Partager la publication "Bob Watson : “Pour sauver le climat, chaque vote compte”"
Le dernier rapport du GIEC vient de paraître, une nouvelle fois largement occulté par une actualité internationale qui paraît toujours plus pressante et prégnante. Elle est certes tragique et mérite notre attention, nos actions. Mais sans exclure pour autant la lutte contre le changement climatique, contre les pénuries, les conflits et les souffrances qu’engendrerait une planète à +2°C. Pour faire le point et motiver les troupes, nous avons parlé à un témoin privilégié du front climatique sur ces dernières décennies : sir Bob Watson, chimiste et paléoclimatologue.
Il fut tour à tour président du panel consultatif scientifique et technique du Fonds pour l’environnement mondial de 1991 à 1994, président du GIEC de 1997 à 2002 et co-président du conseil d’administration de l’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire de 2000 à 2005, entre autres postes d’observateur, conseiller ou protecteur des équilibres du monde. Nous lui avons demandé où nous en sommes… et où nous allons.
Bob Watson : La bonne nouvelle, c’est que tout le monde réalise enfin qu’il faut agir. Que ce soit les opinions publiques, le secteur privé, ou les gouvernements : tout le monde a conscience du changement climatique et de la nécessité de l’action. Mais, depuis le premier sommet de la Terre, en 1992, à l’issue duquel nous avions déjà élaboré une convention qui mentionnait le climat et la biodiversité, tout s’est empiré et nous avons perdu 30 ans.
Je le dis nettement : nous ne sommes pas sur une trajectoire qui nous permettrait de respecter l’accord de Paris, et de limiter le réchauffement à +1,5 °C. Nous ne sommes pas non plus sur la voie pour suivre les recommandations du sommet de Nagoya en 2010 sur la biodiversité, l’autre grand enjeu du moment.
Je reste optimiste – prudemment optimiste. Parce qu’enfin les choses avancent dans le bon sens, parce que chacun comprend que le changement climatique, la biodiversité, la dégradation des terres, la pollution, ne sont pas simplement des questions environnementales, mais aussi économiques, de développement, de sécurité, de moral, d’éthique. Nous comprenons, y compris le gouvernements, les entreprises, que toutes ces questions sont liées.
Elles sont aussi liées aux préoccupations les plus quotidiennes de nos concitoyens : la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau, la santé, les migrations. Or on peut agir, politiquement, sur ces questions, en agissant sur l’environnement, la biodiversité, la dégradation des sols et le réchauffement. Même au Forum Économique Mondial, la dégradation de l’environnement est reconnue comme une menace sur l’équilibre économique de la planète.
Nous faisons face à une crise majeur et il nous faut transformer massivement notre système économique, financier, et productif. Il faut réorienter toutes les subventions, les niches fiscales, tout ce qui pousse à financer les mines, les transports polluants, l’agriculture intensive, la surpêche, etc. Il faut inciter à des pratiques plus économes en énergie, et vers les énergies renouvelables. Nous devons cesser de viser la croissance, pour viser la croissance soutenable. C’est le mot important. C’est le mot crucial. Et c’est la seule chose que nous devons regarder : ce que nous faisons est-il, ou non, soutenable ?
Nous devons aussi pousser le secteur financier – les banques, les fonds d’investissement, les compagnies d’assurance, nationales et internationales : tout ce monde a énormément d’argent – à investir dans l’économie soutenable. À cesser de financer dans les énergies fossile. Enfin, nous devons ensemble, citoyens, gouvernements et secteur privé repenser totalement l’agriculture, l’énergie et l’eau. Il faut refonder ces trois secteurs en même temps.
Non, je vous en prie, continuez. Tout compte ! Chaque gramme de gaz à effet de serre (GES) en moins dans l’atmosphère compte ! Mais, bien sûr, ce que doivent surtout faire les individus, c’est voter pour les politiciens qui se soucient réellement de leur avenir, et de celui de leurs enfants et petits enfants. Donc de l’environnement.
Sur le plan du discours, totalement. Ce qu’il dit, la parole qu’il porte, au niveau international, sur l’environnement, c’est exactement ce qu’il faut faire. Mais sur les actes, les décisions, la politique, je ne me prononcerai pas : je ne connais pas assez la situation française pour juger un politique plutôt qu’un autre. Je fais confiance aux citoyens de chaque pays, en démocratie, pour évaluer cela.
Ce que je peux dire, en revanche, c’est que pour l’heure, si tous les pays ont les bons discours, et commencent à aller dans le bon sens, aucun, véritablement aucun, n’est parti pour respecter l’accord de Paris et limiter le réchauffement à +1,5°C, et même probablement pas à +2°C. Nous en sommes très loin.
Non, ils ne sont pas non plus en voie de tenir ce pari, pas plus que l’Inde. Pour ces deux pays, la croissance est simplement trop forte pour limiter le réchauffement à +2°C. Mais ne soyons pas hypocrites. Nous en sommes aussi responsables : il y a quelques années, le gouvernement britannique se félicitait de la diminution drastique, de 20 % de ses émissions de GES. Je lui ai fait remarquer que si l’on prenait en compte ceux qui sont produits par les biens que nous importons, nos émissions ne diminuaient pas, mais continuaient à augmenter, de +15 % ! Nous avons simplement délocalisé la production de GES. Cela ne change donc rien au problème.
Pour être tout à fait honnête, la réponse est oui. Tous les pays doivent agir, les et pays industrialisés doivent agir en premier. Et ce qu’il faut faire, c’est nous débarrasser au maximum du gaz, du charbon et du pétrole. Et mieux utiliser notre énergie : promouvoir les véhicules électriques, l’isolation des logements, des industries plus efficaces… Tout cela par le biais de bonus, de subventions, de récompenses, pour flécher et agir sur le marché de l’énergie.
J’ajouterais qu’il ne faut pas nous reposer sur le fantasme de solutions technologiques. Par exemple, le stockage du carbone, qui figure dans la plupart des modèles de réduction d’émission de GES désormais… Mais le stockage du carbone consomme beaucoup de bioénergie, plus, à ce stade, que nous ne pouvons nous permettre d’en utiliser. Si nous remplaçons nos forêts par d’immenses culture de biomasse pour stocker le carbone, nous détruirons la biodiversité, dont nous avons aussi un besoin vital —sans parler des terres agricoles.
Non, il n’y a qu’une solution, une seule chose à faire : diminuer massivement nos émissions dès cette décennie, avant 2030.
Pour cela, le public doit se montrer concerné, mettre la pression sur les gouvernants et les industries et voter en ce sens. Et les gouvernants concernés doivent mettre la pression sur ce qui ne prennent toujours pas le problème en compte – je pense notamment aux élus du Parti Républicain, aux États-Unis, qui nient toujours purement et simplement l’existence même du problème.
Nous avons perdu trop de temps, nous pouvons encore agir, chacun a une partie de la solution entre les mains : n’attendez plus, et n’attendons plus !
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