Partager la publication "Cet ancien garde du corps de Sarkozy milite pour empêcher l’effondrement écologique"
C’est un personnage comme on en croise dans les romans policiers. Épaules carrées, cheveux courts et costume impeccable, Alexandre Boisson a l’allure de son ancien métier. Garde du corps de Jacques Chirac puis de Nicolas Sarkozy, il a décidé en 2011 de quitter son travail pour se reconvertir. Aujourd’hui à la tête de l’association SOS Maires, il tente d’alerter nos élus sur l’imminence d’un effondrement écologique et sur les moyens de s’y préparer. Entretien.
- We Demain : Vous avez été membre du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) de 2002 à 2011 et fréquenté les plus grands dirigeants de notre planète. Pourquoi avoir décidé de vous reconvertir ?
Alexandre Boisson : Tout est parti d’une prise de conscience. J’étais de plus en plus gêné par ce que je voyais au jour le jour mais je n’arrivais pas à le formuler. Je voyais un décalage grandissant entre les paroles et les actes de nos dirigeants et je m’inquiétais pour notre avenir et la sécurité de notre pays. Ce qui est sûr, c’est que je ne trouvais plus de sens dans mon métier. J’ai tenté de me reconvertir dans le cinéma et j’ai été engagé comme régisseur pour un film en Azerbaïdjan. Puis j’ai voulu monter une start-up autour de la mobilité électrique. Rien n’a vraiment fonctionné comme je le prévoyais mais ça a été une période intéressante de ma vie. Pendant deux ans, j’ai beaucoup lu, mené mes propres recherches et remis en question mes présupposés.
- Quelles conclusions en avez-vous tiré ?
Quand on regarde les grandes directions que prend notre société, tout converge vers un effondrement à moyen terme, à moins de 10 ans d’échéance. J’ai notamment découvert lors de mes recherches le travail de Pablo Servigne, Gauthier Chapelle et Raphaël Stevens sur la collapsologie. Ce sont des chercheurs qui viennent d’un autre domaine que le mien, la biologie et non la sécurité, mais nous arrivons aux mêmes conclusions. Le monde se dirige vers au moins deux crises : une alimentaire à cause du réchauffement climatique et une autre énergétique avec le pic de pétrole. Et tout cela va enflammer les tensions géopolitiques.
On ne se rend pas compte par exemple à quel point la France est vulnérable sur le plan de l’énergie. Chaque Français consomme plus de 4 litres de pétrole par jour. Or celui-ci viendra un jour à manquer et aucune autre énergie n’a le même rendement… A court terme, il suffirait d’un blocage du golfe Persique durant quelques semaines pour que nous soyons en situation de famine !
Pour se convaincre de la fragilité de notre situation, il n’y a qu’à voir ce qui se passe en ce moment en Libye. Il se pourrait bien que le fils de Kadhafi, Saïf Al Islam, soit propulsé au pouvoir grâce au soutien des Russes et des Chinois au printemps prochain pour les élections présidentielles. S’ils y installent des batteries de missiles anti-aériens S400 comme en Syrie, c’en est fini de notre accès au pétrole libyen voire de l’uranium que nous importons du Niger voisin.
- Et comment peut-on éviter ou atténuer l’effondrement ?
La vraie sécurité, ce n’est pas de mettre un flic derrière chaque citoyen. Bien sûr, il y a un besoin incompressible de forces de l’ordre mais c’est l’art d’être ensemble qui crée notre sécurité collective. Le fait que chacun ait un avenir et quelque chose à perdre.
C’est pourquoi nous avons besoin de récits collectifs pour faire société. Le cinéma est un outil très puissant pour cela, car il permet de mettre en histoire des réalités complexes afin de faciliter leur compréhension. Et c’est ce qu’a réussi le film Demain de Cyril Dion, en projetant l’imaginaire d’une société plus sobre et moins avide dans laquelle il fait bon vivre.
Voilà pourquoi il faut créer des récits préalables : Oui, ça va s’effondrer mais on va faire ceci et cela pour s’y adapter et ça va aller. Par exemple, anticiper l’exode de citadins en préparant les communes rurales à les accueillir. Ce que j’essaie de faire, c’est d’éviter au maximum les violences grâce à un peu de préparation et de bon sens. Au fond, c’est un peu le SAV de la collapsologie qui m’intéresse. Les grandes idées ont été synthétisées, maintenant comment passe-t-on à l’action ?
- C’est donc la raison qui vous a poussé à fonder l’association SOS Maires. En quoi consiste son action ? Pourquoi les maires ?
Le maire, on le voit avec la crise des Gilets jaunes, est le premier représentant de la République au contact des citoyens. Quand vous avez une crise, c’est d’abord lui qui est saisi puis éventuellement le préfet et tous les échelons de l’Etat. Et c’est aussi quelqu’un qui a une responsabilité légale envers ses administrés. Si un panneau de basket s’effondre sur un élève, c’est vers le maire que l’on va se tourner. Et d’autant plus en cas de crise.
Et le maire n’est pas dépourvu de moyens. Il y a par exemple le DICRIM, le document d’information communal sur les risques majeurs, que chaque mairie doit compléter et qui définit sa stratégie face aux crises. C’est un outil puissant qui peut être utilisé pour améliorer la résilience d’un territoire.
Notre but avec SOS Maires, c’est d’abord d’alerter les élus sur ces risques majeurs par des conférences. Mais aussi de les guider vers des ressources pratiques. Il y a par exemple le réseau des villes en transition, et plusieurs communes françaises dont Ungersheim, Langouët ou Loos-en-Gohelle développent des initiatives locales de résilience. Cela va de la recherche d’une autonomie alimentaire et énergétique à une meilleure démocratie locale.
- Comment voyez-vous la situation dans dix ans ?
Je la vois très heureuse ! Enfin, si l’on réagit à temps. Je ne pense pas que la France soit un pays comme les autres. Je ne dis pas ça pour faire “cocorico” mais l’histoire montre que nous sommes souvent précurseurs sur les autres. Il n’y a qu’à voir le programme du Conseil National de la Résistance, les “jours heureux“, qui a été écrit en plein enfer ! Et on lui doit la Sécurité sociale et la majorité de nos droits sociaux. Notre meilleure chance de survie, ce n’est pas de nous enfermer dans un bunker, mais de considérer l’utopie avec pragmatisme pour mieux la construire.