuf embauches sur dix se font en CDD. Il est certain que les carrières seront davantage hachées et les besoins en formation grandissant.
Au fur et à mesure, le Revenu Universel donnera à chacun une sécurité supplémentaire et foncièrement stable. C’est un acte de confiance envers la jeunesse. Il donne à tous un filet de sécurité qui leur permet d’aborder plus sereinement leur insertion sociale et professionnelle.
Nous sommes dans une économie mondialisée. Mais, pour l’énergie, l’agriculture, ou certaines productions, ne faut-il pas favoriser les circuits courts et la proximité ? Oui. Il y urgence à transformer nos modes de production et de consommation. Le local doit être favorisé. Je lancerai un programme d’investissements agricoles pour soutenir le développement du bio, les circuits courts et l’installation des jeunes agriculteurs.
En matière énergétique, je souhaite faire de la France la pionnière de la transition en mettant fin aux énergies du passé que sont le diesel et le nucléaire. Nous nous tournerons résolument vers les énergies renouvelables. Qu’on le sache : la transition écologique est la condition du progrès social et de l’épanouissement des générations à venir.
Les candidats à la Présidentielle basent leurs projets sur un retour de la croissance. Ne faut-il pas plutôt préparer les Français à vivre dans une croissance faible, voire dans un modèle de décroissance ? Y sont-ils prêts ? Il faut se rendre à l’évidence. Malgré toutes les offrandes qu’on lui fait, la croissance ne revient pas. Il est illusoire d’imaginer retrouver des seuils de croissance à 2, 3, 4 %. Ce ne serait d’ailleurs pas souhaitable tant les conséquences sur notre environnement pourraient être irrémédiables. Il est grand temps de nous départir de ce modèle productiviste et consumériste qui nous mène dans une impasse et ne dit rien de notre santé, du poids des inégalités, de notre bonheur. Est-ce à dire que je prône la décroissance ? Non. Il est des domaines où nous devons continuer de croître : l’éducation, la santé, la culture, les énergies renouvelables.
À la COP 21, la France a pris, comme tous les pays des engagements contraignants sur lesquels elle est en retard. Comment les tenir ? Comment développer les énergies renouvelables ? Quel avenir pour la filière nucléaire ? Nous ne pouvons adosser notre avenir à une filière aussi imprévisible que le nucléaire. Au-delà des enjeux de santé et de sécurité, le nucléaire soulève bien d’autres questions, comme la dépendance à l’uranium ou l’effort considérable qu’exige la rénovation des vieilles centrales. Il n’est d’avenir que dans les énergies renouvelables, dans lesquelles il nous faut investir massivement. Ce travail nous devons aussi le mener à l’échelle européenne. C’est la raison pour laquelle je proposerai aux peuples européens, un Traité européen de l’énergie, idée défendue par
Jacques Delors, qui permettrait de donner à l’UE les clés de sa transition et de son indépendance énergétiques.
Les progrès de la science ouvrent de nouveaux horizons à la médecine : modifications génétiques pour guérir ou vivre plus longtemps, transhumanisme (pour augmenter l’homme)… Qu’en pensez-vous ? Espoir ou danger ? L’innovation dans le domaine de la santé a un intérêt évident puisqu’elle construit les thérapeutiques de demain. Pour conserver notre avance technologique, nous devons favoriser la recherche clinique et la diffusion de l’innovation. Pour autant, l’intérêt de l’innovation en matière de santé n’est réel que si elle sert la santé publique en permettant une meilleure organisation, une meilleure prévention, la délivrance de meilleurs soins pour tous, et donc plus d’efficience du système.
La société française est construite sur un fonctionnement pyramidal, jacobin, autour de l’État centralisateur. L’abstention et le populisme progressent. Faut-il, et comment, redonner du pouvoir aux territoires, à la société civile, aux citoyens ? Notre démocratie est immature, fatiguée et asphyxiée par les institutions de la Vème République. En un mot, notre démocratie est à réinventer. Je l’ai dit : je ne prétends pas être un homme providentiel. Aucun changement d’ampleur ne pourra se faire sans les citoyens. Je veux gouverner avec eux. C’est pourquoi j’ai défendu le principe d’un 49.3 citoyen qui sera soumis à référendum. Ce sera la possibilité pour les citoyens de réunir, par pétition, 1 % du corps électoral pour suspendre l’application d’une loi adoptée par le Parlement, pour que celle-ci soit soumise à référendum, ou imposer au Parlement d’examiner une proposition de loi proposée par les citoyens. Il nous faudra également passer à une VIème République qui redonne toute sa place au Parlement, aux citoyens et aux territoires.
Face à tous ces défis (numérique, environnement, bioéthique), quelle doit être la place de l’Europe ? L’Europe s’essouffle. Elle ne neutralise pas les outrages de la mondialisation. Face à Trump et à Poutine, c’est d’une Europe forte, sociale, écologique, solidaire dont nous avons besoin. Les peuples rejettent l’Union européenne en raison de l’entité libérale et technocratique qu’elle est devenue, et non du projet de coopération pour le progrès qu’elle aurait toujours dû être. Je plaide pour la création d’un Parlement de la zone euro qui redonnera aux peuples européens la place qu’ils n’auraient jamais du perdre. Ce parlement ouvrira la voie à une alliance des gauches progressistes en Europe qui soutiennent l’harmonisation sociale et fiscale, la mutualisation des dettes et le renforcement de la solidarité.
Si vous êtes élu président, quelles seront les premières mesures que vous prendrez ? Je remplacerai la loi travail qui a fragilisé les droits des salariés en inversant la hiérarchie des normes par une nouvelle loi qui incitera à la réduction du temps de travail, renforcera le compte pénibilité et le compte personnel d’activité, confortera le droit à la déconnexion et reconnaitra le burn-out comme maladie professionnelle.
Je revaloriserai immédiatement les minima sociaux à hauteur de 10%, le SMIC, et le point d’indice de la fonction publique. Enfin, dès 2018, tous les jeunes de 18 à 25 ans et les actifs qui gagnent moins de 2800 euros brut par mois bénéficieront du revenu universel.