Partager la publication "Captage du CO2 : le fantasme de la géo-ingénierie face à la dure réalité scientifique"
Trop beau pour être vrai ? Depuis quelques années, afin de lutter contre le réchauffement climatique sans remettre vraiment en cause nos modes de vie dispendieux, des initiatives visent à créer des technologies de captage du CO2. Le DAC (Direct Air Capture) consiste à retirer du dioxyde de carbone de l’air puis de le stocker sous terre en le cristallisant dans la roche. Une solution clé en main pour réduire les niveaux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et espérer ainsi rester dans les limites de l’Accord de Paris, sous les +1,5 °C de réchauffement.
Une des sociétés les plus avancées en la matière est Climeworks, une entreprise suisse qui a déjà créé plusieurs DAC, notamment en Islande. Mais des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technology), spécialisés dans les énergies, ont étudié cette géo-ingénierie et ne sont pas aussi enthousiastes que les entreprises de ce nouveau marché. Une étude du MIT Energy Initiative (MITEI) s’est penchée sur les effets d’annonce de ces stratégies et en conclut que les capacités de captage du CO2 par les DAC reposent sur des hypothèses trop optimistes, voire irréalistes.
Présentée comme solution miracle par certains, la technologie DAC semble prometteuse… sur le papier. Cependant les auteurs de l’étude soulignent que la réalité est tout autre. Howard Herzog, ingénieur de recherche senior au MITEI, et ses collègues ont établi que le DAC doit faire face à trois défis techniques incontournables qui, ensemble, conduisent à un quatrième défi : le coût élevé de l’élimination d’une seule tonne de CO2 de l’atmosphère.
L’étude, publiée dans la revue One Earth le 20 septembre et intitulée “Getting real about capturing carbon from the air” (la dure réalité du captage de CO2 dans l’air), remet les pendules à l’heure sur le réel potentiel de cette géo-ingénierie pour lutter contre le réchauffement climatique. Les scientifiques ont identifié plusieurs défis majeurs, des obstacles difficilement surmontables. Il s’agit de la mise à l’échelle de la technologie, des besoins énergétiques énormes, de la complexité de la bonne localisation de ces unités DAC et des coûts globaux très élevés.
La faible concentration de CO2 dans l’atmosphère (420 parties par million ,soit 0,04 %) pose un défi considérable pour la mise à l’échelle des technologies DAC. Un défi bien différent d’une autre technologie plus classique comme la capture de dioxyde d’oxygène directement dans des gaz de combustion de sources fossiles. “La différence peut être comparée à la recherche de 10 billes rouges parmi 25 000 billes bleues pour le DAC, contre 10 billes rouges parmi 100 billes bleues pour la capture traditionnelle”, assurent les chercheurs.
Pour enlever des quantités significatives de CO2 de l’atmosphère, il faut traiter d’énormes volumes d’air, ce qui nécessite des équipements très volumineux. L’étude indique qu’il faut traiter 1,8 million de mètres cubes d’air – l’équivalent de 720 piscines olympiques – pour extraire 1 tonne métrique de CO2. Impossible de réaliser cela sans des unités DAC extrêmement volumineuses. Selon l’avancée des technologies actuelles, il faut “un projet actuel nécessite “une structure de trois étages s’étendant sur cinq kilomètres pour capturer annuellement un million de tonnes de CO2”, expliquent les scientifiques du MITEI.
En outre, l’étude souligne que le processus DAC est extrêmement énergivore. Il consomme environ 1,2 MWh d’électricité par tonne de CO2 capturée. Pour contextualiser, c’est environ la moitié de la consommation annuelle de la ville d’Aix-en-Provence. Évidemment, pour que la technologie soit efficace d’un point de vue environnemental, il faudrait que cette énergie provienne de sources bas carbone.
Cela ajoute une complexité supplémentaire, car il faut non seulement développer les installations DAC de grande ampleur, mais aussi s’assurer qu’elles soient alimentées par des énergies propres en quantité suffisante. Impossible d’envisager le recours à des énergies fossiles sous peine d’annuler tout l’effort comme le souligne l’étude : “L’utilisation d’électricité produite à partir du charbon générerait 1,2 tonne de CO2 pour chaque tonne capturée, annulant totalement les bénéfices recherchés.”
Même avec des énergies vertes, l’hypothèse est peu crédible à l’heure actuelle. “Un DAC entièrement électrique déployé à grande échelle — disons, 10 gigatonnes de CO2 éliminées chaque année — nécessiterait 12 000 térawattheures d’électricité, ce qui représente plus de 40 % de la production mondiale totale d’électricité aujourd’hui”, lit-on dans le rapport. On parle bien souvent d’installer ces DAC près de sources de chaleur naturelles ou encore d’utiliser la chaleur résiduelle industrielle mais les quantités nécessaires sont telles que cela semble illusoire.
En outre, l’implantation des unités DAC est aussi un casse-tête logistique. Outre un accès à d’hypothétiques sources d’énergie propre abondantes, il faudrait aussi trouver, à proximité, des sites de stockage du CO2 appropriés et des conditions météorologiques favorables. En effet, la température et l’humidité peuvent affecter significativement les performances des DAC. Cela fait beaucoup de si pour espérer qu’un jour le captage du CO2 soit la solution miracle pour la planète.
Même sans avoir réellement pris en compte ces multiples obstacles, les estimations actuelles du coût de capture par tonne de CO2 varient considérablement, mais sont systématiquement élevées. “La plus grande usine DAC en activité aujourd’hui élimine seulement 4 000 tonnes de CO2 par an, et le prix d’achat des crédits d’élimination du carbone sur le marché actuel est de 1 500 dollars par tonne”, explique l’étude.
Or, d’ici le milieu du siècle, il faudra éliminer de l’atmosphère 7 à 9 milliards de tonnes de CO2 par an si l’on veut atteindre l’objectif de réchauffement global de 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris. Cela porterait donc la facture à 13 500 milliards de dollars (13,5 trillions) pour la fourchette haute. À côté, le bouclier anti-rayons solaires déployé dans l’espace paraît presque plus crédible.
“Sait-on jamais.” Dans les conclusions de son étude, l’équipe du MIT souligne néanmoins l’importance de poursuivre les recherches sur le DAC. “Parce que cela pourrait être nécessaire pour atteindre les objectifs de zéro émission nette, surtout compte tenu du rythme actuel des émissions.” Certains secteurs d’activité sont par exemple difficilement décarbonables à l’heure actuelle (l’aviation par exemple). Il pourrait être intéressant de trouver une solution technologique type DAC.
Cependant, les scientifiques mettent en garde sur l’idée de tout miser sur cette géo-ingénierie ou d’en attendre des miracles à court et moyen terme. “Étant donné les enjeux considérables du changement climatique, il serait imprudent de compter sur le DAC pour être le héros qui viendra à notre secours”, concluent-ils.
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