Partager la publication "Cérémonie d’ouverture des JO : retour sur la notion de “wokisme”, tant critiquée"
Le 26 juillet 2024, la France a été scrutée aux quatre coins du globe à l’occasion de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Après plusieurs mois de déchirements politiques, ces JO étaient attendus pour « réenthousiasmer et se réunir autour d’une France qui accueille le monde », selon Emmanuel Macron. Pourtant, ce grand moment de cohésion nationale a été, d’après des détracteurs, entaché par « l’idéologie woke » : des scènes présentées au cours de la cérémonie d’ouverture seraient des insultes à la nation, puisant leurs fondements dans les racines du « wokisme ».
Utilisé diversement, parfois rapproché d’une autre expression, l’« islamo-gauchisme », le « wokisme » est devenu le grand méchant loup d’une frange de l’échiquier politique et de personnalités publiques. Mes recherches au sein du projet financé par l’Agence Nationale de la Recherche, HLJPGenre (Histoire de la Loi et de la JurisPrudence, étudiée dans une perspective de Genre), m’ont déjà amené à analyser et décrypter l’usage des termes « woke » et « wokisme ».
Le mot « woke » est d’origine anglo-saxonne. Cependant, les idées qu’on lui accole sont loin d’être toutes importées. Ignorer l’ancrage français du féminisme serait méconnaître la place qu’occupe notamment Simone de Beauvoir, réduire le « wokisme » à un agenda politique de minoritaires serait erroné, agiter le chiffon du point médian – forme d’écriture inclusive – serait homogénéiser une pensée protéiforme.
En revenant sur le mot même, la traduction de « woke » signifie littéralement « éveillé » et provient du verbe « wake », « réveiller ». Les personnes éveillées, réveillées, sont donc celles qui se sont emparées des questions liées aux formes de discriminations.
L’analyse sémantique du discours déployé par les détracteurs démontre qu’ils utilisent un terme anglais et non ses traductions françaises, qui décrivent différentes réalités : il est beaucoup plus simple de colorer péjorativement des idées vagues, en les qualifiant de « woke ». Le flou est ainsi maintenu et, en ne désignant pas clairement de cible, le propos reste audible parce qu’acceptable.
Plus précisément, de quoi est-il question ici, quand on dit que l’« idéologie woke » est venue gâcher un moment français, le couvrant de « honte » ?
Habituellement mobilisé dans un contexte nébuleux, le « wokisme » visé était ici identifiable :
Quelques poignées de minutes concentrent le gros des critiques et décrivent ce que serait le « wokisme » de la cérémonie.
Avant l’évènement, l’affiche des JO défrayait déjà la chronique. On suspectait alors l’« idéologie woke » de vouloir effacer l’histoire de France :
Or, comme relevé par un journaliste du HuffPost, ces modifications répondent simplement à des exigences posées par le règlement des JO : il convient d’exclure les démonstrations immédiatement religieuses, et de ne pas favoriser de pays.
Surtout, nous voyons que l’Histoire est tantôt prise à témoin, tantôt oubliée par ceux qui se posent en parangons de sa défense : Marie-Antoinette a bel et bien subi la décollation sous la Terreur et, officiellement, L’Ultima Cena de Da Vinci n’est pas une relique religieuse, entendu strictement, sinon un morceau de patrimoine artistique : il s’agit d’une illustration libre, produite par le peintre (vraisemblablement homosexuel).
Plus largement, en analysant le fond des critiques qui visent cette cérémonie, de quoi parle-t-on ? De personnes amoureuses, parfois dans des triangles maintes fois convoqués par la littérature et autres arts, d’artistes sur scène, de performances qui mettent à l’honneur des individus, quel que soit leur genre, quelle que soit leur identité, quelle que soit leur corpulence ou leur coupe de cheveux.
Appliquer une description différente au même contenu offre un tout autre nuancier des tableaux qui se sont succédé entre 19h30 et 23h30 : l’indignation, une fois qu’elle n’est plus dissimulée derrière le « woke » indéfini, ne semble plus forcément justifiée.
Enfin, le « wokisme » est également un mouvement qui offre une visibilité particulière à la place des femmes dans nos sociétés. Au cours de la même cérémonie, critiquée pour ses accents « woke », étaient pourtant mises en avant 10 femmes dont les réalisations ont œuvré pour plus d’égalité et d’ouverture. Néanmoins, puisqu’il n’est plus convenable de vouer aux gémonies le droit à l’avortement, « l’idéologie woke » n’est pas convoquée pour décrire la montée vers la surface des statues dorées de Simone Veil et Gisèle Halimi.
Dans la même veine, on ne reproche pas publiquement la sortie de l’eau de Paulette Nardal qui contribue à théoriser la négritude, ni le rappel de l’écriture de la Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne par Olympe de Gouges, femme longtemps oubliée et ressuscitée historiquement par les études féministes– donc « wokistes » ? En d’autres termes, une fois face aux réalisations concrètes des personnes, sans mobiliser le mot fourre-tout « woke », il est délicat d’aller contre ces avancées.
Une fois décortiquée, « l’idéologie woke » semble moins radicale, voire inexistante telle que décrite actuellement. Derrière cette accusation « wokiste », se trouvent des personnes qui s’ouvrent aux autres, essayent de comprendre les situations particulières, pour les analyser, et proposer des remèdes éventuels.
De surcroît, l’objet même des critiques est un ensemble de libertés qui sont garanties, et dont la France peut effectivement être fière : la laïcité, la liberté de création et d’expression, les garanties contre les discriminations, etc. Ainsi, les quelques minutes qui focalisent l’ire sont celles qui permettent à chacun, chacune, de se sentir concerné par les Jeux. Ces secondes additionnées montrent que la normalité reste indéfinie et que tout être humain doit être considéré comme tel, peut s’exprimer comme tel.
Notre pays a encore du chemin à parcourir pour que l’égalité soit effectivement garantie. Cependant, nous ne pouvons affirmer que ces valeurs mises en avant ne représentent pas la France : il s’agit de notre droit, d’acquis constitutionnels ou de textes débattus par les représentants de la nation à l’Assemblée. L’égalité quelle que soit la couleur de peau, l’IVG, le « mariage pour tous », la transidentité, la lutte contre la grossophobie – protégée au rang de la lutte contre les discriminations, l’égalité femmes/hommes… Ces mots sont au départ des idées, ces idées ont été transformées en réalités, ces réalités sont désormais protégées par notre droit.
Du reste, puisque l’un des objectifs des grands évènements est aussi de rassembler le peuple, « l’idéologie woke », en offrant une tribune à la diversité serait à remercier : tout le monde a pu s’identifier à ce spectacle à un moment ou un autre. Il ne faut pas oublier que les questions de genre, de sexualité autre qu’hétérosexuelle, d’égalité femmes/hommes sont encore des sujets de tensions potentielles dans le sport. Sportifs et sportives qui ne peuvent/veulent afficher leur éloignement des normes sociales de leurs pays respectifs, se sont vu souhaiter la bienvenue à Paris.
D’aucuns s’émeuvent de la portée politique de tels messages qui peuvent sonner comme des revendications. Premièrement, la revendication n’existe que pour réclamer et, en l’espèce, notre droit protège déjà les valeurs mises en lumière.
Deuxièmement, le sport est un instrument politique :
Enfin, et puisqu’il est question de JO, les dernières phrases reviennent à la Charte des valeurs olympiques :
- L’Olympisme est une philosophie de vie, exaltant et combinant en un ensemble équilibré les qualités du corps, de la volonté et de l’esprit. Alliant le sport à la culture et à l’éducation, l’Olympisme se veut créateur d’un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple, la responsabilité sociale et le respect des droits humains reconnus au plan international et des principes éthiques fondamentaux universels dans le cadre des attributions du Mouvement olympique.
- Le but de l’Olympisme est de mettre le sport au service du développement harmonieux de l’humanité en vue de promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine. »
Bons jeux à toutes et tous !
À propos de l’auteur : Alexandre Frambéry-Iacobone. Doctor Europeus en droit (mention histoire du droit – label européen) / chercheur post-doctoral, Université de Bordeaux.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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